Paris (AFP) – TotalEnergies va lancer une « mission d’évaluation » sur le programme d’expropriations réalisées pour ses mégaprojets pétroliers en Ouganda et Tanzanie vivement contestés par des associations environnementales et de défense des droits humains.
Le groupe français a annoncé jeudi [4 janvier 2024] avoir choisi « Lionel Zinsou, personnalité reconnue pour son expertise en matière de développement économique de l’Afrique » pour conduire cette « mission d’évaluation du programme d’acquisitions foncières mené en Ouganda et en Tanzanie ».
Âgé de 70 ans, l’ancien Premier ministre du Bénin en 2015-2016, a « déjà collaboré » avec TotalEnergies « sur des questions de développement économique », via sa société de conseil dédiée à l’Afrique. Son rapport est attendu « d’ici avril », indique le communiqué.
« Alors que le processus d’acquisition foncière touche aujourd’hui à sa fin, cette mission évaluera les procédures (…) mises en œuvre, les conditions de consultation, d’indemnisation et de relocalisation des populations ainsi que le processus de traitement des griefs », précise l’entreprise.
« Elle évaluera également les actions menées par TotalEnergies EP Uganda et la société EACOP (East African Crude Oil Pipeline) pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie des personnes concernées (…) et proposera, le cas échéant, des actions complémentaires ».
Selon TotalEnergies, le programme d’expropriations portant sur environ 6.400 hectares et mené pour le compte des deux pays « concerne 19.140 foyers et collectivités propriétaires ou utilisateurs de parcelles et comporte la relocalisation de 775 résidences principales ». A ce jour, 97 % des foyers concernés ont reçu une compensation et 98 % des foyers à reloger ont une nouvelle maison, selon le groupe.
Cette mission est pour le géant pétrolier un moyen de répondre aux critiques entourant le projet, qui a fait l’objet d’un accord d’investissement de 10 milliards de dollars avec l’Ouganda, la Tanzanie et la compagnie chinoise CNOOC.
Devenu un symbole médiatique de la lutte contre les énergies fossiles largement responsables du réchauffement planétaire, il suscite une vive opposition de groupes de défense de l’environnement, pour qui il menace le fragile écosystème de la région et les populations.
Selon Les Amis de la Terre et d’autres associations, plus de 118.000 personnes sont affectées par des expropriations totales ou partielles.
« Pas pour notre image »
Le projet comprend le forage de 419 puits (projet Tilenga) dans le parc naturel des Murchison Falls — remarquable réserve de biodiversité située dans l’ouest de l’Ouganda — ainsi que la construction d’un oléoduc chauffé de 1.443 kilomètres (EACOP) reliant les gisements, du lac Albert à la côte tanzanienne sur l’océan Indien.
Déjà, dans un projet au Mozambique suspendu en 2021 après une attaque jihadiste et lui aussi contesté, TotalEnergies avait confié à l’écrivain et ancien responsable d’ONG Jean-Christophe Rufin une évaluation de la situation humanitaire et sécuritaire avant toute reprise.
Le procédé laisse « sceptique » les Amis de la terre, qui y voient un moyen pour le groupe de se défendre face à la justice. « Ils essaient d’avoir des noms qui puissent aider à blanchir leur image, mais il faut voir concrètement au-delà de la personnalité, quelle est son expertise sur ces problématiques et quelle méthodologie d’évaluation est utilisée », a réagi Juliette Renaud, responsable de campagne de l’ONG qui porte avec d’autres associations le combat judiciaire contre le projet EACOP/Tilenga.
« On fait cela pour les populations concernées, pas +pour notre image+ », tient-on à souligner à TotalEnergies.
En mai, dans une interview à Challenges, le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné avait lui-même reconnu des ratés dans la conduite du dossier. « Nous n’avons pas été très bons. On n’a pas su anticiper », avait-il admis, en expliquant que « ces sujets de relocalisations auraient dû être gérés en amont ».
Après des recours rejetés en février 2023 en France et en novembre devant la Cour de justice d’Afrique de l’Est, deux recours restent actifs en France.
En juin, 26 Ougandais et cinq associations (AFIEGO, les Amis de la Terre France, NAPE/Amis de la Terre Ouganda, Survie et TASHA Research Institute) ont lancé une nouvelle action civile à Paris pour demander « réparation » de divers préjudices: expropriations abusives, compensations insuffisantes, harcèlement…
Les associations Darwin Climax Coalitions, Sea Shepherd France, Wild Legal et Stop EACOP-Stop Total en Ouganda ont également déposé une plainte pénale le 22 septembre [2023] à Nanterre sur la responsabilité climatique de TotalEnergies, visant EACOP/Tilenga et plus largement ses investissements pétro-gaziers.
© AFP
A lire aussi :
Mégaprojets de TotalEnergies: des Ougandais demandent réparation en France
TotalEnergies: la justice française déboute des opposants au mégaprojet en Ouganda et en Tanzanie
Ecrire un commentaire