Deux ans après le roman Paresse pour tous, Hadrien Klent vient d’en publier, début mai 2023, la suite La vie est à nous (éditions le Tripode). Le romancier continue d’explorer, au travers d’une forme d’utopie, les questions du temps de travail et de l’écologie. L’occasion pour GoodPlanet Mag’ de l’interviewer à nouveau (nous l’avions déjà interrogé à l’occasion de son précédent roman Paresse pour tous) pour parler de la place de l’imaginaire et de l’utopie.
Pourquoi écrire une suite au roman utopique Paresse pour tous ?
La suite au roman « Presse pour tous » était prévue depuis le début. Initialement, le projet devait être une bande-dessinée. Mais, rapidement, il a fallu s’orienter vers un roman pour faire passer toutes les idées. Dans cette suite, après la conquête du pouvoir, on suit l’exercice du pouvoir, et, comment il est envisageable de remettre en cause sa centralisation.
L’apport de la fiction
Le roman s’appuie sur des faits réels assez documentés présentés au lecteur, par exemple sur les pesticides et leurs impacts. La fiction est-elle un bon moyen d’intéresser le public à des sujets complexes jugés parfois rébarbatifs ?
J’avais eu la même démarche concernant le temps de travail dans le premier roman. « La vie est à nous » poursuit le questionnement sur le fonctionnement de notre société parce que tout est lié.
J’essaie par le biais de la fiction de pousser le lecteur à réfléchir aux limites de notre système actuel. Le roman offre l’avantage d’être facile à lire, de prendre le lecteur par la main en lui faisant suivre des personnages. Je veux amener le lecteur à réfléchir sur la consommation, l’utilisation du numérique, la manière dont l’alimentation est produite et aussi sur la manière dont le pouvoir s’exerce dans notre démocratie représentative. Ce dernier point est d’ailleurs un fil rouge du livre.
« Amener le lecteur à réfléchir sur la consommation, l’utilisation du numérique, la manière dont l’alimentation est produite et aussi sur la manière dont le pouvoir s’exerce »
On peut donc imaginer qu’à partir du moment où du temps libre est dégagé, ce dernier peut être utilisé pour faire quelque chose en commun au lieu de se recentrer sur une forme d’individualisme égoïste.
Sur les faits présentés et les solutions proposées dans le livre face aux problèmes (notamment écologiques) de notre époque, que voudriez-vous que le lecteur retienne ?
Je voudrais que le lecteur se dise qu’il y a une globalité c’est-à-dire un enchainement. De fait, la question du travail traverse l’ensemble des enjeux écologiques, sociaux, économiques et culturels. Une fois que le travail n’est plus au centre des préoccupations de la société, tout peut se mettre en place pour trouver des solutions aux enjeux écologiques et sociaux.
« De fait, la question du travail traverse l’ensemble des enjeux écologiques, sociaux, économiques et culturels »
Il faut revoir la manière d’envisager et de calculer la croissance pour sortir des mirages de la statistique. Actuellement, elle n’est utilisée principalement pour mesurer quantitativement des valeurs économiques sans prendre en compte des facteurs plus qualitatifs.
« Une fois que le travail n’est plus au centre des préoccupations de la société, tout peut se mettre ne place pour trouver des solutions aux enjeux écologiques »
Pour revenir au sujet des pesticides, par exemple, ces derniers sont souvent utilisés car les agriculteurs manquent de temps et de main d’œuvre. Produire une alimentation bio, sans pesticides, implique plus de travail humain. Si les gens disposent de plus de temps, ils pourraient participer à la production alimentaire. Elle serait de meilleure qualité, avec un meilleur goût et bio. Néanmoins, une telle transition vers le bio entrainerait sans doute une légère baisse de productivité, mais pour y faire face, il conviendrait de revoir les régimes alimentaires. C’est un raisonnement complexe, bien loin de l’équation « pesticides égale plus de productivité ». Or, la simple logique économique ne prend pas en compte les coûts payés par la société en raison de la pollution et de l’exposition à ces produits. Et, du coup, éviter le recours aux produits de synthèse, dont on connait la nocivité sur la santé et la biodiversité, serait bénéfique.
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Le roman La vie est à nous met en scène Emilien Long, prix Nobel d’Économie et Président de la République, progressiste, convaincu par la nécessité de revoir les modes de vie et de diminuer la place accordée au travail, en raison de la contrainte environnementale. Que peut apporter une fiction qui lorgne vers l’utopie à notre manière de voir le monde et d’envisager l’avenir ?
