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À la rencontre du vivant avec Pierre Déom de la Hulotte : « la nature offre un trésor avec des milliers de choses à voir et à découvrir »

pierre déom la hulotte

Pierre Déom, rédacteur et illustrateur de la Hulotte Photo DR La Hulotte

La Hulotte évoque deux choses bien distinctes mais en lien avec le vivant. Il y a bien sûr la chouette hulotte, que tout le monde, ou presque, connaît et il y a, à la fois culte et un peu confidentielle, la revue du même nom. En plus de 50 ans, la revue la Hulotte a su fédérer une communauté de passionnés de la faune et de la flore. Même si La Hulotte se destine toujours aux plus jeunes, son ton décalé et sa rigueur scientifique en font une référence que beaucoup continuent de suivre. Distribuée par abonnement à plus de 140 000 personnes, chaque numéro du « journal le plus lu dans les terriers » conduit le lecteur à la rencontre d’une espèce différente : le lierre, le pierrot amoureux ou encore la Bouvière, un petit poisson aussi nommé petit Seigneur des Naïades… La prochaine espèce abordée demeure un mystère et suscite l’attente des lecteurs de la revue à la périodicité incertaine. Pierre Déom, ancien instituteur aujourd’hui âgé de 74 ans, est le rédacteur et dessinateur derrière chaque numéro. Dans cet entretien, ce féru de nature revient avec nous sur cette belle aventure improbable et sur son rapport au vivant dans cet entretien.

Qu’est-ce qui vous anime depuis des décennies à faire vivre La Hulotte ?

C’est la passion pour la nature et le fait de la voir disparaître. Ce qui est assez paradoxal car j’ai découvert la nature tardivement en commençant par faire du baguage d’oiseaux pour le compte du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Cette activité m’a fait prendre conscience de la disparition extrêmement rapide des milieux naturels, comme les haies, les sous-bois, les buissons ou les mares, en raison du remembrement agricole. Dans le même temps, je lisais les premiers livres sur l’écologie, comme le Jugement Dernier de Gordon Rattray Taylor, qui alertaient déjà sur les problèmes qui nous tombent dessus maintenant. Le réchauffement climatique, la pollution par les nitrates et les pesticides, le trou de la couche d’ozone et la disparition extrêmement rapide de la biodiversité étaient déjà en germe et préoccupaient les scientifiques. Cela m’a affolé. Avec des camarades, cela nous a aussi pousser à créer une petite association départementale de protection de la nature dans les Ardennes. C’était au moment des Trentes Glorieuses, le public n’était pas réceptif aux discours sur l’environnement. C’est pourquoi nous avons décidé de nous adresser aux enfants, à travers une revue distribuée d’abord dans les écoles, pour leur dire que la nature offre un trésor avec des milliers de choses à voir et à découvrir. C’est une manière de dire qu’il faut prendre en compte la nature, car elle n’est pas forcément éternelle.

« La nature offre un trésor avec des milliers de choses à voir et à découvrir. »

En une phrase, pour celles et ceux qui ne connaitraient pas encore, comment définiriez-vous La Hulotte ?

C’est une revue uniquement illustrée de dessins en noir et blanc à la plume et qui présente la faune et la flore de France. On fait des articles très complets sur une espèce en particulier afin d’expliquer comment elle vit. En effet, on pourrait écrire un livre sur chaque espèce tant la manière dont elle vit, se comporte, ses interactions et ses interdépendances s’avère complexe et passionnante.

« Il faut prendre en compte la nature, car elle n’est pas forcément éternelle. »

[À lire aussi La Hulotte, « journal le plus lu dans les terriers », fête son 100e numéro]

D’où provient votre passion pour toute cette faune et flore qui nous entourent ? Vous avez souvent dit qu’elle trouve son origine dans votre enfance à la campagne mais que vous n’y prêtiez pas attention à l’époque avant de venir en ville pour étudier ? Est-ce vrai ? Quel a été le déclic ?

