La Terre se porte mal. Selon une étude portant sur le climat, 20 des 35 paramètres vitaux (vital signs en anglais) de la planète liés au climat et suivis par les scientifiques atteignent des niveaux records en 2023.
Leur rapport, au titre éloquent The 2023 state of the climate report: Entering uncharted territory (Le rapport sur l’état du climat en 2023 : l’entrée dans un territoire inconnu), a été publié dans la revue BioScience le 24 octobre. Ce nouveau rapport se démarque des travaux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), par un suivi plus rapide de l’évolution du climat ainsi qu’un ton plus engagé et critique de la croissance économique. Contrairement aux rapports du Giec dont la rédaction prend des années, l’article publié dans BioScience le 24 octobre n’est pas soumis à long processus d’approbation par tous les représentants des gouvernements.
Des climatologues plus engagés manifestent leurs craintes
Ce travail scientifique fait suite au cri d’alarme lancé en 2017 par 15 000 scientifiques du monde entier sur l’urgence climatique.
Les auteurs du rapport écrivent à propos des dérèglements climatiques : « comme scientifiques, on nous demande de plus en plus souvent de dire la vérité en des termes simples et directs à propos de la crise à laquelle nous faisons face. La vérité est que nous sommes choqués par la férocité des évènements climatiques extrêmes de 2023. Nous sommes effrayés d’être entrés dans un territoire inconnu. » Ils regrettent en effet qu’en dépit d’alertes depuis des années, les chercheurs n’ont pas été entendus. Ils expliquent dès le début de leur étude : « nous voyons se réaliser les manifestations du changement climatique qui avaient été annoncées ainsi que le dépassement sans précédent et alarmant des records climatiques. Ce qui engendre de la détresse et des souffrance profondes. Le monde dans lequel nous pénétrons ne nous est plus familier en raison de la crise climatique, c’est une situation inédite dans l’histoire de l’humanité. » Ils remettent en cause le modèle économique dominant en rappelant son injustice. Le monde entier paye les conséquences des actions d’une minorité. Les 10 % les plus riches sont responsables de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon eux, « la croissance économique, telle qu’elle est conventionnellement admise, ne nous permettra probablement pas d’atteindre nos objectifs sur le plan de la société, du climat et de la biodiversité ».
« Comme scientifiques, on nous demande de plus en plus souvent de dire la vérité en des termes simples et directs à propos de la crise climatique. […]Nous sommes effrayés d’être entrés dans un territoire inconnu. »
« Cet article publié dans la revue BioScience fait la synthèse des connaissances actuelles sur le climat, comme le ferait le Giec. Tout ce qui est écrit dans cette nouvelle publication est déjà dit dans les rapports du Giec, mais de manière moins forte », explique le professeur Wolfgang Cramer de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE) et membre du CNRS, contacté par GoodPlanet Mag’ pour réagir à cette étude. S’il n’y a pas pris part, il avait cependant signé l’appel des 15 000 scientifiques en 2017 puis en 2020. Wolfgang Cramer ajoute qu’on peut se questionner sur l’efficacité du langage « plus poli » des rapports du Giec à susciter l’action en faveur du climat.
Des faits climatiques inquiétants jamais vus auparavant
Wolfgang Cramer résume l’article de BioScience : « il conclut que nous entrons dans un autre fonctionnement du système Terre. Surtout, ce dernier devient moins prévisible. Et, c’est cette raison qui pousse les auteurs à exprimer leurs inquiétudes. »
Les auteurs de l’étude dressent le constat amer d’un rendez-vous manqué avec l’Histoire :« Il apparaît que le rétablissement vert de la planète que nous espérions après la pandémie de Covid-19 ait échoué à se concrétiser ». Ils notent que 2023 est d’ores et déjà l’année la plus chaude depuis le début de l’ère industrielle. Au 12 septembre 2023, on comptait déjà 38 jours durant lesquels la moyenne mondiale des températures dépassait de 1,5°C la normale. Or, ce chiffre de 1,5°C correspond à la limite fixée par le volet le plus ambitieux de l’Accord de Paris sur le climat signé fin 2015.
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Ils constatent ainsi que la concentration de dioxyde de carbone (CO2, le principal gaz à effet de serre issu de la combustion des énergies fossiles) dans l’atmosphère est à son niveau le plus haut depuis 100 000 ans. Elle atteint les 420 PPM (Partie par million, unité de mesure de la concentration d’une molécule dans un volume donné) en 2023 alors que pour maintenir un climat tel que l’humanité le connaît depuis des millénaires, il faudrait qu’elle soit aux alentours de 350 PPM.
Les énergies fossiles, toujours les premières responsables de la crise climatique, loin de diminuer
Le lien avec l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) est sans ambiguïté. Et ce, en dépit de l’essor des renouvelables. « Au lieu de se réduire, les émissions de carbone ont continué d’augmenter. Les énergies fossiles restent dominantes. La consommation mondiale de charbon a atteint, en 2022, les 161.5 exajoules, un niveau historiquement élevé », soulignent les chercheurs. La croissance des renouvelables (solaire et éolien) est saluée, +17 % entre 2021 et 2022, mais reste insuffisante, jugent-il.
