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Les “Climate Finance Files” : le Far West des financements climatiques


© Petra Schmitter / IWMI / Ethiopie

Nous republions ici une tribune de l’ONG ONE. Ce texte, publié initialement en novembre 2023 avant la COP28 aide à comprendre ce qui a réellement été versé par les pays riches et les institutions internationales en matière de financement de l’action climatique. Malgré les engagements pris dans ce sens lors de la COP28, la question du financement de l’action climatique demeure plus que jamais actuelle et pertinente. Elle sera une fois de plus au centre des prochaines négociations climatiques.

Personne ne sait vraiment évaluer le montant des financements versés aux pays vulnérables pour lutter contre le changement climatique (ce que nous appellerons « les financements climat »). ONE a donc élaboré les « Climate Finance Files » : un compte rendu détaillé de ce qui a été dépensé, ou pas, et de ce qui a été reçu.

[À lire aussi sur GoodPlanet Mag’ « Des milliers de milliards » nécessaires pour financer les promesses de la COP28]

Pour en savoir plus : datacommons.one.org

Nous menons un combat sans précédent et personne ne vérifie ni ne publie correctement les données

Des millions de personnes subissent de plein fouet les effets du changement climatique et luttent quotidiennement pour survivre et protéger leurs moyens de subsistance.

Pourtant peu responsables de cette situation, ces populations en paient le prix fort.

  1. Le changement climatique coûte à l’Afrique jusqu’à 15 milliards de dollars par an. C’est plus que le PIB national de 26 pays africains. D’ici 2050, ce montant pourrait atteindre 50 milliards de dollars.
  1. Début 2023, le cyclone Freddy a ravagé le Malawi et le Mozambique, causant 2 milliards de dollars de dégâts. Près d’un million de personnes ont été déplacées. La tempête a engendré la plus grande épidémie de choléra jamais observée au Malawi.
  1. Plus de 20 millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire aiguë en raison d’une sécheresse historique dans la Grande Corne de l’Afrique. Le changement climatique a multiplié par 100 les risques de sécheresse.
  1. En septembre 2023, la tempête Daniel a déversé huit mois de pluie en deux jours en Libye, faisant des milliers de morts. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées. Le changement climatique a multiplié les risques d’inondations par 50.

Voici les impacts humains et économiques de quelques phénomènes météorologiques extrêmes en Afrique.

Mais c’est loin d’être terminé.

Malgré cette réalité, les pays industrialisés, qui sont historiquement les plus gros émetteurs de carbone au monde, ne soutiennent pas suffisamment les populations les plus vulnérables à se préparer aux effets du changement climatique. Pire encore, ces pays à revenu élevé rendent extrêmement difficile le suivi précis des financements qu’ils fournissent et de leurs destinataires. En effet, les données sont confuses et imprécises et leur publication est lente.

[À lire aussi Sandrine Mathy, économiste de l’environnement au CNRS : « le problème est peut-être que les COP sont des négociations économiques qui ne disent pas leur nom »]

La conséquence de tout ça est très simple : personne ne sait précisément quels engagements ont été pris pour le climat, et encore moins quel montant a été versé.

Les bailleurs ne tiennent pas leurs promesses

Quand on parle de financements climat, on pense tout de suite à l’objectif (peu ambitieux) que les pays industrialisés s’étaient fixé en 2009 : verser 100 milliards de dollars par an aux populations les plus vulnérables dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Cet engagement est problématique pour deux raisons :

  • Les bailleurs font le strict minimum et ne respectent pas leur promesse : en 2021, ils ont déclaré une contribution de 89,6 milliards de dollars. Ce chiffre est très certainement surestimé et il est ridicule si on le compare avec d’autres domaines : les dépenses militaires de ces mêmes pays ont été 14 fois plus importantes (1 200 milliards de dollars) la même année.
  • Il n’existe pas de méthodologie officielle des fonds qui peuvent être comptabilisés dans l’objectif des 100 milliards, contrairement à l’Aide Publique au Développement (APD), dont la définition n’est pas parfaite, loin de là, mais a le mérite d’exister et d’être utilisée par tous les bailleurs. Par exemple, certains financements provenant d’acteurs privés sont comptabilisés dans les 100 milliards, ce que ONE dénonce.