C’est vrai. Comme beaucoup d’enfants des campagnes, à part construire des cabanes dans la nature, on ne s’y intéressait pas et on ne connaissait pas grand-chose. J’étais plutôt un rat de bibliothèque passionné d’Histoire. C’est en allant à Charleville-Mézières faire mes études pour devenir instituteur que j’ai découvert que je ne supportais pas la ville et que j’ai développé une grande nostalgie de la campagne, des bois et de la nature. Ce sentiment a été attisé par la lecture du roman Raboliot de Maurice Genevoix qui raconte les aventures d’un braconnier. J’ai été fasciné de voir la connaissance complète du milieu et du comportement des animaux qu’avait le personnage qui connaissait les lieux aussi bien que les animaux. Je suis ensuite allé voir un des surveillants de l’École Normale qui pratiquait le baguage, c’est ainsi que tout s’est enclenché.

« J’ai développé une grande nostalgie de la campagne, des bois et de la nature. »

La Hulotte mélange à la fois culture populaire et rigueur scientifique, avez-vous l’impression que la place du vivant s’estompe dans la culture populaire ? Ou, au contraire, se renforce-t-elle ? Est-ce que le rapport à la nature des Français a changé ?

Il y a une prise de conscience très forte et généralisée qui va parfois presque trop loin parce que c’est devenu une religion sur laquelle il est désormais difficile d’avoir un avis dissident. Ce qui m’inquiète beaucoup. Les gens éprouvent maintenant une grande sympathie pour le monde naturel, après savoir si cela se transpose dans les actes, c’est une autre affaire.

« Les gens éprouvent maintenant une grande sympathie pour le monde naturel, après savoir si cela se transpose dans les actes, c’est une autre affaire. »

De plus, aujourd’hui, bien plus qu’à l’époque de ma jeunesse, beaucoup d’enfants sont très savants sur la nature. Il suffit de se rendre dans une libraire pour voir la richesse du rayon nature avec ses guides, ses livres illustrés sur les espèces animales et végétales.

De quelle manière faire vivre cette culture populaire du vivant pour qu’elle ne s’estompe pas, notamment avec l’urbanisation du pays ?

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur l’emprise sur les enfants des smartphones et des tablettes qui font qu’on sort moins. Certaines personnes ne s’intéresseront jamais à la nature. Néanmoins, c’est souvent chez les enfants frustrés de nature que cette soif de voir, d’apprendre, d’observer et de connaître va se déclencher. Je pense que de plus en plus de jeunes se passionnent pour tous les domaines du vivant. Quand j’étais jeune, on ne s’intéressait guère qu’aux oiseaux.

De surcroît, les observations de ces passionnés de plus en plus nombreux sont très utiles pour mieux connaitre les espèces et leurs populations. Savoir si ces dernières diminuent, se maintiennent ou augmentent. Ces éléments peuvent servir de base aux décisions politiques sur le vivant.

L’humour et le ton un peu décalé contribuent à l’identité de La Hulotte, ils passent par le fait d’attribuer ou de retrouver des traits humains dans les sujets du monde sauvage que vous traitez. Selon vous, est ce qu’une part d’anthropomorphisme est indispensable à la vulgarisation ? Ne présente-t-elle pas aussi des limites ?

Tout d’abord, je recours à ces procédés car je ne veux pas faire un cours assommant de sciences naturelles. Je souhaite raconter des histoires à la manière d’un conte, mais un conte très exact, écrit d’une façon légère, et très sourcé scientifiquement. L’idée est d’avoir un contenu inattaquable sur le fond, mais plaisant et humoristique si nécessaire.

 « L’idée est d’avoir un contenu inattaquable sur le fond, mais plaisant et humoristique si nécessaire. »

L’anthropomorphisme peut se montrer dangereux, mais je l’utilise essentiellement dans les blagues. Il ne faut en aucun cas transposer notre façon de voir le monde sur la manière de penser des animaux. Ils pensent sans doute différemment de nous, bien qu’on n’en sache rien. Personne n’a jamais discuté avec une bête.

Pour accomplir votre travail de rédacteur et dessinateur, vous vous documentez énormément. Dans vos recherches, qu’avez-vous découvert sur le vivant en France qui vous a le plus étonné sur le vivant en France ?

Ces 15 dernières années, j’ai été surpris par la réapparition d’animaux dans la faune française. Or, quand j’avais 20 ans, les scientifiques considéraient qu’ils étaient disparus pour toujours ou proches de l’extinction, comme le loup. Mon vieux maître, celui qui m’a appris la nature quand j’étais jeune, serait surpris de voir des castors dans les Ardennes alors que l’espèce avait disparu depuis le Moyen-Âge. On peut aussi citer le faucon pèlerin et les vautours fauves dont les populations se reconstituent.  À Boult-aux-Bois, on a maintenant des cigognes noires qui nichent au fond des bois et qu’on voit planer au-dessus des maisons. Il y a quelques bonnes nouvelles pour le vivant au milieu d’un océan d’informations peu réjouissantes et inquiétantes.

