Passionnée par les animaux depuis toujours, la journaliste Yolaine de la Bigne parle d’eux comme nulle autre. Surtout, cela fait des années qu’au travers de livres, d’interviews avec des spécialistes et des projets comme les rencontres « Les intelligences Animales », Yolaine de la Bigne s’efforce de faire changer le regard sur les êtres vivants. Des insectes aux plus grands mammifères, tous ont quelque chose à nous dire et nous apprendre sur ce qu’est l’intelligence. Dans cet entretien de notre série À la rencontre du Vivant, Yolaine de la Bigne revient sur cette source de surprise, d’étonnement et d’émerveillement permanent que constitue le Vivant.
Sa rencontre avec le Vivant
D’où vient votre passion pour les animaux et le vivant ?
Comme beaucoup de gens, j’ai appris à aimer les animaux quand j’étais petite. Je les ai toujours adorés. Je voulais même travailler avec les chevaux. Mais à l’adolescence, on m’a interdit de monter à cheval car j’avais de mauvais yeux. Je suis alors devenue journaliste et j’ai travaillé à Paris, j’ai eu des chiens et des chats. Et, pus tard, j’ai pu remonter à cheval.
Comment expliquez-vous qu’en grandissant l’amour des animaux se perd chez certaines personnes alors qu’on semble le posséder spontanément durant l’enfance ?
On perd le contact avec l’animal ainsi que la culture de la nature. Le phénomène a été étudié par les scientifiques. Une grande partie des agriculteurs ne sait plus actuellement ce qu’est une terre en bonne santé avec ses vers de terre à force de rester derrière un écran et à déverser des pesticides.
De plus, cette perte de la culture de la nature est associée à une obsession pour la propreté. En effet, la nature apparaît comme « sale » si elle est laissée en libre évolution avec des herbes hautes ou des ronciers, par exemple. Un jardin propre se résume ainsi à un jardin bien tondu à l’anglaise, avec très peu d’arbres ou de fleurs pour éviter les feuilles mortes ou les pétales fanés. Pourtant, herbes hautes et ronciers sont des abris pour les insectes et de nombreux autres êtres vivants tels que les lapins, les lièvres, les chevreuils ou bien les oiseaux. Autre cas concret de ce rapport incongru au vivant, un village breton où des oies sauvages font étape durant leur migration veut les faire abattre car leurs fientes salissent la localité. On atteint le summum de la bêtise.
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« On perd la culture de la nature »
Enfin, il ne faut pas oublier que l’humain a toujours craint la nature et les animaux. C’est compréhensible, ils impressionnent. Cependant, aujourd’hui, concernant certaines espèces, la peur a pris des proportions plus grandes. Les gens croient à tort que certaines espèces sont dangereuses, comme les araignées qu’on trouve chez nous. À ce sujet, voici une anecdote personnelle, mes voisins pensent que les paons que j’ai eus chez moi à une époque étaient dangereux et allaient les attaquer. En fait, on n’apprend plus à vivre avec la nature et à la comprendre.
« On n’apprend plus à vivre avec la nature et à la comprendre. »
Qu’est-ce qui vous a conduit à parler des intelligences animales ?
Il y a une trentaine d’années, je suis revenu en Bretagne m’installer dans la maison familiale. J’étais, un peu avant l’heure, une rurbaine. Étant dans une région d’élevage, j’ai constaté que tout ce que j’avais connu petite comme biodiversité, les oiseaux, les vers de terre, les écureuils etc… était en train de disparaître. J’ai alors décidé de faire du journalisme plus engagé dans l’écologie.
« Beaucoup d’animaux ont gardé une intelligence écologique, ils vont s’en sortir. En revanche, pour l’humain, ce sera compliqué »
Un jour, en interviewant le vétérinaire Norin Chai, je lui ai fait part de mon inquiétude sur la sixième extinction de masse. Lui m’a répondu que « beaucoup d’animaux ont gardé une intelligence écologique, ils vont s’en sortir. En revanche, pour l’humain, ce sera compliqué ». Ça a été un déclic, j’ai découvert à ce moment-là les intelligences animales. J’ai décidé de leur consacrer ma fin de carrière en mettant en avant toutes les nouvelles découvertes rendues possibles grâce aux progrès de l’écologie, de la biologie et de la technique. Elles permettent de mieux comprendre les animaux.
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Mon travail reste très militant, il aborde aussi la question du bien-être animal sous un autre angle que celui de la morale. Non seulement c’est dégueulasse de faire souffrir des animaux parce qu’ils ne le méritent pas, mais c’est aussi stupide de les tuer car ils sont intelligents et ils peuvent nous aider.
