Low-Tech, les bâtisseurs du monde d’après est le second film du réalisateur documentariste Adrien Bellay. Il sort dans les salles françaises le 7 juin. Après un premier film L’éveil de la permaculture en 2017, Adrien Bellay poursuit son exploration des modes de vie alternatifs et décroissants en s’arrêtant cette fois-ci sur la low tech. Il est allé à la rencontre de celles et ceux qui la vivent et la pratiquent. Adrien Bellay en tire un tour de France avec 8 portraits d’expériences variées de low tech qui vont de l’initiative individuelle pour réduire son impact environnemental à la tentative de création d’une entreprise low tech spécialisée dans l’automobile. Car, la low tech regroupe des approches variées qui questionnent nos modèles socioéconomiques et culturels, c’est ce qui fait sa force et sa richesse, explique en substance, Adrien Bellay dans cet entretien à GoodPlanet Mag’. La bande-annonce du film Low-Tech est à voir en fin d’article.
Pourquoi avez-vous accompli ce tour de France de la low tech ?
J’ai à cœur de parler de sujets qui me semblent essentiels. Les films documentaires permettent de mettre des images et d’incarner des mouvements, qui ne sont pas forcément mis en lumière dans les médias mainstream. De plus, les gens se retrouvent dans la salle autour du film. Cela suscite des échanges tout en créant un maillage ou en solidifiant des réseaux déjà existant. C’est ce que j’ai découvert avec mon premier film sur la permaculture.
« Mettre des images et d’incarner des mouvements »
J’ai voulu réitérer cette démarche avec le concept nouveau de low tech. Cette dernière et la permaculture se montrent complémentaires si on se place dans une logique de décroissance. Car, si on regarde, la permaculture met l’accent sur les interactions entre l’humanité et le monde vivant qui l’entoure. Les low tech permettent un zoom sur les interactions entre l’humanité, l’univers matériel et la technique.
« Le film propose un voyage au cœur des low tech »
Le film propose un voyage au cœur des low tech en présentant 8 personnages ou collectifs. Il est loin d’être exhaustif puisque le mouvement low tech regroupe des centaines voire des milliers d’autres initiatives. Depuis une dizaine d’année, cette dynamique grandit sans cesse.
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On ressort du film Low-Tech avec le sentiment que la question relève finalement plus de choix sociaux, économiques et politiques que technologiques à proprement parler. Est-ce là le message que vous voulez faire passer ?
Le film propose effectivement différentes strates de réflexion. Je propose au spectateur de cheminer en suivant mon raisonnement. Je m’intéresse d’abord au premier degré de la low tech, celle des objets c’est-à-dire comment répondre aux besoins essentiels tels que se nourrir, se loger et se chauffer à l’aide de technologies aussi simples et sobres que possible. Ce sont les plus écologiques possibles.
« Répondre aux besoins essentiels tels que se nourrir, se loger et se chauffer à l’aide de technologies aussi simples et sobres que possible »
Toutefois, au fur et à mesure de mes réflexions, je me rends compte qu’on ne peut pas s’arrêter aux objets parce qu’on se trouve dans des systèmes très technologiques et imbriqués. Il s’avère de fait très difficile de faire un objet purement low tech. Le vélo semble le moyen de transport le plus low tech qu’il soit, mais en y regardant de près, on s’aperçoit qu’il faut de la métallurgie, de la sidérurgie, de grandes usines pour fabriquer l’ossature du vélo.
« Il s’avère de fait très difficile de faire un objet purement low tech »
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C’est à ce moment-là que ça devient intéressant car la démarche consiste à trouver la manière de viser la sobriété de ressources et le bon niveau technologique entre low tech et high tech. Il existe une complémentarité entre ces deux approches. Le sujet se révèle systémique, ce qui inclut des questions économiques, politiques voire philosophiques. À une époque marquée par une course en avant perpétuelle et une perte de sens, les low tech questionnent le sens de nos actions. La low tech ne se résume pas à un ensemble de technologies et de techniques, mais se conçoit plus comme une démarche qui vise la sobriété.
« Les low tech questionnent le sens de nos actions »
Comment ne pas donner l’idée que la low-tech est un truc de personnes recherchant l’autonomie ? Comment sortir de cette ornière pure que des techs plus douces peuvent trouver une place dans notre quotidien ?
Dans le film, je rencontre le Youtubeur Barnabé Chaillot qui propose des tutoriels pour aider les gens à fabriquer des objets low tech, notamment des systèmes énergétiques, comme des éoliennes ou des poêles de masse, ou encore des objets marrants comme des sandales à base de pneus. L’approche la plus évidente de la low tech mise sur le développement de l’autonomie énergétique et alimentaire. Mais, cette approche reste réservée à des collectifs très engagés dans ce type de démarche. On se rend compte que pour y parvenir, ils disposent d’avantages dont tout le monde ne dispose pas comme de l’espace, comme de grands terrains, et du temps, car ils vivent en marge du système.
[La chaine YouTube de Barnabé Chaillot]
« Il faut donc que la low tech se diffuse de façon plus démocratique »
Il faut donc que la low tech se diffuse de façon plus démocratique. C’est ce que font des associations de formation qui vont aller dans les quartiers populaires. Le Low Tech Lab effectue ce travail depuis une dizaine d’années en s’adressant, au travers de la réparation, à un public beaucoup plus dans le besoin. Ils arrivent à la low tech par le besoin de faire des économies en ne jetant pas leurs appareils.
« De la logique technique a découlé une logique beaucoup plus politique »
Enfin, il y aussi la possibilité d’appliquer la philosophie low tech dans le monde de l’entreprise en développant de nouveaux modèles d’affaires. Certaines développement des objets low tech comme un parapluie ou une imprimante.
