Paris (AFP) – Sur le premier cliché, la mer de glace serpente, abondante, sous le Mont-Blanc vers 1885. Cent trente ans plus tard, une autre photo montre un fin tapis blanc et beaucoup de roche apparente. A Paris, la Librairie des Alpes témoigne de l’impact en montagne du réchauffement climatique.
Ouverte en 1933 près des bords de Seine, l’étroite boutique à la façade bleue a longtemps été le repaire d’alpinistes dans la capitale française. Son fondateur, André Wahl, était lui-même un passionné de montagne. Son fonds de livres faisait la part belle à l’histoire des massifs et à leur conquête par l’Homme.
Parmi les ouvrages encore disponibles à la vente aujourd’hui figure ainsi un volume de Jean-Jacques Rousseau intitulé « Lettre de deux amans, habitans (bonne orthographe, NDLR) d’une petite ville au pied des Alpes », édité en 1761, avant une réforme de la grammaire française.
Entre l' »Assaut du mont Everest » (1922), « Carnet du vertige », à propos de l’ascension de l’Annapurna (1950) ou encore « La conquête du K2 » (1954), le visiteur découvre combien les aventuriers des montagnes étaient mythifiés au XXe siècle.
Et combien leur image pouvait être politique. Dans « Les trois derniers problèmes des Alpes », l’Allemand Anderl Heckmair, raconte son ascension de la face nord de l’Eiger (Suisse), en 1938. En fin d’ouvrage, une photo, légendée « La plus belle récompense », le montre poser avec Hitler.
Dans ce mélange d’Histoire et d’expédition, un élément est longtemps resté absent: le réchauffement climatique.
« Avec nos parents, on n’en parlait jamais. C’était au mieux : +Il fait chaud cet été+, ou +quelle neige cet hiver !+ », raconte Jean-Louis Vibert-Guigue, le propriétaire de la librairie, que sa mère Elise, montagnarde et belle-soeur du fondateur, a tenue avant lui pendant 40 ans… jusqu’à ce qu’elle en ait 85.
Idem pour la littérature. Pas plus Roger Frison-Roche, dont le roman « Premier de cordée » fut un succès mondial et à qui plusieurs rayons sont consacrés, que ses contemporains n’ont traité selon le libraire du réchauffement, « une préoccupation très récente ».
Les dizaines de photos exposées témoignent pourtant du rude impact du temps, et de la chaleur, sur la montagne, qui auparavant « était assez blanche, y compris l’été », mais « aujourd’hui est beaucoup plus noire, parce qu’il n’y a plus de neige, tout simplement », note-t-il.
« La montagne a mal »
Son plus ancien cliché, pris vers 1865 et jauni par l’albumine, montre trois hommes, bâton à la main, grimpant près d’un sculptural monticule de neige, taillé par le vent. « J’ai pas mal grimpé sur les glaciers. Je n’ai jamais vu la montagne comme ça, jamais », insiste Jean-Louis Vibert-Guigue, 74 ans.
« Les séracs, les ponts de neige gelés, sauf exception, cela se voit beaucoup moins (dans les Alpes), parce que pour que cela dure, il faut que cela devienne très dur, du fait de l’accumulation de neige et de froid, dit-il encore. Maintenant, ils sont plus ronds, moins hauts et moins sculpturaux ».
Des roches, affectées par de fortes chaleurs bien plus précoces qu’avant, implosent parfois. « La montagne a chaud, elle craque, elle parle, elle crie. Elle a mal. Malheureusement, elle a besoin d’un bon coup de froid pour aller mieux », observe l’artiste et photographe Nicolas Seurot, rencontré à la librairie, où se vend son livre « Les visions passéistes: en haut ».
L’alpiniste italien Alessandro Sigismondi a assisté le 3 juillet dernier à une dramatique manifestation du réchauffement climatique dans son pays. A son arrivée à la librairie, il demande tout de suite des photos du glacier de la Marmolada.
L’an passé, il escaladait une paroi lui faisant face lorsqu’un énorme bloc s’en est détaché, faisant onze morts. L’année 2022, très chaude, avait accéléré la fonte des glaciers européens. Il faisait 10°C la veille de la catastrophe au sommet de la Marmolada.
« Je vois les changements qui ont lieu. Ils sont incroyables et ils sont rapides », observe-t-il. Et de citer le massif du Gran Sasso, dans les Apennins, au centre de l’Italie, où un glacier « s’est complètement retiré » et a « maintenant été rétrogradé à une catégorie appelée névé ».
Pierre Chassagne, un charpentier 25 ans, dit ne pas ressentir pour autant de nostalgie pour « quelque chose qu'(il n’a) pas connu ». D’où le précieux rôle de la Librairie des Alpes. « Quand on voit des couvertures de vieux livres, on a l’impression qu’on voit une montagne qui n’existe plus ».
© AFP
Ecrire un commentaire