Pogradec (Albanie) (AFP) – A l’écloserie de Lin, à Pogradec, au bord du lac d’Ohrid, éleveurs et pêcheurs sont pressés : c’est le dernier jour pour lâcher les alevins et préserver la population de truites du lac d’Ohrid, que l’on ne trouve nulle part ailleurs.
L’Albanie et la Macédoine du Nord, qui se partagent le lac, ont signés des accords pour assurer la survie de la truite. Le poisson – appelé « Koran » à Tirana, « Ohridska pastrmka » à Skopje, et « Salmon letnika » dans les livres – est ainsi sorti de la liste des espèce menacées d’extinction.
« Peu importe comment les Albanais ou les Macédoniens l’appellent », sourit Artan Male, un vieux pêcheur à l’œil vif, « ils sont tous d’accord : ce poisson qui n’a besoin ni de passeport ni de carte d’identité pour passer les frontières est le Roi du lac d’Ohrid, l’un des plus vieux du monde ».
La production de truites en 2012 s’élevait à 50 tonnes, selon le ministère de l’Agriculture : la population devrait atteindre les 100 tonnes cette année, estime Martin Jaçe, administrateur de l’Association des pêcheurs.
Pour maintenir ces niveaux, la production des alevins est passée de 1,5 million il y a trois ans à 1,7 million cette année.
Une opération qui demande énergie et attention.
« Il faut veiller à tout. Respecter les horaires, les dates. Toute erreur serait fatale pour les petits poissons « , explique Kopi Bici, héritier d’une lignée de pisciculteurs.
Le travail pour repeupler le lac d’Ohrid le long des 23km couvrant le côté albanais ne s’arrête pas de l’année. Du 1e décembre au 1e mars, la pêche est interdite : c’est le moment de la reproduction naturelle de la truite.
Mais un groupe d’une soixantaine de pêcheurs spécialisés sont autorisés à exercer leur activité, pour une raison bien particulière : capturer les Koran et les manipuler vivants avec beaucoup de précaution pour récupérer les œufs des femelles et la laitance des mâles.
« Mélangés ensuite avec de l’eau douce, cela féconde les œufs », explique Martin Jaçe. Les œufs ainsi fécondés sont soumis ensuite à une incubation bien contrôlée.
Les larves qui en écloses sont élevées jusqu’au stade des alevins, qui vivent six mois dans l’eau douce des bassins du centre d’élevage avant d’être lâchés dans le lac.
De l’œuf à l’alevin, le chemin est long. Il faut tout contrôler: niveau d’oxygène, nourriture, eau, température. Le risque de mortalité est toujours présent.
« Course contre la montre »
Les conditions météo ne sont pas favorables en ce mois de novembre pour réussir les derniers jours de la mission. Il reste encore quelques 250.000 alevins à lâcher le long du lac, agité de vagues après de fortes pluies.
« Ce sont nos bébés, ils doivent être en bon état physiologique pour résister à leur nouvelle vie dans le lac », raconte Jovan Bale qui avec son épuisette capture dans le bassin les jeunes pour les mettre dans des récipients en polyéthylène remplis d’eau.
Ils sont ainsi transportés jusqu’au bord du lac, puis hissés sur un bateau avant d’être relâchés en eau profonde.
Il faut se dépêcher : avec beaucoup d’alevins et peu d’eau, l’environnement dans les récipients peut très vite devenir toxique pour les poissons.
« C’est une course contre la montre, les alevins doit être lâchés très rapidement,tout retard serait fatal : si l’eau se réchauffe et s’ils manquent d’oxygène, ils meurent »,affirme M. Jaçe. C’est pour cela qu’il faut les lâcher dans de l’eau assez fraîches : d’octobre à la première semaine de novembre.
Mais tout effort pour préserver la population serait nul sans des mesures sévères contre la surpêche et la dégradation des habitats, de vraies menaces pour les 146 espèces endémiques vivant dans les 349 m2 du lac d’Ohrid.
Cette année pour produire 1.7 millions d’alevins, les éleveurs et pêcheurs ont récupéré 200 kg d’œufs – soit 3.000 kilos de poissons qui ont fait le bonheur des cuisiniers.
« Pour ne pas perdre la truite d’Ohrid, il faut unir nos forces », lance Blerina Turshina, Cheffe à Tushemisht, un petit village à 2 km de la frontière macédonienne.
Les touristes sont nombreux à visiter cette région pour ce poisson si beau, tacheté de rouge, au goût merveilleux.
« Grillés ou au four,avec des oignons, des épices et des noix ou avec une sauce blanc de citron, le Koran est le roi des plats », estime la Cheffe. De Skopje à Tirana, on raconte d’ailleurs que la truite d’Ohrid était l’un des mets préférés de la reine Elisabeth II,tout en se disputant sur la nationalité du poisson.
« Peu importe, balaye la cuisinière, c’est la truite d’Ohrid ».
© AFP
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