Saison brune 2.0 (nos empreintes digitales) publié aux éditions Delcourt est la dernière bande-dessinée de Philippe Squarzoni. Mêlant récit et un travail d’enquête très documenté, elle s’intéresse aux impacts du numérique. Sa démarche part d’une expérience personnelle. L’auteur, également père d’une fille, explique se poser la question de « savoir comment gérer son rapport aux écrans, son rapport au numérique. Comment ne pas la couper du monde dans lequel on vit ? Et en même temps la protéger de l’empire des réseaux sociaux, de l’addiction et de la marchandisation du monde par le numérique ? ». Ces questionnements ont abouti à un ouvrage d’enquête sur les technologies, sujet « laissé de côté dans le précédent volume ».
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Dans sa bande-dessinée Saison brune 2.0, Philippe Squarzoni reste dans la continuité de sa bande dessinée Saison brune parue dix ans plus tôt. Tandis que le premier opus traitait de la question du réchauffement climatique, Saison brune 2.0 aborde quant à lui le rôle croissant des technologies numériques et de leur influence. L’auteur se met alors en scène aux côtés de sa fille durant la période du confinement de l’année 2020 tout en se posant des questions sur l’avenir de la société. Dans un cadre de villes où les rues sont désertées du fait du confinement, c’est une réflexion sur l’évolution du monde qui s’amorce.
Le cadre d’un monde postapocalyptique
L’auteur nous transporte dès les premières planches dans un monde postapocalyptique grâce notamment aux illustrations de villes abandonnées. Lui et sa fille ado se posent en même temps de nombreuses questions sur nos différentes interactions avec les technologies.
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Les impacts de la transition de nos sociétés vers le numérique
Malgré un ralentissement dans la narration, le propos demeure intéressant. L’auteur ne manque pas de souligner les impacts importants que le confinement lié à la pandémie du Covid-19 a eu sur notre rapport au numérique. En quelques semaines seulement, la crise sanitaire a accéléré la transition pourtant déjà rapide auparavant vers une société dématérialisée. « Télétravail…, consultations en ligne…, e-commerce…, pour garder le lien avec ses proches…, effectuer des démarches administratives…, continuer à se tenir informé…, occuper les enfants…, […], apéros Skype…, soirées Netflix…, Click and Collect…, commandes Uber… », énumère Philippe Squarzoni dans une case de son ouvrage. Tous ces nouvelles pratiques numériques, qui ont changé nos vies, sont mises à la lumière du jour par l’auteur. Il rapporte également comment les géants de la technologie, tels que les GAFAM (Google Facebook Amazon et Microsoft, 4 des plus grandes entreprises occidentales du secteur), ont largement profité de cette période difficile, puisque les achats en ligne ont connu une croissance exponentielle. Ces nouveaux comportements de consommation se sont rapidement installés dans notre quotidien et risquent de perdurer longtemps.
Les conséquences environnementales du numérique
L’auteur pointe également du doigt les conséquences environnementales de cette transition vers un monde virtuel. Il rappelle que les entreprises du numérique se disent vertes au motif qu’elles proposent beaucoup de services dématérialisés en omettant l’impact environnemental de la production du matériel requis pour les faire fonctionner. Philippe Squarzoni a aussi affirmé avoir été surpris dans son enquête par « la gabegie énergétique du secteur ». Une idée alimentée, selon lui par la croyance que « comme c’est numérique, il n’y a pas d’impact ». Les centres de données, véritables « monstres énergivores », nécessitent une quantité phénoménale d’électricité pour fonctionner, et leur empreinte carbone est loin d’être négligeable. De plus, la fabrication des appareils numériques, comme les smartphones et les ordinateurs, nécessite l’extraction de ressources naturelles limitées. L’obsolescence programmée, qui pousse à remplacer nos appareils plus fréquemment, aggrave encore ces problèmes écologiques.
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En parallèle, l’auteur critique le modèle économique des grandes entreprises technologiques. Il dénonce leur quête effrénée de profits et leur exploitation des utilisateurs. Les géants du numérique collectent nos données personnelles et les utilisent pour la publicité ciblée. Ils exercent également une surveillance constante sur nos vies, privant ainsi les individus de leur vie privée. L’auteur appelle à une régulation plus stricte de ces entreprises pour préserver l’équilibre entre progrès technologique et respect des droits fondamentaux.
Les aspects positifs du numérique ne sont pas oubliés
Malgré ces constats inquiétants, Saison Brune 2.0 propose un discours nuancé sur le numérique. L’auteur reconnaît que les technologies ont apporté des avantages indéniables à notre société, facilitant la communication et l’accès à l’information. Cependant, il rappelle avec force que le tout numérique ne garantit en aucun cas une réduction de notre empreinte écologique.
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Les dessins captivants poussent le lecteur à tourner les pages avec impatience. L’approche réaliste laisse aussi la part belle à des hommages à des films connus. Du récit, l’ouvrage dérive vers l’enquête et le documentaire. Au fil du texte le livre se transforme pour fa+ire la part belle aux schémas, graphiques et infographies, une surabondance de données qui rend le texte un peu monotone, ce qui peut effrayer ou perdre le lecteur. L’effort en vaut pourtant la peine puisque cette BD permet de réfléchir à la place du numérique dans nos sociétés. Philippe Squarzoni justifie sa démarche : « je me rend compte que les gens vont plus volontiers vers une BD qu’un ouvrage parce qu’ils se disent que c’est plus facile. Pourtant quand vous lisez Saison brune 2.0, je ne sais pas si c’est tellement plus facile. La plus-value de la BD réside dans la narration. La combinaison d’une image plus un texte s’avère plus efficace et confère une valeur supplémentaire à ce qu’on dit. »
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En conclusion, Saison Brune 2.0 est une bande-dessinée engagée qui explore les impacts environnementaux et sociaux de l’essor croissant du numérique. L’auteur met en scène sa propre expérience pendant les confinements pour nous amener à réfléchir sur notre relation avec la civilisation numérique et à prendre conscience de l’urgence climatique. Accessible tant aux jeunes qu’aux adultes, cette bande dessinée s’adressent à ceux qui voudraient en apprendre plus sur un des phénomènes majeurs du siècle en cours.
David Castex, notre stagiaire de seconde
Pour aller plus loin
Saison Brune 2.0 (Nos empreintes digitales), par Philippe Squarzoni , édition Délcourt, 21.90 euros (physique) ou 14.99 euros (numérique)
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