Aider les populations Kichwas d’Équateur à préserver leur environnement tout en leur donnant les moyens d’être autonomes, voici le projet de l’association française Ishpingo. Elle travaille en Équateur depuis une vingtaine d’année avec les communautés Kichwas. Ishpingo promeut localement l’agroforesterie afin de concilier agriculture et forêt. Depuis 2014, l’association est accompagnée par la Fondation GoodPlanet, Antoine Vullien, co-fondateur de l’ONG nous parle des projets en Équateur.
Quelle est l’ambition de l’association Ishpingo ?
Nous voulons mettre en place un modèle de développement durable basé sur l’agroforesterie qui permette aux populations locales équatoriennes d’avoir des alternatives à l’agriculture intensive et à l’extractivisme. Ishpingo veut informer et agir.
« Notre travail est de convaincre les agriculteurs de préférer l’agroforesterie à la monoculture du maïs »
J’ai entendu parler d’agroforêt quand je faisais mes études. Ça m’a fait rêver. C’était une théorie présentée dans les livres et que les scientifiques ont développée. Mais, c’était quelque chose qui ne se faisait pas beaucoup au début des années 2000. Avec les projets menés par Ishpingo, nous voulons donc mettre en place ces idées-là, qui finalement ne se réalisent pas tant que ça.
Quels sont les objectifs du projet en Equateur sur lequel vous travaillez avec la Fondation ?
Avec la Fondation GoodPlanet, nous avons un projet assez holistique. Nous travaillons surtout sur la reforestation et sur la valorisation des produits agroforestiers. Aujourd’hui, nous essayons de développer la filière huile essentielle en cherchant des partenaires commerciaux.
« Résister à la pression de l’extractivisme. »
De plus, nous essayons de développer un projet de mesure et de suivi de la biodiversité dans une réserve située en bordure d’un parc national. La réserve est soumise à une forte pression de la part des industries extractives à cause de la présence d’or, de pétrole et de bois. Nous essayons donc d’y mettre en place des activités rémunératrices, comme l’agroforesterie, l’éco-tourisme et la meliponiculture, sur un territoire de plusieurs milliers d’hectares afin de résister à la pression de l’extractivisme.
Qu’est-ce que la meliponiculture ?
La meliponiculture est l’élevage des abeilles pour favoriser la pollinisation et aussi obtenir du miel. Ce sont des abeilles mélipones, différentes des apis qu’on trouve chez nous. Sans dards, elles sont natives de l’Amazonie et produisent un miel différent de celui qu’on trouve en Europe.
L’association Ishpingo tire son nom d’une espèce d’arbre qu’on trouve en Equateur et cherche à valoriser ce dernier. Est-ce que les populations locales autochtones ont une tradition d’utilisation de l’ishpingo ? Comment est venue l’idée de s’en servir pour obtenir des huiles essentielles ?
Nous voulons valoriser des produits qui existent déjà en Amazonie et connus localement. L’ishpingo est normalement utilisé pour des problèmes d’estomac et de digestion. Les Kichwas en prélèvent directement sur les arbres quand ils en ont besoin. Mais, lorsque quelqu’un vient pour commercialiser un produit, il faut plus que des mots et des connaissances ancestrales. Nous avons donc fait des analyses et constaté que les feuilles d’ishpingo contiennent beaucoup de molécules antibactériennes et antifongiques. En raison de ces propriétés, et du fait que transformer les feuilles en huile confère plus de valeur ajoutée au produit. 300 kilogrammes de feuilles font un litre d’huile, plus facile à conserver et transport, nous nous sommes orientés vers les huiles essentielles. Elles offrent de nouveaux débouches à forte valeur car c’est un produit que nous sommes habitués à consommer en Europe et en Amérique du Nord.
« Valoriser de produits qui existent déjà en Amazonie »
Comment l’exploitation de l’Ishpingo contribue au développement de l’agroforesterie ?
