Peut-on inclure les animaux dans nos façons de vivre et de penser, dans la communauté morale et politique, mais aussi, simplement, dans la façon de les regarder, de les prendre en compte, de les avoir en estime ? Voici quelques questions que j’explore dans mes dernières recherches, après avoir été sollicitée par différents acteurs et différentes actrices de la vie publique.
Vous est-il déjà arrivé en pleine nature de vouloir prendre une photographie d’animal ? C’est ce que font quelques fois des touristes, sans penser au stress alors imposé aux animaux. Ce type de pratiques peut hélas prendre un tour funeste : récemment, sur les falaises du Pays de Galles, un poulain a fait une chute mortelle juste après sa naissance, alors que des touristes au comportement inconséquent avaient poussé sa mère trop près du bord, pour une simple photo. Ces comportements font réagir, car la plupart des gens, dans les sociétés occidentales contemporaines, ne pensent plus qu’il est ainsi acceptable de causer la mort d’un poney sauvage pour un vulgaire selfie.
Afin d’accompagner les changements de regard sur les non-humains et d’aider à faire évoluer positivement les relations entre les êtres humains et les autres animaux, je propose une nouvelle approche : la zooinclusivité, au cœur d’un ouvrage récemment paru aux PUF (septembre 2023).
Partant du principe que la condition animale, notamment celle qui se déploie sous la tutelle humaine, est largement améliorable, je m’appuie sur la notion de « vivre-ensemble », sur la volonté de construire un avenir commun.
Cherchant à dépasser le tout ou rien qui caractérise parfois les approches des relations entre les êtres humains et les autres animaux, et polarise le débat autour de l’opposition « viandards » contre véganes, la zooinclusivité s’adresse à celles et ceux qui ne veulent pas laisser les animaux sur le bord du chemin. Elle propose une approche progressive afin d’agir favorablement et rapidement pour les animaux, pour tenter de dépasser le décalage entre les idées, qui leur sont majoritairement favorables, et les pratiques, car les mauvais traitements à leur encontre persistent largement.
La zooinclusivité, qu’est-ce que c’est ?
La zooinclusivité est une forme d’animalisme, puisqu’elle contribue à valoir les intérêts des animaux non humains. Mais elle est plus précise que l’animalisme qui, en tant que concept, est peu défini. Il recouvre des organisations généralistes, comme la Fondation 30 millions d’amis et d’autres qui sont consacrées à des secteurs particuliers (animaux d’élevage pour L214, animaux de compagnie pour la SPA, etc.). Certaines sont d’orientation abolitionniste et visent donc la fin de l’exploitation animale, d’autres sont « welfaristes » et visent plutôt l’amélioration des conditions des animaux sous la tutelle humaine. Le paysage animaliste français est donc très varié.
L’approche zooinclusive évite de s’appuyer sur le concept de « bien-être animal » qui est devenu, par ses usages et mésusages, une notion sociotechnique, une façon de rationaliser l’exploitation du corps des animaux. Les taux élevés de morbidité et de mortalité dans les élevages intensifs l’illustrent bien, ainsi que la faim que certains animaux subissent ou encore les densités élevées d’individus qui impliquent des restrictions de mouvement et agissent sur la qualité de vie des animaux.
Pour les poulets élevés pour leur chair, par exemple, la réglementation fixe les densités à 33 kg de poids d’animaux par mètre carré de bâtiment, soit l’équivalent de 17 poulets par mètre carré. Mais des dérogations sont possibles, qui augmentent la densité d’oiseaux, déjà très élevée. Celle-ci peut alors atteindre 42 kg d’animaux par mètre carré.
La zooinclusivité se distingue aussi du véganisme. Bien que ce terme désigne un mouvement de justice sociale en faveur des animaux, de par son étymologie, le mot anglais « vegan » renvoie aux pratiques alimentaires. Le véganisme représenterait la racine et l’aboutissement de la démarche végétarienne. La zooinclusivité, elle, invite à faire ce qu’on peut, en admettant une gradation : c’est-à-dire qu’elle admet qu’on adopte un régime végétarien ou flexitarien.
Enfin, cette notion diffère de l’antispécisme, qui souligne l’importance de la notion d’espèce dans laquelle les individus sont catégorisés et indique une opposition à la discrimination sur ce critère, par le préfixe « anti ». La zooinclusivité vise moins à prescrire des changements qu’à accompagner les groupes ou les individus humains qui veulent déjà adapter leurs pratiques.
