Paris (AFP) – Le retard pris par les projets d’infrastructure d’hydrogène est un « péril » pour l’agenda climatique en Europe, affirme Pierre-Etienne Franc, directeur-général du fonds d’investissement Hy24, l’un des plus importants du monde à s’être spécialisé dans l’hydrogène bas carbone, lors d’un entretien avec l’AFP.
« Alors que le nombre de projets liés à l’hydrogène s’envole en Chine, la dynamique est ralentie en Europe où il faut lever au plus vite les incertitudes réglementaires » pour ne pas louper la transition énergétique et pour freiner le réchauffement des températures lié à l’activité humaine, en particulier à l’industrie lourde, estime M. Franc.
Ancien haut responsable du groupe français Air Liquide, il a cofondé en 2021 Hy24, une société de gestion qui a déjà levé 2 milliards d’euros avec des industriels et investisseurs européens, américains, asiatiques et le français Ardian, afin de « promouvoir l’Ecosystème mondial de l’hydrogène décarboné ».
[À lire aussi Quelles perspectives pour l’hydrogène ?]
Où en sont les projets d’infrastructures en matière d’hydrogène dans le monde? Et depuis le lancement de votre premier fonds dédié au sujet?
Selon le Conseil mondial de l’hydrogène, dans son dernier rapport de 2023, la dynamique a presque doublé en un an avec plus de 1.000 projets annoncés, soit 320 milliards de dollars d’investissements au niveau mondial.
Hy24 a pour sa part investi dans quatre sociétés, deux développeurs de projets, Hy2Gen, Everfuel au Danemark, ainsi que dans la branche renouvelable et hydrogène d’Enagas en Espagne, et dans le réseau européen de stations hydrogène le plus développé en Europe, H2 Mobility Deutschland.
Pourquoi insister sur l’hydrogène, alors qu’on ne parle que d’électrification du monde pour remplacer les énergies fossiles émettrices de CO2 ?
Si on veut décarboner l’industrie lourde et les secteurs énergivores comme le transport intensif (des taxis aux camions en passant par les bateaux et les avions), l’hydrogène est essentiel en complément de l’électricité.
Mais pour être propre, il doit être produit à partir d’énergies renouvelables ou décarbonées, c’est-à-dire à partir de l’électrolyse de l’eau (H20) avec de l’électricité d’origine éolienne, solaire ou nucléaire, ou extrait du gaz naturel, le méthane (CH4), en y associant le captage et le stockage du CO2 émis, notamment si cela permet d’aller plus vite pour réduire les émissions.
Le déploiement massif de l’hydrogène est un indicateur avancé du déploiement de la transition énergétique, c’est son étalon. Plus vous le déployez vite, plus cela veut dire qu’on s’occupe des secteurs les plus intensifs en émission de CO2, c’est-à-dire des industries de base qui émettent le plus, raffinage, engrais, ciment, acier ou chimie. Pour cela, on a besoin d’une planification ambitieuse et d’échéances fermes.
L’hydrogène doit aussi pouvoir venir des pays les plus compétitifs en énergies renouvelables, comme l’Espagne ou les pays du Maghreb. L’usage du nucléaire comme autre vecteur pour l’électrolyse est pertinent, mais la rénovation du parc installé va prendre beaucoup de temps, il y a des conflits d’usage de l’électron, et les projets de renouvelables en Europe sont souvent trop petits, trop longs et trop chers.
[À lire aussi Aurélien Bigo : « les capacités des voitures thermiques ou électriques sont surdimensionnées par rapport aux usages réels »]
Que fait l’Europe sur l’hydrogène ?
La Commission a prévu que l’Europe produise 10 millions de tonnes d’hydrogène décarboné et en importe 10 millions de tonnes d’ici 2030. Encore faut-il que les infrastructures d’importation d’hydrogène ou d’ammoniac existent. A date, nous prenons du retard.
Les débats sur la réglementation sur les énergies renouvelables (RED) ont ralenti sa finalisation à Bruxelles. L’incertitude réglementaire gêne fortement la prise de décision d’investissement. Par exemple, pour les productions existantes à base de gaz naturel, la réglementation aurait pu fixer une échéance de lancement des solutions de CCS (capture et stockage) dans la décennie ou de déploiement des solutions d’électrolyse avec l’accompagnement financier idoine. Sur ce point, la réglementation laisse des questions.
Pendant ce temps, la Chine avance. Elle a 150 fournisseurs d’électrolyseurs déclarés, plus de la moitié des capacités de fabrication et produit actuellement près de 50% de l’hydrogène par électrolyse.
Quelle est la situation en France ?
La France a été très vite pour soutenir les équipementiers, ceux qui vont produire des réservoirs, des piles, des électrolyseurs, comme Genvia, Alstom, Forvia, Symbio, McPhy ou John Cockerill.
L’enjeu désormais, c’est de déployer en aval les infrastructures d’usage et de transport.
© AFP
À lire aussi
« Zéro nuisance »: quand la croisière fluviale vogue à l’hydrogène
Le pipeline d’hydrogène H2Med entre Barcelone et Marseille sera étendu à l’Allemagne
Ecrire un commentaire