L’objectif des 100 milliards de dollars sera peut-être atteint en 2023 (l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, a d’ailleurs déclaré sans donner de preuve que c’était peut-être déjà le cas), mais peu importe : en raison du manque de transparence, d’accessibilité des données et de méthodologie commune, ces montants ne font que masquer la réalité. Cet objectif est trop opaque pour servir de mesure de l’effort financier mis en œuvre par les pays riches pour soutenir les pays vulnérables face au changement climatique.

[À lire aussi La charge de la dette externe, une entrave à l’action climatique des pays les plus pauvres]

Comment mesurer les montants publics réellement décaissés par les pays riches pour le climat ?

ONE a donc laissé de côté l’objectif des 100 milliards pour s’intéresser à ce qui se passe vraiment dans les portefeuilles les pays donateurs et les institutions financières internationales (que nous appellerons « bailleurs »1) quand on parle de climat : ce sont les « Climate Finance Files ». Cette nouvelle base de données en open source révèle des chiffres inédits et détaillés sur les financements fournis par les gouvernements et les institutions internationales pour soutenir les pays vulnérables face au changement climatique.

Sans surprise, ils dépensent beaucoup moins que ce qu’ils prétendent, et les sommes versées sont nettement inférieures aux besoins identifiés.

Voici ce que nous avons trouvé

Les engagements des pays donateurs et des institutions internationales en matière de financements climatiques sont largement surestimés.

  • Près des deux tiers des engagements recensés par l’OCDE dans le cadre de la lutte contre le changement climatique n’ont jamais été déclarés comme décaissés ou n’étaient pas ou peu liés au climat. Cela représente un montant impressionnant de 343 milliards de dollars entre 2013 et 2021.
  • 43 % des pays lourdement endettés ont dépensé plus pour rembourser les dettes dues à leurs créanciers qu’ils n’ont reçu de fonds de ces mêmes pays pour la transition climatique entre 2019 et 2021.
  • En 2021, les 20 pays les plus menacés par le changement climatique n’ont reçu que 6,5 % des financements dont ils ont besoin chaque année pour lutter contre le changement climatique.

Bienvenue dans le Far West du financement de la lutte contre le changement climatique

Les données sur les financements de la lutte contre le changement climatique ne sont absolument pas fiables. Personne ne donne les mêmes chiffres.

En effet, les bailleurs décident eux-mêmes de ce qui relève ou non du financement de la lutte contre le changement climatique. Il n’existe aucune règle, ligne directrice ou définition commune à tous les bailleurs de ce qu’est un financement climat. Ainsi, selon le pays ou l’institution qui fait la déclaration, on peut obtenir des chiffres radicalement différents.

« C’est le Far West de la finance. Pour faire simple, tout ce que [les bailleurs] qualifient de financements contre le changement climatique est considéré comme tel. »

Mark Joven, sous-secrétaire du ministère philippin des Finances 

Les données de l’OCDE, qui fait le suivi et publie les chiffres de l’APD, se basent sur des indicateurs, les marqueurs de Rio, pour rendre compte des financements alloués à la lutte contre le changement climatique. Cependant, cette approche prend en compte la totalité des projets ayant un lien avec le climat, aussi minime soit-il. Disons qu’un panneau solaire est installé sur une nouvelle école au Sénégal, financée par l’aide au développement française. Avec cette méthodologie, 100% des fonds engagés pour construire l’école et financer les fournitures scolaires vont être comptés comme financements climat, au lieu de prendre en compte juste le coût du panneau solaire. Pas besoin d’être super fort en maths pour comprendre ce qui se passe : les chiffres du financement de la lutte contre le changement climatique sont considérablement gonflés et exagérés.