Le constat de départ
Les attentes concernant la condition animale sont grandissantes dans notre pays :
- 75 % de la population estime que la politique du gouvernement n’est pas suffisamment engagée en faveur de la protection des animaux.
- 73 % est favorable à une interdiction du recours à l’expérimentation animale dans un délai de dix ans.
- 87 % soutient la limitation de la durée de transport d’animaux vivants.
Si les attitudes évoluent, les comportements sont plus lents et difficiles à changer, pour des raisons liées aux systèmes juridiques et politiques, au pouvoir des lobbys, aux habitudes de langage, aux normes et à la psychologie sociale. C’est là que les acteurs et actrices du monde éducatif, politique et économique peuvent intervenir pour participer à la transition zooinclusive.
Quel objectif ? Quelle portée ?
Avec la zooinclusivité, ce sont les groupes ou les individus humains qui le souhaitent qui interviennent pour adapter leurs pratiques aux non-humains. L’idée est de répertorier des outils pratiques. J’en donne ici deux exemples, l’un au niveau individuel, et l’autre au niveau de la politique de la ville. De nombreuses autres actions zooinclusives, applicables à différents niveaux, sont détaillés dans l’ouvrage.
Considérer les animaux dans l’alimentation
La zooinclusivité incite à considérer les animaux dont les corps et les sécrétions sont utilisés pour fabriquer ce que l’on consomme : chair, cuir, œufs, laits, miel, graisse, poils, etc.
Les personnes végétariennes et végétaliennes s’inscrivent dans la zooinclusivité, de même que les personnes flexitariennes qui font un pas vers un régime sans produits d’origine animale. En effet, du point de vue des animaux, tout ce qui permet de diminuer la quantité de souffrance, de violence est une bonne chose. Une personne flexitarienne qui diminue drastiquement sa consommation de viande et de poisson, et se montre soucieuse de l’origine des produits consommés contribue à diminuer la demande pour la chair animale. Elle a donc une attitude zooinclusive (le régime le plus zooinclusif demeurant le régime végétalien).
Considérer les animaux en ville
À peu près tout ce qui a à voir avec la condition animale et les relations anthropozoologiques se retrouve par ailleurs dans la politique de la ville, où beaucoup de choses sont possibles. On peut ainsi sensibiliser les parties prenantes : agents municipaux, citoyennes et citoyens de tous âges.
Il est possible de viser un équilibre entre les activités de la ville, le bien-être humain et celui des autres animaux (en évitant par exemple les activités qui dérangent les animaux, tels les feux d’artifice.
S’intéresser aux animaux de compagnie participe du même principe : cela implique par exemple de stériliser les chats errants, de développer les espaces accessibles aux chiens, de mettre en place une carte « j’ai un animal seul chez moi » (utile en cas d’imprévu qui empêche de rentrer chez soi).
Il est aussi possible d’aménager des espaces publics différemment, par exemple de sanctuariser des espaces de biodiversité, comme à Cergy-Pontoise.
La ville peut encore prendre des positions claires sur les méthodes létales ou violentes visant à contrôler les effectifs d’animaux liminaires. Bordeaux s’engage par exemple à réguler les populations de pigeons de façon éthique et durable, en commençant par établir un moratoire sur les captures létales de ces oiseaux.
Enfin, en terme d’objectifs collectifs, à l’échelle de l’école ou de l’entreprise, on peut déployer l’offre végétarienne dans la restauration collective, intégrer des clauses de protection animale dans les marchés publics, etc. La ville de Haywards Heath au Royaume-Uni a par exemple signé le « traité végétal » et invite ses habitants et habitantes à abandonner progressivement la consommation de produits d’origine animale, ceci afin de lutter contre le réchauffement climatique.
Parmi les évolutions zooinclusives les plus importantes, on peut signaler, outre la végétalisation de l’alimentation, la transmission des connaissances sur les animaux et, sur le plan politique, l’interdiction des pratiques les plus dommageables et violentes pour les animaux. Il faudra aussi accompagner ces efforts de réglementations contraignantes et de moyens financiers, et humains, indispensables à leur mise en place.
Peut on apprendre à vivre autrement avec les animaux ?
par Emilie Dardenne, Maîtresse de conférences, Université Rennes 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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