« J’ai été surpris par la réapparition d’animaux dans la faune française. »

À titre personnel, avez-vous un souvenir d’une rencontre marquante avec la faune ou la flore à nous raconter ? Quelles émotions cela suscite en vous ?

Je me rappelle avoir entendu une fois, en marchant dans un petit bois, un hurlement horrible. Impressionné par ces cris de douleur, je me suis dirigé vers leur source pensant y trouver un animal pris au piège. L’animal ne s’est pas enfui, j’ai alors vu une martre des pins, une espèce voisine de la fouine, qui tournait sur elle-même. Elle continuait de tourner en rond, sans s’enfuir alors que c’est une espèce très craintive de l’homme. C’était une scène sidérante et cauchemardesque, les hurlements se poursuivaient tandis que la martre a continué de tourner sur elle-même une dizaine de minutes. J’ai fini par partir et, après coup, je me suis fait la réflexion qu’elle avait peut-être attrapé la rage. C’est en tout cas mon interprétation de cette scène très impressionnante.

Auriez-vous un autre souvenir à partager dans un registre un peu moins angoissant ?

J’ai observé les chevreuils pendant 2 mois chaque soir. J’étais toujours au même endroit. Ce qui m’a frappé, c’était leurs caractères. Il y a des animaux  dominateurs et d’autres très peureux de leurs propres congénères.  On peut aussi l’observer avec les animaux domestiques.

S’intéresser à la biodiversité, c’est être curieux de tout et savoir faire fi des préjugés sur certaines espèces. Y a-t-il une espèce mal aimée ou mal comprise dont vous voulez prendre la défense ?

La Hulotte a déjà traité d’espèces mal-aimées, par exemple, le frelon. Le frelon est mal considéré alors qu’en réalité cet insecte qui n’est absolument pas dangereux à partir du moment où on ne le provoque et on ne s’approche pas de son nid. Il n’attaque pas, sauf pour se défendre.

« Le frelon est mal considéré alors qu’en réalité et insecte n’est absolument pas dangereux »

Je dois avouer que j’ai peur des frelons, et même après avoir écrit dessus, j’en ai toujours peur. Pourtant, la population de l’espèce diminue, ce qui est encore plus vrai avec l’arrivée du frelon asiatique. Nous avions par conséquence incité nos lecteurs à mettre des nichoirs à frelons près de leurs maisons. En effet, les frelons chassent les guêpes dont ils se servent pour nourrir leurs larves. Le frelon ne vient jamais tourner autour des tables car le sucre ne l’intéresse pas. Beaucoup de nos lecteurs nous ont écrit pour nous dire qu’effectivement les frelons sont paisibles, ne les embêtaient pas et que tout s’était bien passé.

Avez-vous un conseil aux curieux désireux d’aller découvrir la biodiversité ?

Le plus simple est d’aller en forêt puis de s’asseoir au pied d’un arbre. Attendez un peu, ne bougez pas et si vous êtes tranquille et avec un peu de chance, vous verrez des choses. Sans doute d’abord des oiseaux ou des insectes. Il faut savoir que tant qu’on ne bouge pas beaucoup d’animaux ne vous perçoivent pas, sauf bien évidemment si le vent porte votre odeur jusqu’à eux.

« Tant qu’on ne bouge pas beaucoup d’animaux ne vous perçoivent pas. »

Il faut être patient, mais c’est absolument merveilleux de ne plus entendre autre chose que des bruits naturels comme les chants des oiseaux, les feuilles qui tombent ou le vent. Tôt ou tard des animaux apparaitront et mèneront leurs activités sans s’occuper de vous. Ça pourra être un merle qui fouille dans les feuilles mortes devant vous ou une martre, qui se met en chasse au crépuscule et passe à deux mètres de vous. C’est à la portée de tout le monde.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Le site Internet du journal La Hulotte

la hulotte pierre deom
La couverture du numéro 114 de la Hulotte

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