Les données communiquées à l’ONU (ou plus exactement à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques – CCNUCC) sont censées lutter contre ce gonflement des chiffres. Pourtant, les différents bailleurs qui financent le climat n’utilisent pas la même méthodologie, et seuls quelques pays tentent de comptabiliser uniquement la part d’un projet réellement alloué à la lutte contre le changement climatique, et non pas la totalité. La plupart des bailleurs comptabilisent 100 % des coûts du projet si le climat est son objectif principal, ou alors utilisent un pourcentage fixe, par exemple 40 % ou 50 %, si le climat est l’un des objectifs, mais pas l’objectif principal, du projet. Cela signifie qu’au moins 40 % des coûts d’un projet peuvent être comptabilisés comme financements climat, même si le lien avec le climat est extrêmement faible.

Ces décisions peuvent considérablement impacter les chiffres finaux. Par exemple, si on applique les méthodologies utilisées par l’Allemagne et la Suisse à un ensemble aléatoire de projets déclarés par le Royaume-Uni à la CCNUCC, on remarque que pour les mêmes projets, l’Allemagne déclarerait un tiers de moins de financements climat par rapport au Royaume-Uni, et la Suisse 21 % de moins.

Si on utilisait la méthodologie de l’OCDE, cela gonflerait le total de 50 %.

Et ce n’est pas tout. Personne ne fournit d’informations claires sur la manière dont cet argent est réellement dépensé. En tout cas, personne ne le faisait, avant ONE.

Le système actuel de suivi et d’analyse des financements climat n’est pas fiable pour de nombreuses raisons :

  • les données sont imprécises : la devise utilisée n’est parfois pas la bonne, et il arrive qu’on parle de milliards alors qu’il s’agit de millions
  • le suivi est trop lent : certaines données ne sont publiées que 4 ans après
  • les méthodes de suivi des financements des institutions multilatérales sont très peu claires.

Voici quelques exemples, parmi beaucoup d’autres, de ce qui ne fonctionne clairement pas. Vous comprenez maintenant pourquoi les données sur les financements climat de la CCNUCC et de l’OCDE sont incomplètes et peuvent induire en erreur.

L’absence de règles et de méthodologies communes pour le suivi des financements climat permet beaucoup de créativité au sein des déclarations des bailleurs : est-ce que le financement d’une centrale à charbon peut être comptabilisé ? D’après le Japon, bien souvent, la réponse est oui. Et le financement d’un hôtel ? Les États-Unis sont de cet avis. Une chocolaterie ? Tout à fait, dirait l’Italie. Idem pour la promotion de l’utilisation du gaz naturel (Japon et Etats-Unis), des équipements de la police (Italie) ou la lutte contre le terrorisme (UE et Italie).

Une annonce faite par le Royaume-Uni en octobre 2023 illustre parfaitement l’absurdité qu’il y a à laisser les bailleurs décider de ce peut être comptabilisé comme financement climat, sans définition commune ni contrôle. Le Royaume-Uni prévoit en effet d’élargir sa définition des financements climat afin de pouvoir gonfler ses chiffres, sans pour autant dépenser une livre sterling de plus.

À qui profite le système ? Certainement pas aux millions de personnes qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique et qui n’ont plus d’endroit où vivre, qui ne peuvent plus se nourrir ou se soigner, voire qui en perdent la vie.

Tout cela n’est pas une fatalité : les méthodes de suivi et d’analyse de données complexes ont fait d’énormes progrès ces dernières années, et nous sommes maintenant capables de suivre avec précision chaque dollar utilisé pour financer la lutte contre le changement climatique.

Ne pas utiliser ces données est un choix politique, et c’est inadmissible.

Les pays riches dépensent beaucoup moins de financements climat que ce qu’ils prétendent.

Les « Climate Finance Files » révèlent que les bailleurs versent effectivement moins de fonds pour le climat qu’ils ne le prétendent.

Beaucoup moins.

Les engagements des pays donateurs et des institutions internationales en matière de financements climat sont largement surestimés. Près des deux tiers des engagements recensés par l’OCDE dans le cadre de la lutte contre le changement climatique n’ont jamais été déclarés comme décaissés ou n’étaient initialement pas liés au climat (si on ne prend pas en compte les données manquantes). Cela représente un montant impressionnant de 343 milliards de dollars entre 2013 et 2021.

