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Découvrez l’article d’Albane Godard dans le numéro les 15 spécial écologie du magazine Stratégies


Albane Godard, directrice de la Fondation GoodPlanet, a participé au numéro spécial Les 15 spécial écologie du magazine Stratégies (numéro 2168). Parrainé par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires en France, le numéro donnait la parole à 15 personnalités. Dans son article (à retrouver ici), Albane Godard,  aborde la question de la valorisation financière basée sur des indicateurs traditionnels et souligne la nécessité de repenser ces normes pour intégrer les enjeux environnementaux et sociaux. L’article met en lumière les opinions d’Emmanuel Faber, président du Conseil international des normes extra-financières (ISSB), de Laura Beaulier, directrice de l’association Climate Dividends, et de Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance, sur les nouvelles normes d’information financière et les politiques nécessaires pour accélérer la transition vers un modèle plus durable.

 

ET SI LES COMPTABLES POUVAIENT CHANGER LE MONDE ?

Face aux investissements et aides massifs injectés dans des projets responsables du changement climatique, la question de la valorisation de certaines activités se pose.

Analyse avec Emmanuel Faber, président du Conseil international des normes extra financières (ISSB), Laura Beaulier, directrice de l’association Climate Dividends, et Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance.

Mille milliards d’euros. C’est le montant des subventions qui ont été versées aux énergies fossiles par les États en 2022(1). Pourquoi valoriser autant une activité contraire aux intérêts à long terme de l’humanité ? Aujourd’hui, la valorisation d’un objet, d’un service, d’une entreprise mais aussi des États ou des individus est principalement faite à travers des indicateurs financiers : prix, chiffre d’affaires, PIB, salaire, etc. Cette valorisation est basée sur l’évaluation d’éléments tangibles (stocks, ventes…) et intangibles (réputation, expérience…). Ces règles sont utilisées depuis des décennies par les comptables. Dans le jargon financier, on parle de matérialité économique. Un système imparfait qui est arrivé à ses limites. «La comptabilité compte beaucoup de choses mais pas tout ce qui compte», soulève Emmanuel Faber, président du Conseil international des normes extra-financières (ISSB). Prenons le prix d’un litre d’essence. Nous payons son extraction, sa transformation, sa distribution mais à aucun moment nous payons la ressource elle-même. Sur les 1,90 euro du litre, rien ne vient valoriser les millions d’années mis par la nature pour générer le pétrole via la décomposition de matières organiques. La matérialité économique compte ainsi ce qui dépend de l’entreprise mais pas ce dont elle dépend, en premier lieu les capitaux naturels, sociaux et sociétaux. La valorisation d’un bien ou d’une entreprise se fait dans un cadre relativement simpliste qui ne montre pas l’ensemble de son potentiel, positif ou négatif. Pour Laura Beaulier, directrice de Climate Dividends, « faire de la valorisation financière le seul indicateur d’évaluation d’une entreprise (ou d’un État)  n’est pas représentatif. La capacité à générer des revenus financiers ne dit rien de la pertinence d’une activité sur le développement humain ou sur la préservation de l’environnement. » Le modèle financier actuel a également beaucoup de mal à intégrer une vision long terme, que ce soit dans l’espace ou dans le temps. « Même si les acteurs, notamment financiers, reconnaissent la menace que représente le changement climatique à long terme, leurs décisions restent principalement orientées par la recherche du profit à court terme et, à court terme, le financement d’activités polluantes est très lucratif », résume Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance.

VERS DE NOUVELLES NORMES D’INFORMATION FINANCIÈRE

L’ISSB entend développer les normes d’information financière relatives au développement durable. Pour Emmanuel Faber, l’objectif est de « créer un nouveau langage qui s’appuie sur la matérialité économique pour mettre en mouvement les 100000 milliards de capital de la finance mondiale qui doivent devenir le moteur de la transition environnementale et sociale ». Trois principes à appliquer : la valeur créée par une entreprise est inextricablement liée à ses parties prenantes et aux ressources naturelles ; cette dernière doit gérer dans le temps ses impacts sur l’ensemble de sa chaîne de valeur mais aussi protéger, développer et régénérer ses capitaux humains, sociaux, financiers et naturels.

UN ENJEU POLITIQUE

Pour Reclaim Finance, des politiques de restriction d’activités polluantes sont également nécessaires. « Le but n’est pas de stopper tout soutien financier à un secteur mais d’empêcher le développement de certaines activités incompatibles avec l’objectif des 1,5°C. Un des blocages est le caractère politique des sujets. Si on jouait dans une vraie économie libérale avec une prise en charge des coûts par les responsables et aucune aide publique, la transition, on l’aurait déjà faite », détaille Lucie Pinson. Ces politiques doivent accompagner l’évolution des normes financières sur laquelle la directrice générale de Reclaim Finance défend plutôt le concept de double matérialité. Ce cadre européen prend en compte les impacts de l’environnement sur les entreprises et les impacts des entreprises sur l’environnement.

UN OUTIL POUR ACCÉLÉRER LA TRANSITION

L’association Climate Dividends propose d’encourager la décarbonation via le dividende climat, une information extra-fi-nancière qui mesure la contribution à la neutralité carbone d’un investissement. Le principe est simple : analyser les émissions d’une activité sur son cycle de vie et le comparer à ce qui se passerait sans cette activité. Si le différentiel est positif, l’entreprise peut distribuer des dividendes climat à ses actionnaires. Laura Beaulier cite l’exemple de Cool Roof France, une entreprise produisant un revêtement à appliquer sur les toits pour améliorer l’efficacité thermique des bâtiments: «Ce produit génère évidemment des émissions de CO2, mais c’est dérisoire comparé à ce qu’il se passerait sans son application. Aujourd’hui, de nombreux investisseurs sont intéressés par les entreprises à impact climatique positif, mais l’absence de mesure et dévalorisation partagées de l’impact les freine. » Au-delà des outils comptables et financiers, les trois interviewés s’accordent sur l’importance de faire redescendre ces dynamiques d’impact et de long terme dans la « tuyauterie interne» des entreprises, que ce soit dans les indicateurs de gouvernance, de stratégie ou de rémunération. Si les primes des personnes occupant les fonctions clés d’une entreprise ne sont pas soumises au respect d’objectifs environnementaux et sociaux, le mouvement sera obligatoirement lent voire inexistant. Un autre sujet fait consensus: les bénéfices potentiels de ces approches. Les plus cités sont une meilleure résistance aux chocs à venir, la création d’une compétitivité environnementale et sociale, et un réel effet réputationnel créant une meilleure attractivité sur les clients, les investisseurs et les futurs talents. Quelle est réellement la valeur que produisent les entreprises ? La redéfinition profonde de ce que l’on met derrière ce terme pourrait bien être la révolution d’abord sémantique, puis de modèle, et enfin, de pratiques dont nous avons aujourd’hui besoin. Bonne nouvelle : contrairement à une réalité physique comme la gravité, ce paradigme de l la valeur est une construction humaine, un cadre théorique inventé. Il est donc possible, réaliste et souhaitable de le faire évoluer.

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