Depuis l’âge de 15 ans, Jérôme Jullien travaille avec les plantes. Ce passionné de végétaux est ingénieur en agroenvironnement, et entre autres expert référent national pour le Ministère de l’Agriculture en surveillance biologique du territoire, productions horticoles, jardins, espaces végétalisés et infrastructures. Il a co-écrit avec Elisabeth Jullien, technicienne de recherche au jardin botanique de la station nationale d’essais de semences (et sa compagne) 50 plantes qui résistent à tout ! Sécheresse, canicule, gel tardif, vent fort, maladies (aux éditions Eyrolles). L’occasion pour la rubrique « À la rencontre du vivant » de GoodPlanet Mag’ l’a interviewé afin de parler des plantes et aussi, pour une fois, un peu de jardinage.
Pourquoi consacrez-vous un ouvrage aux plantes qui résistent à tout ?
Car de nombreux jardiniers, qu’ils soient professionnels ou amateurs, nous ont fait effectivement part de leurs préoccupations face aux changements climatiques. Ils sont à la fois inquiets et désorientés parce que le comportement des végétaux est bouleversé qu’il s’agisse des plantes cultivées en plein-sol ou en hors-sol. Le livre” 50 plantes qui résistent à tout !” propose donc toute une gamme végétale composée d’espèces potagères, fruitières ou ornementales. On y trouve par exemple le chou-rave, le houx, le géranium vivace, le chêne pubescent ou encore le figuier pour n’en citer que quelques-uns.
« De nombreux jardiniers nous ont fait part de leurs préoccupations face aux changements climatiques »
Comment expliquez-vous la meilleure résistance de certaines espèces ou variétés par rapport à d’autres ?
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Il y a d’abord la génétique et l’écotype des plantes. Dit autrement, cela dépend du milieu où ces plantes viennent spontanément. Sinon, cela peut être le résultat de la recherche et de l’innovation horticole grâce notamment à la sélection des variétés avant de les proposer aux jardiniers. L’hybridation permet la sélection de plantes ayant un bon comportement face aux aléas climatiques, aux maladies ou bien aux ravageurs. Ces deux dernières menaces peuvent bien entendus être liées ou amplifiées par le changement climatique.
« L’hybridation permet la sélection de plantes ayant un bon comportement face aux aléas climatiques, aux maladies ou bien aux ravageurs. »
Comment faire pour les utiliser au mieux dans son jardin ?
Après, pour avoir un jardin résilient, il est important de miser sur la diversité et de combiner 3 catégories de végétaux. Il y a d’abord les plantes locales, c’est-à-dire les végétaux qui viennent des différentes régions de France. Notre pays possède la particularité et l’avantage d’être composé de plusieurs zones bioclimatiques : méditerranéenne, océanique, semi-océanique, semi-continentale et montagnarde. Puis, il y a les plantes hybrides ou issues de sélections. Enfin, il y a les plantes exotiques au caractère non envahissant. Bien qu’elles ne soient pas endémiques, elles relèvent d’une longue tradition depuis les jardins d’acclimations du XVIIIe siècle. Elles proviennent parfois de régions avec un climat difficile et bénéficient d’une forme de rusticité qui les rend résistantes. Elles se montrent donc aptes à supporter des conditions de vie difficiles.
La démarche de diversité est essentielle pour favoriser les liens et les gains trophiques entre l’environnement et les jardins en aidant notamment la faune et la flore.
Les espèces proposées dans le livre ont en commun d’être peu demandeuses en eau…
La facilité d’entretien est une demande récurrente forte des jardiniers. C’est ainsi une manière de ne pas être astreint de façon trop régulière à l’arrosage, la fertilisation, la taille, l’entretien et les soins aux végétaux. De plus, nous avons privilégié des espèces et des variétés faciles à se procurer.
Les plantes retenues pour le livre font preuve d’une grande plasticité écologique. On résume souvent le changement climatique à l’eau, or il a de nombreuses autres répercussions sur le climat.
Les plantes présentées peuvent faire face aux fortes vagues de chaleur, au gel tardif ou encore aux vents forts.
Que peuvent apporter les plantes de nos jardins à la biodiversité et à la lutte contre le réchauffement climatique ?
Les végétaux contribuent à la biodiversité. Ceux de nos jardins aussi. Certaines pépinières travaillent dans ce sens. Il existe une identification de référence : la marque végétale locale. Elle assure que les plantes sont natives de la région et se sont adaptées progressivement aux nouvelles conditions climatiques. Par exemple, on y trouve ainsi des chênes, des érables, des chèvrefeuilles ou des viornes.
« La gamme végétale locale assure que les plantes sont natives de la région et se sont adaptées progressivement aux nouvelles conditions climatiques. »
Au-delà du choix des variétés, qu’en est-il de l’agencement du jardin ?
