Soutenez GoodPlanet Mag’ et les projets engagés de la Fondation GoodPlanet en faisant un don !

RDC : sur les rives du lac Edouard, moins de poissons et plus de rebelles

lac Edouard

Un pêcheur prépare son bateau dans le port de Vitshumbi, dans l'est de la République démocratique du Congo, le 3 avril 2023 © AFP ALEXIS HUGUET

Vitshumbi (RD Congo) (AFP) – Aux confins de l’est de la RDC, Vitshumbi est un terminus. L’unique piste s’arrête là. Devant: le lac Edouard, ses pêcheurs, ses hippopotames et ses miliciens « maïmaï ». Derrière, c’est le M23. Des checkpoints, une route déserte et des colonnes de rebelles coiffés de casques de l’armée rwandaise.

Selon les autorités locales, quelque 24.000 personnes vivent à Vitshumbi, dans le Nord-Kivu. Depuis novembre et la poussée massive de la rébellion, cette cité de pêcheurs est coupée de la capitale provinciale, Goma, dont dépend sa survie.

Les responsables de l’administration reçoivent leurs rares visiteurs dans un bâtiment en voie d’effondrement avancée. Comme pour tous les services de l’Etat ici, les vestiges de l’époque coloniale belge font office de bureaux.

Dans une pièce aux murs noircis, l’un d’eux explique, sous couvert d’anonymat, que le blocus de la route est dû à l’armée congolaise, non aux rebelles.

« Ce sont les autorités de la RDC qui refusent la circulation sur la RN2. Il n’y a pas de problème avec le M23 », affirme-t-il à l’AFP.

Il explique ensuite comment le poisson frais, déchargé à Vitshumbi, est rembarqué aussitôt fumé sur des pirogues, 30 km plein est, pour contourner les barrages de l’armée.

Arrivés dans une autre pêcherie du bout du monde, Nyakakoma, les paniers de poisson sont sanglés sur des motos et entrent en zone M23… direction Goma!

Combien? « Dix dollars par moto », à payer au M23 pour circuler sans encombre, précise un représentant des pêcheurs. Les coûts additionnels de transport, liés au détour et aux différentes « taxes » des hommes en armes, réduisent à peau de chagrin les maigres marges des poissonnières de Vitshumbi.

« Rien trouvé »

« Je ne gagne plus rien aujourd’hui », soupire Espérance Matomahini. Assise dans un hangar décati des services du ministère de la Pêche, elle désespère. « Mes enfants ont été chassés de l’école, je n’arrivais plus à payer leur scolarité ».

Le ciel vire à l’orage. Une embarcation accoste. Elle est vide. « On a pêché toute la nuit, mais on n’a rien trouvé », explique, dépité, le capitaine d’une pirogue.

« Certains pêcheurs pêchent dans les frayères – lieux de reproduction des poissons – et comme ils payent les forces navales (de l’armée congolaise) ou les maïmaï (milices communautaires), ils sont protégés », dénonce un représentant d’un groupe de pêcheurs.

Les jeunes poissons disparaissent. D’année en année, Vitshumbi voit l’espoir de bonnes pêches disparaître.

« Nous sommes passés en peu de temps de 15.000 tonnes à moins de 400 tonnes de poisson par an », déclare Delphin Mutahinga, représentant local du gouverneur.

Héritage de la période coloniale, tracées il y a près d’un siècle, les limites du parc national des Virunga s’étirent sur 300 km du nord au sud et englobe Vitshumbi. Le parc étant classé au patrimoine mondial par l’Unesco, les règles sont strictes et ses gardes veillent au grain.

« Nous n’avons pas le droit de faire autre chose que la pêche ici, pas d’agriculture, rien. On doit tout acheter », explique Joseph Muhindo, président de la société civile locale.

Avant la guerre, la plupart des produits de base, farine, huile, savon, etc. arrivaient par camions directement de Goma, par la route nationale.

Aujourd’hui, ils empruntent des chemins compliqués depuis la frontière ougandaise, entre des lignes de front mouvantes. Ou ils arrivent du nord de la province, après 250 km de route montagneuse infestée de groupes armés.

 « Nés dans la guerre »

« On ne connaît qu’un seul gars qui a osé prendre la route de Goma à Vitshumbi depuis que les M23 sont là. Ça doit être un fou. Ou il avait fumé du chanvre », rigolent entre eux des « maïmaï », qui se présentent comme « des déplacés de guerre » et accusent l’armée de les avoir « abandonnés ».

« Ils nous avaient promis des munitions, mais ils n’ont même pas livré 20% de ce qu’ils avaient dit », tonne Serge, qui se présente comme le « commandant des autodéfenses ».

Il maintient qu’avec plus de soutien de l’armée, ils auraient pu gagner la guerre contre le M23 – pourtant appuyé et ravitaillé par l’armée rwandaise, selon des experts des Nations unies. A vol d’oiseau, à peine une centaine de kilomètres séparent Vitshumbi de la frontière rwandaise.

Le soir tombe sur la ville, où on amarre les bateaux. On prie pour que la pêche soit bonne, mais surtout pour la réouverture de la route… et le départ des rebelles.

Une petite tornade projette du sable sur une enfilade de bâtiments hors d’âge, un groupe de maïmaï déambule dans la cité. L’un d’eux soupire: « Nous sommes nés dans la guerre. Nous avons grandi dans la guerre. Nous mourrons dans la guerre… »

Le M23 et l’armée rwandaise se sont emparés de larges pans du Nord-Kivu en moins d’une année.

En plus de l’armée congolaise et de la mission des Nations unies en RD Congo (Monusco), des contractants militaires d’Europe de l’Est ont été déployés depuis décembre et une force régionale de plusieurs milliers de soldats a été créée.

Mais malgré la présence de tous ces hommes en armes, les rebelles sont toujours là. L’économie est à l’arrêt. Et les poissonnières de Vitshumbi continuent de payer des taxes au M23.

© AFP

Ecrire un commentaire