Lyon (AFP) – A Lyon, Bordeaux ou Strasbourg, villes symboles de la vague écologiste des municipales de 2020, les maires s’emploient à imprimer leur marque verte en composant avec les chausse-trappes de la réalité du pouvoir.
Végétalisation, transports, mesures sociales: les nouveaux édiles, qui ont décrété « l’état d’urgence climatique », se targuent à mi-mandat d’avoir lancé quelques plans ambitieux, malgré les critiques d’opposants les taxant de dogmatisme ou dénonçant l’absence de grands projets urbains.
Depuis trois ans, malgré la crise du Covid et la hausse des prix de l’énergie, les chantiers foisonnent: végétalisation, nouvelles politiques de mobilités et d’aménagement urbain, « apaisement » des centres-villes – piétonnisation de la presqu’île à Lyon à l’horizon 2030, 30 km/h en ville à Bordeaux- , fermes urbaines, nourriture « 100% bio et 50% local » dans les cantines scolaires de Lyon, etc…
« Plus nous aurons affaire à un État défaillant sur les engagements climatiques, plus nous serons attendus sur ces terrains-là. Nous ne devons pas décevoir », plaide l’avocat Pierre Hurmic, 68 ans.
Pour cet opposant historique d’Alain Juppé, élu à la surprise générale à Bordeaux après 73 ans de règne de la droite, « l’échelon municipal est le plus pertinent pour présenter des politiques innovantes » en la matière.
Les maires EELV se sont aussi engagés à des degrés divers dans la démocratie participative, des politiques inclusives pour le sport et la culture, l’économie sociale et solidaire, des plans de sobriété énergétique ou des projets d’encadrement des loyers comme à Bordeaux et Lyon.
Ils prônent « la grande politique des petits travaux », avec des équipes rajeunies et féminisées.
L’idée, dans un contexte budgétaire resserré, est d’agir sur le quotidien et de convaincre, notamment en coordonnant l’action des villes « vertes » avec l’objectif de réélection en 2026.
Et pour faire bouger les lignes, ils se substituent parfois à l’État, comme Jeanne Barseghian, première écologiste à diriger Strasbourg, qui a lancé un programme de gratuité pour les moins de 18 ans dans les transports publics et veut répondre « aux besoins sociaux nouveaux qu’induisent les changements » climatiques.
A Bordeaux, Pierre Hurmic a créé un « label bâtiment frugal », pour un mode de construction plus économe et local. La métropole de Lyon expérimente, elle, le « Revenu solidarité jeunes », qui accompagne les 18-24 ans sans soutien ni formation.
Mais après le tournant historique de 2020 qui a également vu Annecy, Besançon, Poitiers ou Tours passer aux Verts, l’état de grâce n’a pas duré.
Souvent néophytes, les maires ont rapidement buté sur l’opposition farouche de certains administrés, de majorités sortantes remontées et, parfois, de responsables gouvernementaux questionnant leur légitimité. Quitte à souffler sur les braises des polémiques déclenchées par les propos des impétrants (sapin de Noël qualifié « d’arbre mort » à Bordeaux, Tour de France jugé « machiste et polluant » à Lyon, etc.).
« À Lyon après avoir vendu du rêve, ils divisent les gens : le maire (Grégory Doucet) a adopté une posture militante », accuse l’opposant Yann Cucherat, héritier de l’ex-maire Gérard Collomb.
Ancien cadre humanitaire de 49 ans, encore inconnu politiquement six mois avant son élection, Grégory Doucet a depuis poli ses sorties.
« Quand vous êtes novice et que vous avez affaire à des professionnels de la politique (…) cela prend du temps d’assimiler les règles du jeu », relève Romain Meltz, politologue et enseignant à l’université Lumière Lyon 2.
Au mitan des mandats, les détracteurs des Verts déplorent surtout l’absence de grands projets emblématiques. Nicolas Florian, l’ancien maire de Bordeaux devenu premier opposant, dénonce ainsi « beaucoup d’incantations et derrière peu de réalisations ».
« Dans ces municipalités on a vu peu de choses spectaculaires, même du point de vue de l’écologie. Cela n’a pas encore percé au plan national », observe Bruno Cautrès, du Cevipof de Sciences Po.
« Quand on va lutter contre des fuites d’eau dans le sous-sol et d’autres politiques environnementales ou d’équipement ça ne se voit pas forcément », mais vélos, espaces végétalisés et travaux de transports en commun se multiplient, répond Bruno Bernard, patron écologiste de la puissante métropole de Lyon, qui appuie la municipalité avec ses 3 milliards d’euros de budget.
« Le temps où on construisait une grande tour en disant : +Voici ma signature de mandat+, c’est fini « , tranche Jeanne Barseghian, 42 ans. « On se concentre d’abord sur les besoins du quotidien, c’est moins spectaculaire mais ça transforme la vie des gens ».
Grégory Doucet veut aussi rendre Lyon « inspirante » par son engagement climatique et son credo affiché de « redevabilité », revendiquant notamment « l’inversion de l’artificialisation des sols de la ville » (3 hectares gagnés sur le bitume) et des travaux d' »apaisement » autour d’un tiers des écoles.
Les oppositions reprochent aussi pèle-mêle aux Verts fiscalité et endettement en hausse, engorgement du trafic ou politiques de sécurité insuffisantes.
Le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ont ainsi accusé Grégory Doucet d' »inaction », notamment en matière de vidéosurveillance.
« Le maire n’est pas là pour se substituer à l’État, qui assure la sécurité publique quand le maire gère la tranquillité publique », rappelle Pierre Hurmic, visé par les mêmes critiques.
Calendrier de la ZFE (zone à faible émission) assoupli à Lyon, construction d’une nouvelle rue commerçante à Bordeaux initialement promise à l’abandon, annulation du revenu communal de base à Strasbourg ou du téléphérique à Lyon: même quand les Verts cèdent du terrain, leurs opposants parlent d’échec. Les élus, eux, demandent du temps.
Sur la question cruciale des difficultés de circulation, les écologistes assument de promouvoir les mobilités « douces », quitte à froisser les automobilistes comme à Strasbourg, où la forte hausse du prix du stationnement fait grincer des dents.
« La pollution de l’air tue prématurément des milliers de nos concitoyens. Le statu quo ne peut pas être une option », affirmait récemment Bruno Bernard, vantant la réduction de 10% du trafic automobile dans la métropole lyonnaise entre 2019 et 2022.
« Un certain nombre de choix politiques que nous avons réalisés dérangent. Certains y voient des positions doctrinaires », mais « elles correspondent à des aspirations des gens ayant voté pour nous », fait valoir Grégory Doucet, déjà candidat à sa succession en 2026.
© AFP
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