Source : croisement entre la base de données SNPC de l’OCDE pour suivre les financements climat des bailleurs qui utilisent les marqueurs de Rio, et la base de données du CRDF (Climate-related Development Finance) de l’OCDE. Certaines données sont manquantes, et les bases de données ne peuvent être croisées à 100 %, par conséquent, les chiffres ci-dessus ne prennent en compte que les données connues et disponibles.
À noter : 
Ces montants sont différents de ceux utilisés par l’OCDE pour faire le suivi de l’objectif des 100 milliards, comme expliqué dans l’introduction, ce qui complique encore plus les choses. 
ONE n’a pas pris en compte dans son analyse les données manquantes : certains bailleurs ne fournissent pas leurs données sur les décaissements, et certaines données sont manquantes. Cela représente un montant de 69 milliards de dollars.  

Regardons ces chiffres de plus près. Pourquoi ces 343 milliards manquent-ils à l’appel ?

  1. Une partie des financements n’a rien à voir avec le climat

La totalité des engagements recensés par l’OCDE en matière de financements climat pour tous les bailleurs entre 2013 et 2021 sont largement exagérés. Plus d’un dollar sur cinq des engagements financiers sur cette période n’est pas réellement affecté à la lutte contre le changement climatique. Cela représente quand même 115 milliards de dollars en moins. Cet argent est censé être destiné à l’action climatique, mais il est en réalité utilisé pour des choses qui n’ont pas grand-chose à voir avec le climat.

  1. Une partie des promesses n’est pas déclarée comme ayant été versée

L’OCDE et ses membres ont choisi de communiquer sur leurs « engagements », qui sont des promesses financières. Mais rien n’est dit sur ce qui a effectivement été versé, donc si les promesses ont bien été remplies. C’est assez problématique parce qu’on sait que les bailleurs versent toujours moins d’argent que ce à quoi ils s’étaient engagés. Or, ce qui nous intéresse, ce sont les fonds qui ont bien été reçus dans les pays vulnérables. L’impact des promesses sur le changement climatique est plutôt inutile.

Ces deux problèmes dans les données mises en avant par l’OCDE et ses membres peuvent être considérables et avoir de lourdes conséquences.

Par exemple, si on regarde uniquement les bailleurs bilatéraux (les pays), seuls 49 % des engagements en financements climat entre 2013 et 2021 ont été enregistrés comme ayant été versé ou comme ayant un lien significatif avec la lutte contre le changement climatique. Cela représente un manque de 135 milliards de dollars.

Prenons juste l’exemple de la France : si on retire les financements qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le climat, et ceux qui n’ont pas été déclarés comme ayant été versés, seuls 43 % de ce que la France a déclaré comment financements climat bilatéraux entre 2013 et 2021 sont des financements réels. La France a donc déclaré 22 milliards de dollars de plus que ce qu’elle a réellement déboursé sur cette période. Pour l’Allemagne, les financements réels ne représentent que 47 % de ce qui a été déclaré, ce qui représente une différence de 34 milliards de dollars.

Pour compliquer encore tout cela, certaines institutions multilatérales ne communiquent pas à l’OCDE de données sur ce qui a effectivement été versé, il est donc impossible de vérifier les financements réels. Les chiffres que vous venez de lire, et qui sont dans notre base de données, sont donc incomplets. Cela souligne encore une fois la mauvaise qualité des données sur les financements climat.

Et les pays vulnérables au changement climatique, dans tout ça ?

Les informations sur les financements des bailleurs étant incomplètes et imprécises, les pays bénéficiaires sont laissés dans l’ignorance, incapables de planifier ou de budgétiser avec précision leur propre lutte contre les effets du changement climatique.

Le Nigeria, par exemple, n’a pas reçu 76 % de financements qui lui avaient été promis entre 2013 et 2021, une différence de 4,5 milliards de dollars. Le Sénégal n’a pas reçu 66 % des financements promis (2,8 milliards de dollars en moins) et le Kenya 52 % (4,5 milliards de dollars en moins).

