La question de la place du nucléaire reste plus que jamais d’actualité avec le défi du dérèglement climatique qui implique de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En France, le choix de l’exécutif est de construire de nouveaux réacteurs dans les années à venir pour accompagner notamment la planification écologique. Ce débat est souvent jugé complexe, technique ou très clivé entre les farouches défenseurs de cette énergie et leurs opposants, il mérite pourtant qu’on s’y intéresse. Journaliste spécialisé notamment sur les questions d’énergie, Thomas Blosseville propose d’aider le citoyen à réfléchir aux nouveaux enjeux de l’énergie nucléaire en France à travers l’ouvrage Le Nucléaire (presque) facile !, publié à la rentrée chez Delachaux et Niestlé. L’occasion pour GoodPlanet Mag’ de l’interviewer.
Qu’est-ce qui, comme journaliste non seulement observateur du secteur de l’énergie mais aussi de la société, vous a poussé à écrire le livre Le nucléaire (presque) facile ! ?
Les questions d’énergie et d’électricité sont des sujets peu vulgarisés dont les gens ont pendant longtemps été tenus un peu à l’écart. Ce sont pourtant des sujets fondamentaux car ils structurent la société. En effet, l’énergie irrigue la société comme le sang irrigue le corps humain. Les choix énergétiques en disent beaucoup sur l’organisation de la société. Il y a pourtant peu de débats là-dessus ou alors ils ne sont pas forcément accessibles au grand public.
« Les choix énergétiques en disent beaucoup sur l’organisation de la société. »
De plus, je pense que les questions qui orientent le débat sont mal posées. C’est pourquoi ce livre a pour objectif de bien recontextualiser le débat sur le nucléaire. Il mérite d’être remis en perspective pour enfin être abordé par les bonnes questions. Il ne faut pas que la question du nucléaire reste un sujet très technique réservé aux seuls experts.
« Il ne faut pas que la question du nucléaire reste un sujet très technique réservé aux seuls experts. »
Est-ce une manière de dépassionner le débat sur la place et surtout l’avenir de cette énergie ?
L’idée est de sortir des oppositions frontales. Le livre dit que la question n’est plus de savoir si on est pour ou contre car la France a depuis 50 ans du nucléaire dans ses réacteurs. On a longtemps repoussé un certain nombre de questions, il faut maintenant savoir en débattre. Le livre vise à éclairer les gens qui s’intéressent au sujet, sans être pour autant dans l’opposition binaire. Il faut savoir que même les experts du sujet se contredisent et qu’il requiert donc d’apporter de la nuance.
« La question n’est plus de savoir si on est pour ou contre car la France a depuis 50 ans du nucléaire dans ses réacteurs »
Quelle est votre position au sujet du nucléaire ?
J’aimerais que le débat soit bien posé au moins sur deux aspects : l’arrêt des centrales et l’articulation entre nucléaire et renouvelables qui implique de réfléchir à la sobriété énergétique. Selon moi, le nucléaire est une énergie du passé puisqu’on dispose des réacteurs depuis près d’un demi-siècle et qu’on attend le moment où leur fin de vie approche pour se demander ce qu’on en fait maintenant.
« Il va falloir oser dire qu’on devra fermer les réacteurs»
Plutôt que débattre pour savoir s’il faut relancer un programme de construction de nouvelles centrales, il faut s’intéresser à leur fin de vie. Il va falloir oser dire qu’on devra fermer les réacteurs. Il faut cesser de croire qu’ils ont une durée de vie éternelle. La France ne s’y est pas préparée. En revanche, je ne pense pas qu’on les arrêtera tous au même âge (40, 50 ou 60 ans) ni au même moment.
« Le débat ne peut pas non plus continuer à se résumer à l’opposition nucléaire contre énergies renouvelables. »
Le débat ne peut pas non plus continuer à se résumer à l’opposition nucléaire contre énergies renouvelables avec une approche purement technologique. Or, ce débat nécessite d’être abordé sous l’angle la société et de s’interroger sur les besoins en énergie et, par extension, sur la sobriété. Bien que le terme commence à être employé à tort ou à raison, cette approche se montre pertinente. Il me semble primordial de débattre en premier lieu de la sobriété, pour ensuite voir les besoins en énergie et les moyens de répondre à la demande. Poser le débat dans ce sens permettrait de décider si on a besoin ou non de relancer le nucléaire. On peut légitimement se demander si le nucléaire est une solution pour le monde tel qu’il sera dans les prochaines décennies. C’était aussi tabou de se dire qu’on pouvait fermer un réacteur, Fessenheim a été fermé. C’est possible même si des débats sans fin subsistent.
