L’objectif de Sabine Couvert, naturaliste ornithologue reconvertie dans l’agriculture, est de réconcilier concrètement les exploitations agricoles et la biodiversité. Depuis une décennie, au sein de l’association l’Hirondelle aux champs qu’elle a cofondée, Sabine Couvent propose aux agriculteurs de la Drome provençale des solutions pour préserver ou pour faire revenir la faune sauvage sur leurs terrains. Dans cet entretien, elle explique sa démarche.L’association est soutenue par la Fondation GoodPlanet depuis 2022.
Quelle est l’ambition de L’hirondelle aux champs ?
L’association L’hirondelle aux champs s’articule autour de deux piliers : sensibiliser le monde agricole à la faune sauvage dans les cultures et à protéger et à restaurer cette biodiversité. L’association effectue un travail de sensibilisation auprès des paysans grâce à son magazine L’hirondelle. Il s’agit d’une gazette technique gratuite proposant des notions naturalistes simplifiés pour les agriculteurs.
« Un travail d’accompagnement des fermes qui veulent s’engager dans le retour de la faune sauvage. »
[Retrouver tous les numéros de L’hirondelle, disponible gratuitement sur le site de l’association L’hirondelle aux champs]
Nous effectuons aussi un travail d’accompagnement des fermes qui veulent s’engager dans le retour de la faune sauvage.
Pourquoi travailler avec le monde agricole ?
Les enjeux sont dans les milieux agricoles qui représentent 60 à 70 % de la surface du territoire français. Si on parvient à passer l’agriculture du pays en agroécologie, on aura gagné. Comparativement, les réserves et les zones protégées occupent une superficie bien moindre.
Comment réconcilier les pratiques agricoles et le vivant ?
Les paysans nous contactent afin de savoir ce qu’il y a sur leur ferme. Nous commençons par réaliser un diagnostic de la biodiversité du site pour identifier ce qui est présent, ce qui n’est pas là et, mieux encore, ce qu’il pourrait y avoir.
« Les milieux agricoles qui représentent 60 à 70 % de la surface du territoire français. Si on parvient à passer l’agriculture du pays en agroécologie, on aura gagné. »
Nous les accompagnons ensuite sur de l’aménagement du terrain mais aussi sur des changements de pratique. Si, par exemple, des mares ont été asséchées, nous leur suggérons de les recréer.
Autre exemple, les agriculteurs aiment que « ça fasse propre », ils ont tendance à beaucoup faucher. Nous recommandons aux paysans de ne pas faucher systématiquement ou éviter de mettre l’herbe à plat sur les chemins, les fossés ou les jachères car des insectes occupent ces espaces.
Quels retours avez-vous de la part des paysans avec qui vous travaillez ?
Ils nous disent souvent qu’ils n’auraient pas agi sans nous parce que cela demande du temps et de l’énergie. Recréer des mares, installer des perchoirs et des nichoirs demande des ressources. Nous cherchons à leur proposer des espèces qui vont leur rendre service.
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« Des espèces qui vont rendre service aux agriculteurs. »
Dans le cas où les agriculteurs font face à un ravageur, nous leur proposons de faire venir un auxiliaire, c’est-à-dire une espèce qui naturellement contre le ravageur. Cependant, nous faisons remarquer à l’exploitant que cet auxiliaire a besoin d’un support pour vivre. Ainsi, les oiseaux, utiles face à la prolifération de certains insectes, ont besoin d’un buisson ou d’un arbre pour nicher. On ne peut pas non plus demander des miracles à la nature si on ne lui laisse pas un peu de place. Il faut donc commencer par replanter des arbres.
Quelles espèces aidez-vous à cohabiter avec les activités agricoles en Drôme provençale ?
Étant donné qu’on installe beaucoup de nichoirs, on favorise le retour des mésanges bleues et des mésanges charbonnières. Elles mangent énormément de chenilles, ce qui se révèle intéressant pour les arboriculteurs-maraichers. Les moineaux et les rouges-gorges se nourrissent aussi beaucoup d’insectes, réintroduire ces espèces peut aussi se monter intéressant sur certaines exploitations.
Sur quels critères les choisissiez-vous ?
Il faut comprendre que nous mettons en avant des espèces dont nous savons qu’elles réagissent bien. Dans ce type de démarche, il ne sert à rien de miser sur des espèces rares ou qui ont peu de probabilité de s’installer. Notre choix résulte donc un mix entre la problématique de l’agriculteur et la possibilité que nous avons de réellement faire venir une espèce.
« Tout ceci fonctionne à condition que l’exploitation soit en bio, laisse de l’espace, des refuges et des havres de paix pour ces espèces sauvages. »
Ainsi, je vais par exemple miser sur les rapaces diurnes et nocturnes qui sont des prédateurs des campagnols. En creusant des galeries, ces rongeurs terrestres posent beaucoup de soucis aux agriculteurs. Il est relativement facile de faire venir les rapaces.