Qu’est-ce qui vous pousse à transmettre cette passion pour les animaux à travers vos émissions et vos livres ?
Premièrement, j’aimerais transmettre intellectuellement toutes les incroyables découvertes faites depuis une quarantaine d’années. On assiste à une véritable révolution scientifique, ainsi que psychologique et philosophique qui interroge sur la place de l’humain sur cette Terre.
« Les animaux sont la clef de beaucoup de nos problèmes »
Ensuite, on se dirige vers un avenir incertain et peu joyeux, c’est pourquoi il est urgent de faire mieux comprendre l’écologie et les relations entre les espèces. Les animaux sont la clef de beaucoup de nos problèmes. C’est grâce aux animaux et aux végétaux qu’on mange ! Je reste persuadée que l’animal est l’avenir de l’homme. Par exemple, le loup aide à réguler les sangliers, donc plutôt que de supprimer le loup et de poursuivre une chasse aux sangliers qui ne résout pas le problème, il serait plus malin de laisser le loup jouer son rôle de régulateur.
« On assiste à une véritable révolution scientifique, ainsi que psychologique et philosophique qui interroge sur la place de l’humain sur cette Terre. »
De surcroît, dans une époque pessimiste et anxiogène, découvrir les intelligences animales se montre enchanteur. L’animal se révèle beau, on en parle avec grâce et poésie. Il offre une part de rêve, pourtant on est en train de massacrer une des plus belles parts de notre vie. Je suis convaincu qu’on ne peut pas être heureux en l’absence de beauté.
« L’animal offre une part de rêve »
Les intelligences animales, source inépuisable d’émerveillement et de découvertes
Vous faites la part belle aux intelligences animales. Comment le fait de découvrir toutes ces choses étonnantes que font les autres êtres vivants peut aider à mieux les comprendre et à les préserver ?
C’est effectivement une bonne manière de de faire changer le regard. Dans le dernier ouvrage collectif que j’ai dirigé, « L’animal médecin », nous expliquons qu’on pense désormais que l’être humain a inventé la médecine en s’inspirant des animaux. Des papillons monarques, des mésanges, des éléphants ou encore des ours connaissent des plantes, des mousses et des écorces pour se soigner. Puis, nous, humains, allons les utiliser pour fabriquer des médicaments. C’est génial. Tout de suite cela change la perception sur ce petit papillon qui jusqu’à maintenant présentait un intérêt limité. Des personnes m’ont dit qu’en apprenant la contribution des animaux à la santé, elles ont remis en cause leur apriori ou leur désintérêt pour le vivant.
« L’être humain a inventé la médecine en s’inspirant des animaux »
Mettre l’accent sur les intelligences animales, est-ce également un moyen de faire en sorte que l’humain, très égocentré, cesse de penser qu’il est unique alors qu’il n’est qu’un être vivant parmi d’autres ?
Quand vous savez que les fourmis possèdent un sens de l’orientation ultradéveloppé et que cette capacité a aidé les ingénieurs à développer le GPS, vous cessez de les voir comme des êtres insignifiants.
« Les autres êtres vivants savent faire des tas de choses dont nous sommes incapables »
Les autres êtres vivants savent faire des tas de choses dont nous sommes incapables.
Le langage chez les animaux m’émerveillera toujours. On croit que le langage humain est le top du top, or il n’en est rien. L’humain possède des milliers de langages extraordinaires, mais les animaux arrivent à se parler de manière incroyable. La danse des abeilles permet à l’une d’entre elles de dire à ses congénères qu’il est possible de se rendre à un endroit en tant de temps, sous telles conditions et d’adapter ces informations en fonction de changements dans les paramètres quelques heures plus tard. C’est la reine du calcul.
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Est-ce un moyen de lever la barrière entre les espèces et nous faire avoir plus d’empathie à leur égard ?
Les animaux s’en fichent qu’on les aime. On peut très bien mal aimer. Ce qui compte, c’’est le respect, qu’on ne tue pas, qu’on ne fasse pas souffrir. Mieux appréhender la sensibilité et l’intelligence des animaux redonne de l’humilité aux humains qui se mettent sur un piédestal. L’humain se pense raffiné et intelligent. On dit des autres êtres vivants qu’ils sont nuls, bêtes, instinctifs, brutaux ou sales, le dénigrement est un bon moyen pour justifier l’exploitation.
