Los Angeles (AFP) – Au beau milieu d’une friche industrielle en plein Los Angeles, Kreigh Hampel déracine un sarrasin de Californie à grands coups de fourche pour le faire analyser: depuis qu’il a été planté, l’arbuste absorbe le plomb polluant le sol de cet ancien site automobile.
Le volontaire de 68 ans s’émerveille face au pouvoir nettoyant de ce buisson parsemé de fleurs blanches et roses.
« C’est le miracle de la vie », s’enthousiasme le retraité derrière son masque filtrant. « Les plantes savent vraiment comment faire ce travail, elles l’ont fait plein de fois depuis des millions d’années. »
Sur cette terre longtemps recouverte de béton, des scientifiques de l’université UC Riverside ont disséminé des plantes et champignons savamment choisis, avec l’espoir d’éliminer naturellement les métaux lourds et les produits pétrochimiques qui contaminent le quartier depuis des décennies.
Cette technique, connue sous le nom de « bioremédiation », représente une alternative bien plus économique que les procédés habituels.
« La méthode conventionnelle de dépollution des sites consiste à déterrer toute la terre contaminée et à la déverser ailleurs », rappelle à l’AFP la chercheuse Danielle Stevenson, qui pilote cette étude grandeur nature. « Très coûteuse », cette approche se chiffre souvent « en millions » et « ne fait que déplacer le problème ailleurs ».
A contrario, ce projet de la mycologue, mené sur trois anciens sites industriels différents de Los Angeles, ne coûte que « 200.000 dollars ». Et selon elle, les premiers résultats sont prometteurs.
« Aspirateurs » et « décomposeurs »
« En trois mois, nous avons réduit de 50 % les produits pétrochimiques et, en six mois, nous nous sommes rapprochés (de ce seuil) pour certains métaux », relate-t-elle.
La scientifique a choisi ses armes antipollution avec soin.
D’un côté, des blancs de pleurotes ont été intégrés au sol car ce sont des champignons « décomposeurs »: leur partie souterraine, appelée « mycélium », se nourrit aussi bien d’arbres morts que d’hydrocarbures comme le diesel.
« C’est parce qu’il s’agit essentiellement de la même chose », explique la trentenaire. « Une grande partie de nos combustibles fossiles ne sont que des matières mortes qui ont été comprimées sur de longues périodes de temps. »
De l’autre, plusieurs plantes locales de Californie jouent le rôle « d’aspirateurs » à métaux lourds — qui peuvent ensuite être réutilisés. Pour survivre en terre hostile, elles reçoivent l’aide de champignons mycorhiziens, des alliés naturels de la forêt qui leur apportent notamment de l’eau et des nutriments.
Dans ce quartier populaire à majorité latino-américaine, Mme Stevenson souhaite ramener les concentrations de polluants sous les seuils sanitaires fixés par les autorités américaines. Car vivre près d’anciens sites industriels contaminés « réduit littéralement l’espérance de vie ».
Historiquement, les pollueurs sont rarement les payeurs. Après le départ des entreprises, nettoyer revient souvent à la charge des collectivités, qui mettent des années à trouver les financements nécessaires.
Aux Etats-Unis, où l’agence pour la protection de l’environnement (EPA) recense près de 1.900 sites problématiques, les projets de dépollution menés à bien chaque année se comptent sur les doigts de la main, selon la scientifique.
Proposer une méthode « moins chère » permettrait à « plus de sites d’être dépollués plus rapidement », espère-t-elle.
Préjugés anti-champignons
Nettoyage des eaux usées, assainissement des sols contaminés par les cendres toxiques des feux de forêt, fréquents en Californie… La « bioremédiation » peut s’appliquer à de nombreux domaines, selon elle.
Mais alors, pourquoi cette technique est-elle encore si peu développée ?
« La bioremédiation est encore considérée comme risquée », explique Bill Mohn, professeur de microbiologie à l’université de Colombie-Britannique, au Canada. Contrairement à l’excavation des sols, « il est difficile de garantir systématiquement qu’on passera sous les niveaux de polluants requis ».
Une incertitude renforcée par le manque de financements pour la recherche, dans un domaine qui n’a pas de produit concret à vendre, ajoute-t-il.
Selon Mme Stevenson, les préjugés envers les champignons réputés malsains ont également la vie dure.
« On me demande tout le temps si, en introduisant un champignon pour nettoyer un site, il ne va pas prendre le dessus, infecter la maison et se répandre partout », raconte-t-elle.
D’où l’importance de mener ce genre d’études en conditions réelles, et pas seulement en laboratoire, afin d’expérimenter la viabilité de cette approche naturelle.
« Une fois que nous aurons davantage de tests de ces méthodes sur le terrain, les gens se sentiront plus confiants », estime la chercheuse.
© AFP
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