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D’autres animaux sont efficaces dans la lutte contre le campagnol. SI l’agriculteur le souhaite, il est possible d’aller plus loin en installant des pierriers pour faire venir des reptiles. Les reptiles se montrent redoutables pour les campagnols car ils entrent dans les galeries. À cela peut s’ajouter les petits mustélidés comme les hermines ou les belettes qui sont de redoutables prédateurs naturels du campagnol car profilés pour aller dans les galeries.
« On rajoute des petites touches à droite à gauche. »
Tout ceci fonctionne à condition que l’exploitation soit en bio, laisse de l’espace, des refuges et des havres de paix pour ces espèces sauvages. C’est pourquoi il est intéressant d’avoir disséminé sur la ferme des herbes hautes, des buissons, des haies et des mares.
Une partie de votre travail consiste donc à restaurer des micro-milieux pour aider ces espèces à s’implanter. Pouvez-vous revenir un peu sur l’intérêt de ces milieux ?
Nous travaillons effectivement à une micro-échelle sans intervenir directement sur les cultures. La taille des fermes où nous intervenons est comprise entre 3 et 40 hectares. On rajoute des petites touches à droite à gauche. Après avoir planté des haies, on installe des perchoirs et des nichoirs pour les oiseaux. Et cela fonctionne, car ces dispositifs sont un moyen de dire à l’oiseau pose toi là ! Ces micro-interventions se montrent pertinentes dès le moment où on choisit le nichoir adapté à l’espèce qu’on veut favoriser.
Qu’en est-il des mares face aux risques de sécheresse ?
Les zones humides et les micros-zones humides ont un rôle à jouer. Une mare ou un étang permet de cantonner les espèces c’est-à-dire leur éviter de perdre de l’énergie à aller chercher à boire plus loin. Par exemple, un renard ou une chauve-souris resteront sur la ferme s’il y a une mare et pourront jouer leur rôle naturel de prédateur. Avec les étés caniculaires qu’on en a en Drôme, il est très difficile pour les espèces sauvages de s’abreuver, c’est pourquoi ces espaces humides mêmes temporaires sont importants pour la faune.
« Leur éviter de perdre de l’énergie à aller chercher à boire plus loin. »
Qu’est-ce que les agriculteurs ont à y gagner ?
Ils en tirent une satisfaction personnelle et de nouvelles connaissances sur leur exploitation, son milieu et les espèces présentes ainsi que leur rôle. Comme ils connaissent mieux, ils protègent mieux. Ils peuvent aussi dire à leur clientèle qu’ils font des efforts pour la faune sauvage. Au bout de quelques années, l’accompagnement dure plusieurs années, ils peuvent voir revenir les espèces, même si une majorité d’entre elles reste nocturne en raison de la prédation de l’Homme.
« Faire un pas de côté s’avère très difficile. »
Enfin, le mois dernier, un rapport du ministère de l’agriculture note que 70 % des haies ont disparu en France et que le rythme de leur destruction s’accélère. Que vous inspire ce constat ? Comment se fait-il que la tendance ne s’inverse pas alors que depuis plus d’une décennie, l’importance des haies est redécouverte et valorisée ?
Le fait que la disparition des haies se poursuive est une énigme. Je suppose que cela vient de la Politique Agricole Commune (PAC) qui encourage financièrement les cultures qui demandent de l’espace et de gros engins. Ainsi, certains agriculteurs, bien qu’ils sachent l’intérêt des haies, se retrouvent à les enlever parce qu’ils ont besoin d’argent, pris en étau entre les emprunts et le manque de revenus. Ils continuent dans cet engrenage car ils ne savent pas faire autrement. Faire un pas de côté s’avère très difficile.
« La faune sauvage a sa place dans l’agriculture et inversement. »
La tendance est encore à l’agrandissement des parcelles, mais ici, dans la Drôme, c’est l’inverse. On plante plus de haies qu’on en arrache. On sait que l’agriculture intensive basée sur l’agrandissement et les pesticides est mortifère, il y aura un basculement à un moment.
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Avez-vous un dernier mot ?
L’association tire son nom d’un dicton paysan qui dit : « l’hirondelle aux champs apporte joie et printemps ». Nous sommes dans l’enthousiasme d’accompagner le retour de la faune sauvage. Les espèces reviennent. Leur donner un petit coup de pouce procure une forme de bonheur. Elles nous rendent service. Les agriculteurs doivent avoir en tête que le moment est venu de comprendre que le temps de la lutte avec la nature est dépassé. Le temps est désormais à une forme d’entente et d’échanges réciproques. La faune sauvage a sa place dans l’agriculture et inversement.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Pour aller plus loin
Le site Internet de l’association L’hirondelle aux champs
La page projet sur le site de la Fondation GoodPlanet
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