Le système agroforestier que nous proposons aux personnes qui travaillent avec nous en Équateur repose sur une cinquantaine de variétés d’arbres. Elles répondent à différents besoins, des arbres pour le bois de construction, d’autres pour la médecine et des fruitiers pour se nourrir. De plus, ils favorisent la biodiversité locale.
« Des arbres pour le bois de construction, d’autres pour la médecine et des fruitiers pour se nourrir »
Notre travail est de convaincre les agriculteurs de préférer l’agroforesterie à la monoculture du maïs, plus rentable mais nocive pour l’environnement. Nous essayons donc de faire en sorte, par la valorisation de certains produits comme les huiles essentielles, le miel ou les confitures, que le système agroforestier rapporte plus que la monoculture. En outre, cette démarche s’inscrit dans le cadre d’une agriculture durable, sans produit chimique.
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De quelle manière améliorer les conditions de vie des populations locales aide à lutter contre la déforestation ?
Nous nous efforçons d’acheter les produits des agriculteurs au prix le plus élevé. Si les agriculteurs se rendent compte qu’un modèle agroforestier sans utiliser des produits chimiques est au moins aussi rentable qu’une monoculture avec des produits chimiques, la question ne se posera pas. Les gens choisiront l’agroforesterie qu’ils pourront utiliser pour leurs besoins au lieu de se rendre au marché acheter des fruits et des légumes après avoir vendu leur maïs.
D’ailleurs, ça signifie quoi concrètement améliorer les conditions de vie ?
En général, on parle bien sûr de l’aspect économique, c’est-à-dire vivre décemment de son activité. L’agroforesterie permet de se nourrir et de vendre une partie de la production pour tirer un revenu.
« Des personnes parfois déchirés entre leur culture traditionnelle et l’envie du mode de vie qu’ils perçoivent par la télévision ou Internet »
Il y aussi le fait que les gens puissent conserver leur culture c’est-à-dire vivre d’une agriculture familiale, consommer leur production, avoir beaucoup d’espèces sur leur terrain et partager beaucoup de choses dans la famille. Cela veut aussi dire avoir des rivières propres pour se baigner ou pêcher, vivre dans un environnement non pollué. Bref, il s’agit de maintenir de nombreux éléments de leur culture. Quand on vit depuis longtemps avec les Kichwas, on se rend compte que la culture va bien au-delà de la musique, des vêtements traditionnels et de ce qu’ils mangent. Il faut comprendre que ce sont des personnes parfois déchirées entre leur culture traditionnelle et l’envie du mode de vie qu’ils perçoivent par la télévision ou Internet. C’est pourquoi il y a de nombreux problèmes d’alcoolisme, de violences… D’un côté, ils regrettent de ne plus vivre comme avant, mais de l’autre ils pensent que le modèle américain ou européen sera ce qui les rendra heureux… alors que c’est complétement faux.
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Avez-vous un souvenir marquant de ces années de travail auprès des communautés locales d’Équateur ?
C’est retourner sur ce qui était 10 ou 15 ans plus tôt un champs de maïs et qui est maintenant une forêt. D’y avoir passé une ou deux journées avec l’agriculteur à avoir chaud, se faire piquer par les moustiques pour l’aider à planter les arbres et de passer un bon moment avec la personne. Une dizaine d’années plus tard, l’agriculteur te fait comprendre sa reconnaissance par son regard brillant, ses explications et ses souvenirs. Ils expriment leur fierté d’avoir un système agroforestier en ayant transformé un endroit déboisé en un bel espace qui fournit à la fois des revenus et un cadre de vie très agréable.
« Retourner sur ce qui était 10 ou 15 ans plus tôt un champs de maïs et qui est maintenant une forêt. »
Propos recueillis par Julien Leprovost
À lire aussi pour en savoir plus sur le travail d’Ishpingo
La fiche du projet Agroforesterie et huiles essentielles en Équateur d’Ishpingo sur le site de la Fondation GoodPlanet
Et( la fiche du projet Agroforesterie en Équateur
Le site Internet d’Ishpingo
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