On souhaite créer un jardin écologique équilibré avec des niches et des habitats favorables au développement harmonieux et spontané des animaux et de la flore. Idéalement, le fonctionnement d’un jardin devrait ressembler à celui d’une forêt adulte. Pour parvenir à reconstituer ce type d’équilibre, miser sur des espèces rustiques est une bonne option à condition de veiller au respect de la nature du sol propre à chaque jardin. En effet, certaines plantes préfèrent les sols calcaires, d’autres les sols acides ou de richesse variable en matière organique. C’est un facteur déterminant pour la vitalité des végétaux.
« Idéalement, le fonctionnement d’un jardin devrait ressembler à celui d’une forêt adulte »
Il est important de bien composer son jardin avec différentes strates de végétaux : herbacées, arbustives et arborescentes. Il est aussi nécessaire de diversifier les feuillages entre caducs ou persistants, d’assurer la succession des floraisons pour permettre la nutrition des insectes pollinisateurs tout au long de l’année.
Parmi les 50 plantes citées dans le livre, est-ce qu’il y en a que vous appréciez particulièrement ? Pour quelles raisons ?
J’apprécie le chêne pubescent qui est certes un arbre, qui compte tenu de sa taille de 15 mètres de haut ne le rend pas accessible à tous les jardins. Il est néanmoins un arbre emblématique de l’évolution des arbres dans les forêts et jardins français. L’Office national des forêts l’expérimente dans les Vosges en remplacement d’espèces plus traditionnelles. Dans les jardins, il rafraichit grâce à l’ombre qu’il offre et à l’évapotranspiration. Le chêne pubescent est assez trapu avec un port étalé, ce qui le rend résistant aux vents forts. Il aime les sols calcaires, résiste bien à la chaleur et à la sécheresse prolongée.
D’un point de vue écologique, le chêne pubescent offre un habitat à de nombreuses espèces sauvages, principalement insectes et oiseaux. Au niveau du sol, sa litière organique facilite l’activité des micro-organismes et des macro-organismes comme les vers de terre, les hérissons, les reptiles et les amphibiens. C’est typiquement le genre d’arbre qui constitue une bonne ossature pour un jardin aux dimensions moyennes.
D’un point de vue plus personnel, qu’est-ce que le rapport aux végétaux vous apporte ?
Pour moi, le rapport aux végétaux est omniprésent depuis que je suis petit. Il fait partie de mon équilibre naturel. J’ai une sensibilité très profonde pour le monde végétal qui remonte à mon enfance. Je suis originaire du Loir-et-Cher où vivaient mes grands-parents. Ils m’ont donné le goût de la terre et m’ont sans cesse rappelé le bon sens paysan sur les pratiques agricoles et de jardinage. C’est donc assez spontanément que je suis entré à l’école d’horticulture dès mes 15 ans en travaillant 3 jours sur 5 en pépinière. J’ai ensuite gravi les échelons jusqu’à devenir ingénieur.
Avez-vous un souvenir marquant lié à cette passion pour le végétal ?
Je me souviens qu’en 1976, l’année de la sécheresse, mon grand-père a planté un noyer dans le bas du jardin de mes parents. J’avais alors 9 ans, l’événement m’a marqué. L’arbre a été planté près d’un ru, il existe toujours. Il est magnifique. Il s’agit d’un noyer commun qui a exprimé son plein potentiel en fournissant de l’ombre, des noix et un habitat pour les oiseaux et d’autres espèces. C’est tout ce qu’on peut attendre et trouver de mieux chez une structure végétale.
« Un noyer commun qui a exprimé son plein potentiel en fournissant de l’ombre, des noix et un habitat pour les oiseaux. »
Avez-vous un dernier mot ?
Je souhaite que tous les jardiniers, amateurs ou professionnels, s’approprient la gamme végétale des plantes qui résistent à tout ainsi que les bonnes pratiques dans une démarche de permaculture. Car cela permet, dans le même temps, de créer des aménagements durables tout en améliorant le cadre de vie. Je pense en effet que les végétaux font partie de la qualité de vie. Les plantes ont beaucoup d’intérêt et de résonances pour les personnes même si beaucoup de gens n’en ont pas conscience. Les études sociologiques et psychologiques montrent ainsi que beaucoup de monde ressent un sentiment de plénitude et de bien-être dans un environnement végétal.
« Les végétaux font partie de la qualité du cadre de vie »
Propos recueillis par Julien Leprovost
Article édité samedi 4 novembre 2023 afin de corriger des erreurs restées dans le texte.
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lucette TERRENOIRE
Pour les noyers, ma région en avait beaucoup, cependant il était fortement déconseiller de se mettre à l’ombre du noyer sous peine de prendre le risque de mourir. Soit par le froid qu’il dégageait qui contrastait trop avec l’extérieur, soit en raison d’un gaz qu’il dégage.