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« Les reins de Calcutta », ces zones humides de l’Inde menacées par l’expansion urbaine

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Les zones humides à l'est de Calcutta, le 21 mars 2023 en Inde © AFP DIBYANGSHU SARKAR

Calcutta (Inde) (AFP) – Le vieux pisciculteur bengali Tapan Kumar Mondal, qui a passé sa vie dans les zones humides à l’Est de Calcutta, s’inquiète des pressions urbaines exercées de nos jours sur cet écosystème vital pour la mégapole indienne, surnommé: « les reins de Calcutta ».

« Nous détruisons peu à peu l’environnement », déplore l’ancien pisciculteur de 71 ans auprès de l’AFP, « la pression qu’exerce la population, aujourd’hui plus nombreuse qu’avant, nuit au milieu naturel ».

Depuis plus d’un siècle, ces zones humides, qui s’étendent sur 125 km2, servent de « station d’épuration biologique » à l’agglomération indienne de 14 millions d’habitants, grâce à la pratique de la pisciculture.

« C’est un cas unique, car les eaux usées de la ville y sont traitées naturellement », déclare à l’AFP, K. Balamurugan, chef du département de l’Environnement de l’Etat du Bengale-Occidental (est).

« C’est pour cette raison qu’on les surnomme +les reins de Calcutta+ », ajoute-t-il.

Chaque jour un ingénieux système de canaux achemine environ 60% des eaux usées produites par la capitale du Bengale-Occidental, soit 910 millions de litres, vers les bassins des zones humides.

« Comme le niveau d’eau n’y excède pas 1,50 m, la lumière du soleil combinée aux eaux usées provoque une explosion de plancton en quinze ou vingt jours », explique M. Balamurugan.

Ce plancton riche et abondant alimente les étangs à poisson exploités par des fermes piscicoles, qui font l’élevage notamment de carpes et de tilapias.

Les effluents de ces plans d’eau, couverts de jacinthe d’eau, servent à l’irrigation des rizières et les déchets organiques sont utilisés comme engrais pour la production maraîchère.

La pratique de la pisciculture permet ainsi non seulement de traiter gratuitement les eaux usées de la ville mais de lui fournir quelque 150 tonnes de légumes par jour et 10.500 tonnes de poisson par an à moindre coût.

Dans cette région du delta du Gange, bordée par l’Océan indien et menacée par la montée des eaux, les zones humides jouent un rôle crucial dans le contrôle des crues.

« Calcutta n’a jamais été confrontée à un problème d’inondation, car les zones humides agissent comme une éponge en absorbant l’excès d’eau de pluie » pendant les moussons, ajoute M. Balamurugan.

 « Planche de salut « 

Ces zones humides sont inscrites sur la liste de la Convention intergouvernementale Ramsar qui s’inquiète de « l’expansion urbaine » menaçant cette mini-biosphère.

Selon Dhruba Das Gupta, chercheuse au sein de SCOPE, organisation non gouvernementale de recherche sur les écosystèmes, ces zones humides sont « bien plus que les reins de Calcutta (…) elles représentent sa planche de salut ».

Elles contribuent à réguler les conditions climatiques locales, en particulier les précipitations et les températures, aux effets favorables à l’agriculture et à la conservation des écosystèmes naturels, dont les zones humides elles-mêmes.

« Les zones humides doivent être conservées en raison de la fraîcheur que procurent les étendues d’eau en présence », déclare Mme Das Gupta à l’AFP. « C’est un élément fondamental dans la stabilisation du climat de la ville, prévenant le réchauffement ».

Un cercle vertueux y est l’oeuvre et, selon l’experte qui s’en préoccupe depuis 25 ans, les pisciculteurs en sont les principaux garants.

Aussi, Mme Das Gupta cherche actuellement à financer une étude pour déterminer la surface précise d’étangs piscicoles encore « pleinement actifs », le nombre de personnes qui y travaillent toute l’année et le rendement de la production de poisson.

Grâce à la pisciculture, la municipalité de Calcutta (KMC) économise l’équivalent de 64,4 millions de dollars par an en coût de traitement de ses eaux usées, selon une étude de l’Université de Calcutta publiée en 2017.

Ce qui fait de Calcutta, selon l’expression du premier défenseur de ses zones humides Dhrubajyoti Ghosh, une « ville écologiquement subventionnée ».

« Les zones humides ont rétréci », ajoute la spécialiste, « mais le plus important est le nombre total d’hectares de plans d’eau restants ».

Les niveaux de production ont changé, la population a augmenté, des constructions empiètent sur les espaces de production tandis que les prix de la terre flambent.

« La terre est arrachée aux gens », regrette Sujit Mondal, un pisciculteur de 41 ans.

 « Très corrompues »

Mais K. Balamurugan argue que 95% des zones humides étant des propriétés privées, les autorités sont seulement en droit d’empêcher que des plans d’eau soient comblés et les constructions sauvages.
© AFP
Vente de poissons sur un marché dans les zones humides à l’est de Calcutta, le 21 mars 2023 en Inde
© AFP DIBYANGSHU SARKAR

« La propriété privée, c’est sur le papier mais dans la pratique, il y a nombre de problèmes fonciers », répond Mme Das Gupta.

« Les panchayats, collectivités rurales, sont très corrompues », poursuit-elle, « les résidents les accusent souvent d’accorder des permis de construire officieux aux promoteurs contre de l’argent ».

Seule l’autorité de gestion des zones humides (EKW Management Authority) est habilitée à délivrer des permis de construire.

Des hommes de main vont même jusqu’à voler le poisson à même les étangs en pleine nuit, pour ruiner les pisciculteurs et les pousser à partir.

« Ils font pression sur les pisciculteurs les poussant à abandonner leur gagne-pain », ajoute-t-elle, « puis, ils prennent le contrôle du terrain ».

© AFP

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