Est-ce que vos recherches sur le sujet pour la rédaction du livre vous ont amené à revoir certaines de vos opinions ou vous connaissances sur la question du nucléaire ? lesquelles ?
Lorsqu’on parle du nucléaire, les problèmes et les défis sont toujours devant nous. La question la plus délicate est celle de la fermeture des réacteurs. Plus on attend, plus c’est compliqué et moins on a l’impression d’avoir des options et donc le choix. J’ai néanmoins l’impression que progressivement le débat évolué.
« Lorsqu’on parle du nucléaire, les problèmes et les défis sont toujours devant nous. »
Certains tabous tombent. Il y a 10 ans, il n’était pas envisageable de discuter de la baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité en France. Aujourd’hui, cela me semble accepté. Je suis rassuré par le fait que les gens s’approprient la question, ce qui permet d’avancer petit à petit.
Vous mettez l’accent sur la place du nucléaire dans un monde où le changement climatique est déjà bien en marche, pensez-vous que les décideurs et la filière ont bien intégré cette problématique ?
J’ai l’impression qu’ils utilisent la problématique du climat pour défendre leurs propres intérêts. La filière présente le nucléaire comme une solution face au réchauffement. Ils ont conscience des enjeux, sans forcément soulever les bonnes questions ni intégrer l’incertitude. Un monde confronté aux bouleversements climatiques est certainement un monde plus incertain, instable et risqué. Ils ont tendance à penser que le monde de demain ressemblera au monde d’hier. Pourtant, il est dès à présent nécessaire de se demander quelles technologies, quelles organisations quels modes de gouvernances permettront de faire face à un monde soumis à l’impact du changement climatique. Je ne suis pas sûr qu’une énergie hypercentralisée, en partie dépendante de la ressource en eau, se révèle la situation miracle.
Que pensez-vous de la place accordée aux questions et aux enjeux énergétiques dans le débat public ? Surtout, lorsqu’on sort de l’urgence ponctuelle (guerre en Ukraine, inflation ou hausse des cours du pétrole…), on a l’impression d’une absence de réflexion sur le sujet de l’énergie ?
Depuis l’année dernière, on s’est mis à parler de sobriété. Ce qui a été fait était bien, il manquait toutefois un débat sur des changements structurels pour avoir une société vraiment sobre en énergie. On réagit soit aux chocs, comme l’an passé avec la guerre en Ukraine, soit on prend des décisions lorsqu’on est au pied du mur. Repousser la résolution des problèmes et attendre d’avoir des urgences à régler expliquent en partie pourquoi le débat peine à prendre dans la société.
« J’ai été frappé de constater que dans les années 1970, au moment des chocs pétroliers, on avait les mêmes discours sur la nécessité d’économiser et de réduire la consommation d’énergie. »
J’ai été frappé de constater que dans les années 1970, au moment des chocs pétroliers, on avait les mêmes discours sur la nécessité d’économiser et de réduire la consommation d’énergie. On disait alors qu’en attendant d’avoir le nucléaire, on allait isoler les habitations, limiter le chauffage à 19°C, prendre les transports collectifs… Dans l’urgence, on ressort ces belles paroles sans pour autant effectuer les changements structurels nécessaires.
Enfin, RTE vient de rendre public ses projections sur la demande d’électricité en France et prévoit une hausse de la demande. En dépit des appels répétés à la sobriété, que disent ces perspectives ? Ne sont-elles pas aussi une justification de la poursuite du nucléaire à production absolue constante (mais qui baisserait en proportion) ?
Je n’ai pas encore pu consulter tout le rapport de RTE, mais ce sont des arguments à prendre en compte. Les projections sont pour 2035, donc avant que de nouveaux réacteurs soient disponibles. On reste donc sur le parc existant en disant qu’il faut l’optimiser. Ce que je traduis comme une justification pour repousser l’arrêt des réacteurs actuellement en service.