Sans données fiables, il est pratiquement impossible de demander des comptes aux bailleurs vis-à-vis de leurs promesses en matière de financements climat.

Ce manque de données génère également sans surprise de la défiance à l’égard des pays riches.

A force d’accumuler des promesses non-honorées, les pays donateurs sont souvent pointés du doigt comme hypocrites et les pays les plus vulnérables ne croient plus ni les données sur les financements climat des donateurs, ni les intentions de ces derniers de respecter leurs engagements. Il est essentiel de rétablir cette confiance lors des négociations sur le nouvel objectif de financements de la lutte contre le changement climatique après 2025.

Les financements climat ne vont pas là où ils sont le plus nécessaires

Les populations les plus vulnérables ne reçoivent pas les fonds dont elles ont besoin.

Les 20 pays les plus impactés par les effets du changement climatique ont reçu 1,7 milliard de dollars de financements climat en 2021. Cela ne représente que 6,5 % des 26,1 milliards de dollars dont ils ont besoin chaque année pour lutter contre la crise climatique.

Les pays à court de liquidités sont contraints de choisir entre prendre des mesures pour réduire leurs propres émissions (ce qu’on appelle l’atténuation) et s’adapter aux effets du changement climatique (l’adaptation), ou investir dans d’autres secteurs prioritaires, comme l’alimentation, la santé et l’éducation de leur population.

Prenons l’exemple des dépenses de santé.

En 2020, les dépenses de santé du gouvernement de la République démocratique du Congo ne représentaient que 0,7 % du PIB (317 millions de dollars), bien en deçà des 5 % du PIB recommandés. Par ailleurs, la RDC a besoin de 4,8 milliards de dollars de financement climatique par an pour mettre en œuvre une transition énergétique verte et s’adapter au changement climatique. Pourtant, le pays n’a reçu que 182 millions de dollars de financements climat des bailleurs internationaux en 2021.

Les remboursements de la dette sont souvent bien plus importants que les financements climat reçus

Attendez, ce n’est toujours pas fini : de nombreux pays très endettés paient chaque année davantage pour le remboursement de leur dette que ce qu’ils reçoivent pour lutter contre le changement climatique.

Sur les 46 pays lourdement endettés pour lesquels nous disposons de données à ce sujet, 20 ont remboursé davantage aux créanciers qu’ils n’ont reçu de financements climat entre 2019 et 2020. Sept de ces pays se trouvent en Afrique.

La majorité des bailleurs sont responsables de cette situation. Entre 2019 et 2021, 27 des 42 bailleurs de financements climat (64 %) ont reçu plus de remboursements de dettes de pays lourdement endettés qu’ils n’ont versé de financements climat à ces mêmes pays.

Pire encore, une grande partie des fonds alloués à ces pays déjà très endettés aggravent la dette de ces derniers.

Plus de la moitié (58 %) de l’ensemble des financements climats alloués aux 54 pays lourdement endettés entre 2019 et 2021 sont des prêts. Près d’un dollar sur quatre versé à ces pays était un prêt non concessionnel. Cette situation risque d’aggraver la crise de la dette de ces pays et de compromettre leur capacité à répondre aux besoins de leur population et à lutter contre le changement climatique à long terme.

Faire peser la dette climatique sur les pays lourdement endettés est une faute grave en matière d’action climatique. Pourtant, si on regarde la nature des financements alloués, c’est précisément ce que les bailleurs font dans de nombreux cas.

Pourquoi tout ce qu’on vous raconte est important

Le changement climatique pourrait plonger plus de 132 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici la fin de la décennie. D’ici 2050, plus de 1,6 milliard de personnes, dont près de 20 % de la population africaine, pourraient être exposées à de graves sécheresses. Cela représente une augmentation de 400 % par rapport à aujourd’hui.