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Les énergies renouvelables, même si elles progressent fortement et rapidement, produisent encore 15 fois moins d’électricité que le charbon. À ce propos, les chercheurs observent des contradictions, qui ont émergé notamment avec les répercussions de la guerre en Ukraine. Cette dernière a accéléré la transition vers des énergies propres en Europe, tandis que dans le reste du monde la situation se révèle plus contrastée. Ils estiment par ailleurs que le conflit a entraîné un doublement des subventions aux énergies fossiles en 2022, en raison notamment de la hausse des prix de l’énergie. Au niveau mondial, les gouvernements ont ainsi accordé 1097 milliards de dollars d’aides aux énergies fossiles en 2022 contre 531 milliards l’année précédente.
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Ne pas décorréler climat et biodiversité
Sur le plan de la biodiversité, un peu de mieux, quoique. Les scientifiques notent que le rythme de la déforestation ralentit. Toutefois, le monde risque de ne pas atteindre les objectifs fixés dans ce domaine pour 2030. Ils ajoutent que le fait d’entrer dans une nouvelle ère climatique entraîne des incertitudes sur la résilience des écosystèmes forestiers et leur capacité à jouer un rôle dans l’atténuation du changement climatique. Les forêts pourraient ne pas se régénérer ni séquestrer le carbone de la même manière qu’auparavant. C’est l’un des nombreux facteurs d’incertitude quant à la capacité du système Terre à dorénavant réagir à la crise climatique.
« La crise climatique. Car, la dégradation, voire la destruction, de la biodiversité et des écosystèmes rend d’autant plus difficile le déploiement des solutions fondées sur la nature ».
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« Le changement climatique dégrade la biodiversité, et inversement le bouleversement des paysages avec notamment l’extension de l’agriculture impacte les gaz à effet de serre et donc le climat », précise Wolfgang Cramer. « Or, la crise de la biodiversité, elle aussi due à l’action humaine, devrait susciter les mêmes inquiétudes et préoccupations que la crise climatique. Car, la dégradation, voire la destruction, de la biodiversité et des écosystèmes rend d’autant plus difficile le déploiement des solutions fondées sur la nature ». Il s’agit d’approches qui consistent à miser sur la bonne santé des écosystèmes pour atténuer le réchauffement en stockant par exemple naturellement le carbone dans les sols et les végétaux ou d’utiliser ceux-ci pour s’adapter.
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Face à ce constat, deux priorités réduire les émissions de gaz à effet de serre et remettre en cause la croissance
L’article paru dans la revue BioScience se conclut ainsi : « pour répondre aux défis de la surexploitation des ressources de notre planète, nous devons remettre en cause l’idée dominante de croissance infinie et la surconsommation des habitants des pays riches. Ce n’est ni soutenable, ni juste. » Les auteurs plaident pour une économie circulaire, une réduction de la surconsommation et une meilleure répartition des bénéfices de l’action climatique.
« Notre but est de communiquer des faits scientifiques et de faire des préconisations politiques. »
« La vie sur Terre est menacée. Les tendances statistiques se révèlent alarmantes. Nous constatons aussi que l’humanité a, jusqu’à présent, fait peu d’efforts pour combattre le changement climatique », explique le professeur William Ripple de l’Université de l’Oregon et co-auteur de l’étude, cité par The Guardian. D’ici 2100, en effet, entre 3 et 6 milliards de personnes pourraient vivre dans des zones rendus inhabitables en raison de la chaleur. Le scientifique ajoute : « notre but est de communiquer des faits scientifiques et de faire des préconisations politiques. C’est un devoir moral pour les scientifiques, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions, d’alerter sur toutes les menaces existentielles qui pèsent sur l’humanité et de faire preuve de leadership pour susciter l’action. »
Wolfgang Cramer déplore cependant que la synthèse des travaux publiés par la revue BioScience abordent seulement à demi-mot la question de la responsabilité politique. Il va dans le sens de la critique de la croissance formulée par ses collègues : « la croissance est un indicateur qui n’a aucune utilité car il ne renseigne pas sur l’état de l’environnement ni le bien-être humain. Les industries et les politiques s’en servent de façon abusive. Bien sûr, les démunis ont besoin d’une croissance de leurs accès aux ressources tandis que les riches doivent décroître. » Il ramène le sujet dans le quotidien, « ce papier sous-entend que la responsabilité des politiques et des gouvernants est forte. Chaque personne qui le lit comprend que la construction d’autoroutes, l’agrandissement d’aéroports ou le développement d’une société basée sur le tout voiture est inutile et dangereux ».
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3 commentaires
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Jean-Pierre Bardinet
« 2023 est d’ores et déjà l’année la plus chaude depuis le début de l’ère industrielle ». Cette présentation est exacte, mais elle est manipulatoire, car son but est de faire croire que le réchauffement perdure, voire s’accélère. Si l’on regarde les observations, on constate depuis 1880 un petit réchauffement d’environ 0,8°C jusqu’en 2022, avec un plateau de températures depuis 20 ans, puis un intense El Nino en 2023 a généré un accroissement de température de 0,8°C par rapport à ce plateau. Wood for Trees: Interactive Graphs
Jean-Pierre Bardinet
« Une réduction de la surconsommation ». On est mal parti avec la folie de l’éolien et du solaire, surconsommateurs d’espace et de matières premières pour des facteurs de charge minables (resp. 22% et 14%)
Georges maillet
j’ai conscience du problème mais que faire à mon échelle ????