C’est une utopie que je dis réaliste. Elle se base sur des travaux documentés qui laissent entrevoir qu’une telle utopie se montre fondée et peut se concrétiser. On souffre énormément d’un déficit de croyances dans les modèles alternatifs au libéralisme depuis la chute de l’URSS. Or, il est pour moi, important de montrer un modèle de réformisme qui ne remette pas en cause les fondements de l’État-nation qu’est la France, ni le système politique ni la propriété privée. En effet, ce modèle-là ne relève pas de l’imaginaire de l’effondrement qu’il soit écologique ou politique. Mon pari, avec le personnage d’Emilien Long, est de dire qu’il est possible de réformer pour faire évoluer les choses dans le bon sens.
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N’est-il pas étonnant de constater qu’en vrai, il est courant que de nombreux choix politiques contestés ou présentés comme impossible à un moment donné deviennent plus tard des réalités, et sous des circonstances ? C’est pourtant ce que les dernières années ont montré.
C’est très important que la politique ne soit pas un lieu de renonciation et de déception. Des crises exceptionnelles poussent à prendre des décisions exceptionnelles. Pendant la pandémie de Covid-19, les Français se sont interrogés et ont douté du modèle de société. Puis, malgré tous les appels au monde de demain, le fonctionnement du monde est redevenu comme avant, à l’identique…. Dire qu’on va changer les choses, au nom de la modernisation, pour ensuite constater que rien ne change ou que cela n’apporte rien crée une profonde déception qui explique aujourd’hui l’état d’esprit du pays.
« Tout le monde s’est installé dans une forme de confort qu’il n’est pas évident de remettre en cause »
Je reste avant tout un romancier. Mon roman prone l’idée qu’il ne faut pas renoncer car, au fond, beaucoup de personnes aspirent au changement. On m’a reproché de montrer Emilien Long comme quelqu’un d’honnête et très positif. La fiction permet d’espérer que les gens qui représentent le bien existent.
Le livre insiste sur la difficulté à convaincre du bien-fondé de changer les modes de vie pour des raisons écologiques. Quels sont selon vous les principaux freins au changement vers un mode de vie plus sobre en France ? Une idée sur la manière de lever les réticences ?
Tout le monde s’est installé dans une forme de confort qu’il n’est pas évident de remettre en cause. Y renoncer semble difficile. Or, avec de la pédagogie, en prenant le temps de démonter de nombreux discours, comme ceux des grandes entreprises qui parvenant à imposer leur vision du monde, on s’aperçoit que de tels discours ne tiennent pas. C’est donc à un travail individuel et en même très collectif auquel il faut s’atteler.
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Changer de vie ou la vie en mieux ?
Il est frappant de noter que la plupart des mesures écologiques présentées dans le livre reposent sur des législations, des régulations et non pas la technologie. Est-ce une manière de sortir du genre un peu trop suranné de l’utopie SF basée sur le tout-technologique et de son pendant du côté obscur que représente la dystopie high-tech ? ainsi que de contester la croyance dans le progrès technologique comme solution à la crise écologique ?
Je me méfie du fantasme de la technologie pour sauver le monde. Il suffit de voir comment Internet est passé d’utopie reposant sur le partage de la connaissance, la coopération et l’intelligence à un horrible supermarché géant fliquant les gens. Je crois qu’il faut plutôt réfléchir et discuter ensemble pour trouver des solutions. Cela requiert de se confronter à la matérialité du monde et de se parler en vrai, de s’interroger sur l’utilité des technologies qu’on développe. Sous couvert de nous permettre d’échanger plus, les nouvelles technologies tendent à nous enfermer dans des billes, comme on peut le constater depuis plusieurs années.
Enfin, dans une époque marquée par une forme de pessimisme et de désenchantement du monde, avez-vous un dernier mot sur la place de l’imagination, de l’utopie et du rêve ?
Il faut croire à quelque chose, parce que sinon c’est trop dur et noir, notamment pour les générations à venir. Je crois que nos sociétés ne sont pas condamnées à errer lamentablement et je fonde beaucoup d’espoirs sur les jeunes. Ils sont capables de regarder les choses en face. Un des gros problèmes contemporains est la dissociation permanente entre les grands enjeux, que sont le réchauffement climatique et l’effondrement climatique, et la vie quotidienne qui reste la même en dehors de quelques petites normes qui changent par ci par là.
Avec mes livres, je fais le pari qu’il y a des solutions qui marchent à condition de s’y mettre à plusieurs. Réduire les inégalités serait un bon moyen d’aller vers la sobriété. IL est sans doute plus efficace de réformer la société à ce niveau-là que de vouloir changer directement les individus qui ont envie d’écraser un peu les autres pour surnager dans cette boue sombre dans laquelle nous sommes.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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