De quelle manière ?
Une des dernières séquences du film montre Cécile et Fabien Morel qui en partant de la production d’une brique de chanvre en sont arrivés à construire des maisons en maîtrisant de A à Z toute la chaîne de production. Dans le même temps, ils ont relocalisé tous les outils de production en s’appuyant sur des matières premières locales, dont le bois des forêts avoisinantes. Leur démarche évolue encore pour aboutir à la construction d’écohameaux. De la logique technique a découlé une logique beaucoup plus politique sur la place à donner au vivre-ensemble et au vivre avec le vivant tout en récréant des valeurs de partage. La low tech n’est pas que technique, elle est aussi systémique, organisationnelle, humaine et politique.
Comment expliquez-vous l’attractivité de la démarche low-tech ?
L’enthousiasme à faire ensemble constitue un point commun à l’ensemble des personnes présentées dans le film. Ils fabriquent des objets qui ne vont pas révolutionner le monde, tous disent pourtant le faire pour le plaisir d’apprendre et de réapprendre des outils et des gestes oubliés. Il ne faut pas oublier qu’une partie des savoirs a été perdue. Les participants à la conception de projets low tech se complètent dans leurs forces et leurs faiblesses. On le voit dans le film au travers de la conception d’une éolienne, certains savent transmettre les savoirs théoriques tandis que d’autres sont plus à l’aise pour manier un outil ou travailler une matière.
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Les low tech permettent de refaire société, en pratiquant soi-même. Elles renforcent la résilience des individus et territoires en recréant une capacité d’agir à la fois technique et politique. Cela redonne de la confiance dans les individus et dans les groupes, ce qui procure une forme de bonheur.
Quelle low-tech vous a le plus étonné ?
La marmite norvégienne m’a marqué. Selon moi, elle est l’ambassadrice des low tech. On la retrouve dans tous les stages d’initiation. Elle fonctionne comme une sorte de thermos. Il s’agit d’un caisson fermé en bois avec des parois revêtues d’un matériau isolant, ça peut-être un peu tout ce qu’on veut en fait, de la laine, du liège, ou même une vieille couverture, dans lequel on met un plat préalablement chauffé 10 minutes dont la cuisson se poursuivra lentement grâce à l’inertie thermique. La marmite norvégienne permet la cuisson lente des plats sur plusieurs heures tout en économisant l’énergie du feu de cuisson. Je pense que cette petite low tech va s’étendre.
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Laquelle avez-vous adoptée dans votre quotidien ?
Pour le moment, je vis dans une petite maison. Je n’ai malheureusement pas encore eu le temps d’innover et de chercher à y implanter des low tech car j’étais accaparé par la réalisation du documentaire. Néanmoins, les toilettes sèches sont une low tech qui fonctionne très bien et que je me vois adopter chez moi. Les toilettes sèches sont accessibles dans de nombreuses formes d’habitat à condition d’être liées à des espaces extérieurs comme un jardin où la matière peut être valorisée. En fabriquant des toilettes sèches, on se rend compte de la quantité d’eau gaspillée avec une chasse d’eau. Or, il est envisageable de gérer de la matière fécale comme on gère les déchets organiques de nos fruits et légumes pour faire du compost. Cela devient une ressource. Les toilettes sèches se révèlent d’autant plus pertinentes qu’aujourd’hui il y a de gros problèmes de ressource en eau.
« La low tech n’est pas que technique, elle est aussi systémique, organisationnelle, humaine et politique »
Je me vois bien aussi installer un récupérateur d’eau de pluie. J’apprécie le fait que la low tech nous reconnecte à la fois aux éléments et aux ressources. Les nuages et la pluie deviennent alors plus réjouissants. Je pense que de petites low tech trouvent aisément leur place au quotidien, c’est ce que le Low Tech Lab a testé durant une année dans sa tiny house.
Après la permaculture et la low tech, quel autre sujet de la transition écologique aimeriez-vous explorer dans un prochain film documentaire ?
S’il y avait un troisième axe à développer, complémentaire dans les stratégies de la décroissance, ce seraient les villes en transition. Il y en a de plus en plus et ces villes et villages se questionnent sur comment faire évoluer la production alimentaire, la production et la consommation d’énergie, la mobilité…
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Avez-vous un dernier mot ?
Aujourd’hui, on est dans un monde où tout est technologique. L’idéal serait d’aller vers la sobriété en se débarrassant progressivement du superflu et les objets nécessitant une énergie démesurée. Avec l’IA et la réalité virtuelle, un des grands dangers de la technologie est qu’elles nous conduisent à vivre sous assistance. L’idée est donc de faire les bons compromis pour pratiquer les low tech à la fois de façon radicale en cherchant l’autonomie au fond des bois ou, au quotidien, en ville pour le plus grand nombre. Le panorama de ce que la low tech offre va donc de Barnabé Chaillot à Gaël Lavaud dont l’ambition est de concevoir, de fabriquer et de distribuer des voitures en appliquant une démarche low tech à l’ensemble d’un projet industriel.
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Propos recueillis par Julien Leprovost, avec Fanny Huchet et Luna Camilleri
Pour aller plus loin
Le site Internet officiel du film Low-Tech avec la carte des projections
La bande-annonce du film
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Un commentaire
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Henri DIDELLE
DE LA TEORIE A LA PRATIQUE IL Y A UN FOSSE…
Je reprends seulement une phrase de cet artcile:
»Le vélo semble le moyen de transport le plus low tech qu’il soit ».
C’est certainement vrai, sauf qu’on l’on oublie de dire que bientôt, la moitié des vélos seront électriques aujourd’hui. Et là le concept se casse la figure !