L’Anthropocène a désormais son site emblématique mais reste loin d’être officialisée

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Vue aérienne du lac Crawford, près de Milton, le 12 avril 2023 au Canada © AFP Peter POWER

Paris (AFP) – Le lac Crawford, près de Toronto au Canada, a été choisi mardi comme le site de référence mondial du commencement de l’Anthropocène, cette nouvelle époque géologique caractérisée par l’impact de l’humanité sur la Terre que des scientifiques tentent de faire reconnaître officiellement.

Les sédiments stratifiés au fond de cette petite étendue d’eau d’un kilomètre carré, chargés de microplastiques, de cendres de combustion du pétrole et du charbon, et de retombées des explosions de bombes nucléaires, constituent la meilleure preuve qu’un nouveau chapitre de l’histoire de la Terre s’est ouvert, ont conclu les membres du groupe de travail sur l’Anthropocène.

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Mais l’approbation officielle par les autorités géologiques mondiales que la Terre serait sortie de l’Holocène, la période débutée il y a environ 12.000 ans à la fin de la dernière glaciation, pour entrer dans l’Anthropocène, l' »époque de l’Humain », reste très incertaine.

« Ce vote au sein du groupe de travail est une étape de routine du plus bas niveau », a commenté auprès de l’AFP Stanley Finney, le secrétaire général de la puissante Commission internationale de stratigraphie (ICS) à laquelle le groupe doit encore soumettre les conclusions de ses travaux entamés en 2009.

« Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils pourront être soumis à un examen par les pairs et que les preuves et les arguments pourront être véritablement évalués », a ajouté le scientifique qui pilote cette commission chargée d’élaborer la frise découpant méthodiquement les 4,6 milliards d’années de l’histoire de la Terre en ères, périodes et époques géologiques.

De l’avis général, une approbation sera très difficile. Des géologues de renom estiment que les critères techniques ne sont pas remplis pour qualifier l’Anthropocène de nouvelle « époque », même s’ils reconnaissent qu’une rupture s’est produite au XXe siècle.

Equilibres naturels rompus

Si la barre du vote à la majorité des deux-tiers de l’ICS et auparavant d’un sous-comité était franchi, les partisans de l’Anthropocène devrait encore convaincre les gardiens de l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS), réputés intransigeants sur les modifications de la Charte chronostratigraphique internationale.

La route est encore longue mais une étape majeure a toutefois été franchie avec le choix de ce lac canadien comme incarnation physique de l’Anthropocène, parmi une liste finale de neuf candidats, dont les sédiments d’une baie du Japon, la boue d’un cratère en Chine, les trace dans une carotte glaciaire ou celles sur des récifs coralliens.

« Les données montrent un changement clair à partir du milieu du XXe siècle, amenant le système terrestre au-delà des limites normales de l’Holocène », a déclaré à l’AFP Andy Cundy, professeur à l’Université britannique de Southampton et membre du groupe de travail.

Les sédiments du lac Crawford, extraordinairement stables car les eaux en profondeur et en surface ne se mélangent pas, « reflètent le point de basculement dans l’histoire de la Terre, lorsque le système terrestre a cessé de se comporter comme il l’avait fait pendant 11.700 ans », a expliqué Francine McCarthy, professeure canadienne qui a mené les recherches sur le lac, lors d’une conférence de presse en ligne mardi.

Le lac porte la marque de l’influence humaine avant et pendant la colonisation, mais « à aucun moment il n’y a eu de changement mondialement synchrone par rapport aux évolutions de la Terre jusqu’à cette +grande accélération+ du milieu du 20ème siècle », a-t-elle expliqué.

Et ces changements se manifestent de façon spectaculaire : la première semaine de juillet a été la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, des incendies de forêt hors de contrôle ravagent le Canada depuis des mois, tandis que les États-Unis et la Chine sont confrontés à une chaleur, des inondations et une sécheresse sans précédent.

 Plutonium

Les traces de l’activité humaine – microplastiques, polluants chimiques éternels, espèces invasives, gaz à effet de serre … – sont partout, du sommet des montagnes aux fonds des océans, et les désordres qu’elles engendrent sont nombreux – changement climatique, pollution, perte de biodiversité – au point de rompre les équilibres naturels du globe.

Le mois dernier, des scientifiques ont annoncé que la quantité d’eau pompée dans les réservoirs souterrains était telle que le pôle Nord géographique de la Terre s’était déplacé de près de cinq centimètres par an.

Pour retenir un site comme l’incarnation d’un changement de période géologique, les règles de l’ICS exigent d’identifier un « marqueur primaire » synchrone qui soit détectable dans les archives géologiques presque partout sur la planète.

Pour l’Anthropocène, le plutonium rejeté par les essais de bombes à hydrogène fournit cette « empreinte mondiale », car il y en a très peu à l’état naturel, défend Andy Cundy.

Cela signifie que 1952, année où les États-Unis ont fait exploser pour la première fois une énorme bombe à hydrogène dans les îles Marshall à titre d’essai, pourrait devenir le point de départ de l’Anthropocène, selon lui.

Dans les sédiments du lac Crawford, cette rupture s’observe sur seulement 15,6 centimètres, a souligné Colin Waters, président du groupe de travail, lors de la conférence de presse: « cela semble peu (..) mais cette épaisseur est suffisante pour comprendre et constater un changement très important qui s’est produit au cours des années 1950 ».

© AFP

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