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Brésil: la « vallée de la misère » propulsée en eldorado du lithium

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Une pelleteuse remplit un camion-benne de blocs de pierres contenant du lithium, le 25 mai 2023 près d'Araçuai, dans l'Etat de Minas Gerais, au Brésil © AFP Douglas Magno

Araçuaí (Brésil) (AFP) – Dans un nuage de poussière grise, une pelleteuse remplit un camion-benne de blocs de pierres contenant du lithium, un minerai utilisé pour la fabrication de batteries de voitures électriques.

Le va-et-vient des poids lourds est incessant sur la terre rouge recouverte d’une couche grisâtre, au coeur de la vallée de Jequitinhonha, dans l’Etat de Minas Gerais, une des régions les plus pauvres du Brésil.

Longtemps surnommée la « vallée de la misère », cette région semi-aride où vivent près d’un million d’habitants est vue à présent comme un nouvel eldorado grâce à l’abondance du lithium, l' »or blanc » essentiel pour la transition énergétique.

Environ 85% des réserves du Brésil, cinquième producteur mondial de lithium, se trouvent dans la région.

Pour attirer les investisseurs étrangers, les autorités locales ont lancé en grande pompe le mois dernier le concept de « Lithium Valley » (la vallée du lithium), à New York, au siège du Nasdaq, la bourse des nouvelles technologies.

Une entreprise canadienne, Sigma Lithium, a déjà pris les devants. Fondée en 2012, elle a commencé à extraire du lithium dans la vallée de Jequitinhonha en avril.

L’objectif affiché: fournir suffisamment de minerai pour les batteries de plus de 600.000 véhicules électriques dès la première année, et trois fois plus quand la production aura atteint son rythme de croisière.

L’exploration du lithium n’est pas sans conséquence pour l’environnement, le traitement de ce minerai exigeant d’énormes quantités d’eau, alors que les réserves se trouvent surtout dans des régions frappées par la sécheresse.

Mais la compagnie s’affiche comme productrice de « lithium vert »: dans l’usine de traitement du minerai, 90% de l’eau est réutilisée par la suite et aucun produit chimique n’est employé, dit à l’AFP Ana Cabral-Gardner, PDG brésilienne de Sigma.

« Toute notre opération a été pensée en vue de résoudre l’équation entre l’activité minière et le développement durable », explique-t-elle.

Pour elle, le tournant a eu lieu en 2015, au moment de la rupture d’un barrage de résidus de minerai de fer à Mariana, une catastrophe environnementale sans précédent au Brésil, dans le même Etat de Minas Gerais, à environ 400 km au sud de la Vallée de Jequitinhonha. L’année suivante, son fonds d’investissement est devenu le premier actionnaire de Sigma.

Ana Cabral-Gardner explique que la mine du site Grota do Cirilo est scindée en deux, pour préserver un petit cours d’eau qui la traverse, même si cela représente un important manque à gagner.

Mais l’idée de transformer la région en « vallée du lithium » ne fait pas l’unanimité.

« Ici, c’est la vallée de Jequitinhonha, on ne peut pas faire passer un minerai devant notre identité », dit Aline Gomes Vilas, 45 ans, membre du Mouvement des personnes atteintes par des barrages miniers (MAB), qui estime que les populations locales n’ont pas été suffisamment consultées.

Elle vit à Araçuai, une des villes voisines de la mine de Sigma. « C’était une région calme, rurale, et maintenant le vacarme est permanent. On voit déjà des maisons aux murs fissurés à cause des explosions » dans la roche, dont les gravats son ramassés par les pelleteuses pour être chargés dans les camions et être traités dans l’usine.

« Pour l’instant, ils creusent encore assez loin de chez moi, mais la poussière me gêne déjà. Imaginez quand ça arrivera près d’ici ».

« Cette région a déjà vécu une ruée vers l’or, le diamant, mais cela n’a jamais amené de développement (…). La transition énergétique est nécessaire, mais elle doit se faire de façon juste », estime Ilan Zugman, directeur de l’ONG 350.org pour l’Amérique Latine.

Elaine Santos, chercheuse de l’Université de Sao Paulo (USP), critique par ailleurs le fait que le lithium extrait au Brésil est presque exclusivement destiné à l’exportation, « tandis que l’Europe et les Etats-Unis développent des stratégies sur l’ensemble de la chaîne, des mines à la production de voitures électriques ».

« Le Brésil risque d’approfondir sa dépendance, en demeurant un pays qui exporte surtout des matières premières, avec une faible valeur ajoutée », déplore-t-elle.

L’extraction de lithium dans le pays remonte aux années 1920, mais la donne a changé après un décret pris en juillet 2022, lors de la dernière année du mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Ce décret a rendu ce marché plus attractif pour les investisseurs étrangers, en levant notamment des restrictions sur l’exportation de ce minerai.

Et un envoyé du gouvernement de son successeur de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva, était à New York pour soutenir activement le lancement de la campagne de promotion de la Vallée du lithium.

Au Chili, deuxième producteur mondial de lithium, son homologue Gabriel Boric, également de gauche, a au contraire annoncé récemment des mesures pour renforcer le contrôle de l’Etat sur son extraction.

© AFP

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