« Mieux appréhender la sensibilité et l’intelligence des animaux redonne de l’humilité aux humain »
Au fil des années, vous avez parlé avec de nombreux spécialistes d’innombrables espèces. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Ce qui me marque le plus est que les gens que j’interviewe travaillent sur un animal dont ils ont compris tous ses talents. Du coup, ces spécialistes de telle ou telle espèce sont devenus de belles personnes en comprenant, et toutes le disent, que nous ne sommes que des animaux parmi d’autres, qu’ils nous inspirent et que nous avons plein de choses à apprendre d’eux. Ce travail sur les animaux rend heureux et épanoui. Ils ont un rapport apaisé et tolérant aux autres bien qu’ils soient aussi très conscients du drame qu’on vit avec la disparition de la nature.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les intelligences animales ?
Toutes les stratégies inventées par les animaux me bluffent beaucoup. J’ai récemment interviewé Laurent Tillon, spécialiste des chauves-souris. Personne ne les aime, pourtant les chauves-souris sont capables de véritables prodiges. Laurent Tillon m’a expliquée que quand elles traversent une mauvaise période, comme une sécheresse, certaines femelles vont s’auto-avorter et après, elles vont devenir des nourrices. C’est-à-dire qu’elles vont devenir chasseuses, une activité dangereuse, pour nourrir les mères et ainsi aider les petits. Cette extraordinaire stratégie de survie démontre une intelligence de groupe qui implique certes le sacrifice de certains.
« Les animaux m’ont appris qu’on ne peut pas tout contrôler »
Je suis aussi surprise par la communication animale. C’est incroyable de ne pas encore être né et de comprendre des choses en échangeant avec ses parents. Des études montrent en effet que les bébés, encore dans l’œuf parviennent à parler à leur parent. C’est dingue. Une mère caïman enterre ses œufs pour les laisser au chaud. Elle reste à proximité, tandis que, à un moment, un des petits va la prévenir qu’il va éclore. Ainsi que les autres œufs. La mère va alors déterrer les œufs, cela a été prouvé. C’est ce que m’expliquait Nicolas Mathvon, spécialiste de la communication animale. Il m’a aussi appris que certains oiseaux et certains serpents poussent des cris de sécheresses pour dire à leur progéniture encore dans l’œuf d’attendre que les conditions soient meilleures pour venir au monde.
Visionner l’interview de Laurent Tillon puis reprendre de notre interview
Et amusé ?
Les animaux, c’est très drôle. L’humour existe chez les animaux. Une femelle gorille d’un zoo est connue pour avoir, un jour, discrètement attaché entre eux les lacets du soigneur. Il s’est alors est cassé la figure devant la gorille, morte de rire.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’aller à la rencontre du vivant ?
C’est déjà aller à la rencontre de mes origines, me rappeler que je suis un animal, dimension que j’ai oubliée. Ce qui fait que j’ai oublié d’écouter, de toucher, de sentir et de regarder. C’est également aller en terre inconnue, c’est équivalent à voyager dans un pays où je ne connais pas la langue. Me rendre en forêt est pour moi comme aller en Chine, c’est un endroit avec plein de bruits, d’odeurs et de sensations que je ne connais pas, que je découvre. Il y a plein de vie même si je ne comprends pas tout. J’aime ce mystère des choses qui m’échappent. Les animaux m’ont appris qu’on ne peut pas tout contrôler, ce qui nous remet aussi à notre place. À vouloir toujours plus, on oublie d’être soi-même. Or, l’animal, dans sa spontanéité, est lui-même.
« L’animal, dans sa spontanéité, est lui-même »
Aller à la rencontre du vivant permet aussi de s’ouvrir à la beauté du monde, cela procure de la joie et du bonheur. On en a tous besoin. Personnellement, je ne peux pas être heureuse sans passer deux heures dehors.
Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les animaux ? Recréer du lien avec eux ?
Sortez au maximum, y compris en ville. Le moindre square et les pigeons ont beaucoup à offrir. Quand on veut bien voir la nature, elle est partout. Je voudrais rajouter qu’il faut aimer la nature telle qu’elle est. Il faut en finir avec les idées préconçues et être tolérant. Il n’y a pas de mauvaises herbes : le pissenlit ou les orties s’avèrent très bons pour la santé et ont permis aux gens de manger dans des périodes difficiles comme les guerres. Il en va de même pour le pigeon. Il a servi de messager durant la guerre. Il est devenu mal aimé depuis qu’un médecin américain l’a qualité de « rat volant » dans les années 1950 affirmant à tort que cet oiseau est vecteur de maladies.
« Quand on veut bien voir la nature, elle est partout. »
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Avez-vous un dernier mot ?
La nature est l’avenir de l’humain. Il n’y aura pas d’humain sans la nature.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Pour aller plus loin
Le site de L’animal et l’homme avec le programme des 8e rencontres des intelligences animales du 26 au 28 août 2023
La chaîne YouTube LLes intelligences animales de Yolaine de la Bigne pour y retrouver la plupart de ses entretiens
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