Chaque personne sur la planète, peu importe où elle se trouve, bénéficiera du soutien adéquat apporté aux pays les plus vulnérables face aux effets du changement climatique. Pour éviter que des millions de personnes ne tombent dans la pauvreté. Pour éviter d’innombrables crises humanitaires et conflits coûteux. Pour réduire notre empreinte carbone. Pour favoriser la paix et la prospérité.

Or, pour que ces pays reçoivent le soutien dont ils ont besoin, un suivi précis et juste des flux financiers liés au climat est primordial.

Nos recommandations pour sortir du Far West

La lutte contre le changement climatique est complexe. Mais le suivi des actions menées pour lutter contre cette crise ne devrait pas l’être. Nous pouvons créer un monde dans lequel les pays les plus exposés au changement climatique disposent des ressources dont ils ont besoin y faire face.

Il suffit de s’en donner les moyens. Voici comment.

Pour être à la hauteur du défi que représente le changement climatique, la confiance doit être restaurée entre les bailleurs et les pays vulnérables. Cela passe par des données sur les financements climat transparentes, précises et basée sur une définition commune. Pour cela, tous les bailleurs, en collaboration avec l’OCDE et la CCNUCC, devraient :

  • appliquer les engagements en matière de transparence décidés en 2018, notamment en accélérant la vitesse de publication des données (au minimum une fois par an)
  • améliorer la qualité des données et de suivi en :
    • se mettant d’accord sur une méthodologie et des règles de suivi communes à tous les bailleurs. Cette méthodologie doit se baser sur les pourcentages des projets réellement alloués au climat.
    • mettant en avant les données relatives aux décaissements et aux engagements pour tous les projets
    • définissant une méthodologie cohérente et fiable concernant les financements des institutions multilatérales. Ces données doivent être publiées dans des formats accessibles et clairs.
  • améliorer la qualité et le processus de vérification des données communiquées, y compris grâce à des audits indépendants.
  • garantir que tous les bailleurs, y compris les banques multilatérales de développement (BMD) utilisent des méthodologies transparentes et reproductibles pour le calcul de leurs contributions ainsi que des données plus précises, détaillées par projet, et actualisées de manière plus régulière.

Cela nécessitera également des investissements supplémentaires :

  • Les bailleurs doivent respecter leurs engagements historiques en matière de financements climat, notamment :
    • les 100 milliards de dollars promis à partir de 2020. Cela veut donc dire combler le déficit de financements entre 2020 et 2022 (dont 16,7 milliards de dollars en 2020 et 10,4 milliards de dollars en 2021).
    • l’engagement pris lors de la COP26 de doubler le financement de l’adaptation d’ici 2025.
  • L’ensemble des bailleurs et des pays vulnérables doivent convenir d’un nouvel objectif de financements climat ambitieux et à la hauteur des besoins pour la période post-2025.
  • Les bailleurs doivent garantir que les financements climat sont additionnels aux financements pour le développement.
  • Les banques multilatérales de développement devraient augmenter leurs financements climat notamment pour l’adaptation, en améliorant l’utilisation de leurs fonds. Elles doivent également augmenter leurs financements concessionnels.
  • Les bailleurs doivent alléger la dette et injecter des capitaux pour la transition climatique des pays lourdement endettés. Cela passe par la revue des analyses de la viabilité de la dette (AVD) menées par le FMI afin de mieux prendre en compte les vulnérabilités climatiques, l’intégration de clauses climatiques dans les nouveaux prêts, et la mise en place d’échanges dette/nature quand c’est utile.
  • Les bailleurs doivent utiliser directement ou indirectement leurs droits de tirage spéciaux (DTS) pour lutter contre le changement climatique et soutenir les populations les plus exposées, en fournissant des centaines de milliards de prêts plus abordables pour financer les efforts de résilience.
  • L’ensemble des bailleurs et des pays vulnérables devraient se mettre d’accord sur un objectif mondial pour l’adaptation au changement climatique afin d’accélérer les investissements pour l’adaptation pour les pays les moins résilients à la crise climatique.

Signez la pétition de ONE pour exiger plus de transparence sur les engagements climatiques.

Les “Climate Finance Files” : le Far West des financements climatiques par l’ONG ONE

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