« On suppose qu’on va électrifier de nombreux usages de l’énergie »
Finalement, le débat est posé de manière tronquée puisqu’une augmentation de la consommation est présupposée. Certes, on fera un peu de sobriété, mais sous forme de petits gestes. Dans le même temps, on suppose qu’on va électrifier de nombreux usages de l’énergie dont la mobilité. Les questions soulevées par de telles hypothèses vont bien au-delà du seul nucléaire et concernent l’énergie en générale. En effet, dans quelle mesure aurons-nous besoin d’électrifier nos usages de l’énergie ? Cela rejoint le questionnement sur les besoins énergétiques, on en revient donc à la sobriété.
Est-ce que la relance du débat sur le nucléaire constitue une opportunité afin que les énergies renouvelables aient plus voix au chapitre en France ?
La filière nucléaire française a pris beaucoup de retard dans les technologies qu’elle voulait développer, comme les EPR. On aura donc besoin des renouvelables pour produire de l’électricité dans les années à venir. Le débat a aussi évolué là-dessus puisqu’il y a 10 ans on opposait le nucléaire aux renouvelables. Aujourd’hui, on s’aperçoit que la priorité est d’abord de faire beaucoup de renouvelables. Elles ne risquent pas de beaucoup pâtir du débat sur le nucléaire parce que, à court terme, ce seront-elles qui nous apporteront de l’électricité.
« On aura besoin des renouvelables pour produire de l’électricité dans les années à venir. »
Avez-vous un dernier mot ?
Je répète qu’il ne faut pas escamoter le débat sur le nucléaire surtout en ce qui concerne la question de l’organisation de la fin de vie des réacteurs. Cette étape pose de nombreuses questions. Faut-il investir massivement pour les prolonger de quelques années ? Et comment aussi les démanteler ? Jusqu’à présent, la filière examinait les réacteurs tous les 10 ans, mais on ne peut pas le faire éternellement surtout qu’ils ont été initialement conçus pour 40 ans.
L’un des avantages de la filière nucléaire, pour la filière nucléaire, est que de toute façon, elle pose des problèmes qui se poseront 50 ans plus tard. Du coup, elle peut avancer, lancer ses projets en disant qu’on verra plus tard comment faire. Aujourd’hui, cela veut dire qu’on est censé prendre des décisions sur la programmation énergétique sans savoir quand les réacteurs s’arrêteront, ni ce qu’on fera des matériaux et substances radioactifs. On ne sait pas non plus chiffrer combien cela coûtera au final.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
Le nucléaire (presque) facile, par Thomas Blosseville, éditions Delachaux et Niestle
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6 commentaires
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Balendard
En ce qui concerne le mode de production de l’énergie électrique, le Lutin thermique que je suis est d’accord avec le journaliste Thomas Blosseville qui estime que le nucléaire est une énergie du passé
http://www.infoenergie.eu/riv+ener/LT.htm
Serge Rochain
La question n’a jamais été de savoir si on était pour ou contre….le nucléaire, solution cul de sac, a toujours été imposé aux français !
Rozé
Pourquoi l’électro-nucléaire ne peut être la bonne solution au réchauffement climatique: voir http://localhost/Sites/siteroze/blog/index.php?param1=4¶m2=28
Par ailleurs les réacteurs nucléaires sont très sensibles aux aléas climatiques qui au minimum interrompent leur production et au pire génèrent des accidents gravissimes.
Rozé
Pourquoi l’électro-nucléaire ne peut être la bonne solution au réchauffement climatique: voir http://christian-roze.fr/blog/index.php?param1=4¶m2=28
Par ailleurs les réacteurs nucléaires sont très sensibles aux aléas climatiques qui au minimum interrompent leur production et au pire génèrent des accidents gravissimes.
Bernard Stroiazzo Mougin
l’ensemble de notre planète consomme 175000 TWh par an. Pour couvrir 80% de cette demande il nous faudrait mettre en service 1 réacteur nucléaire de 900MW par jour pendant 68 ans…
Balendard
Oui Bernard
et ceci vu qu’en généralisant le nucleaire il ne nous reste que moins de 10 ans de réservoir en uranium avec le fait qu’il faut plus de 10 ans pour construire une centrale nucléaire
http://www.infoenergie.eu/riv+ener/3production.pdf