Inspirée par le modèle d’abattoir mobile qui parcourt les campagnes suédoises, Emilie Jeannin a mis en place le premier dispositif d’abattage de bovins à la ferme en France il y a 3 ans. Entre les mois d’août 2021 et février 2023, l’abattoir mobile de l’entreprise Le Bœuf Ethique a sillonné les routes de Bourgogne. Son activité a pris fin suite à un manque de viabilité économique alors que ce modèle alternatif semble satisfaire toutes les attentes des consommateurs et des éleveurs en termes de bien-être animal, de qualité de la viande et de circuits locaux. Retour sur cette expérience marquante entre défis et obstacles qui ouvre la voie à de nouvelles pratiques d’abattage.
Les avantages de l’abattage à la ferme
Avec l’abattoir mobile, Emilie Jeannin a prouvé qu’un autre mode d’abattage était possible. L’ancienne éleveuse révoque « l’argument principal prétendant qu’il est nécessaire de mettre des usines pour respecter les normes » déclare-t-elle. Prendre en compte le bien-être animal tout en proposant une viande de qualité irréprochable « ça demande des moyens, mais c’est une priorité ou ça ne l’est pas ».
L’abattoir mobile fonctionne avec trois camions qui se rendent sur la ferme : un pour les vestiaires, les sanitaires et le bureau pour les services vétérinaires, un autre pour l’abattoir et un dernier pour le réfrigérateur où sont entreposées les carcasses. Elles sont ensuite amenées à un abattoir pour y être stockées et découpées.
L’animal échappe ainsi au stress du transport et est abattu dans un endroit familier, respectant le bien-être animal. « Ce système est fait pour que l’animal ne se rende compte de rien » explique Marie-Pierre Ellies, enseignante en production animale à Bordeaux Sciences Agro et chercheuse à l’INRAE. La réduction du stress améliore indirectement la qualité de la viande.
Ces conditions permettent également aux éleveurs d’avoir un lien direct avec les opérateurs de l’abattoir. Elles offrent plus de transparence sur la manière dont se déroule l’abattage tout en permettant aux agriculteurs d’accompagner leurs bêtes jusqu’à la fin.
« Il faut avoir assez d’éleveurs dans une même zone pour rentabiliser l’activité » relève cependant Marie-Pierre Ellies. L’enseignante-chercheuse, aussi ingénieure agronome, ajoute : « et s’il y a plusieurs éleveurs dans une même zone, en général c’est qu’il y a un abattoir ».
Une réussite entravée
L’abattage à la ferme doit faire face à certains défis par rapport à la pratique classique. Cela « prend plus de temps qu’un abattoir normal où les opérateurs sont plus nombreux donc on ne peut pas abattre plein d’animaux par jour et en plus il y a le déplacement, donc ce n’est pas forcément rentable », souligne Marie-Pierre Ellies.
Mais, le fonctionnement spécifique de l’abattoir mobile n’est peut-être pas la raison principale de l‘échec de l’entreprise d’Emilie Jeannin. Entre retards de versements des subventions, manque d’accompagnement de l’Etat et surfacturation de la part de l’abattoir, « il y a eu beaucoup de problèmes » concède la meneuse du projet.
Emilie Jeannin rappelle que l’activité de l’abattoir a réalisé des performances inégalées : agrément sanitaire obtenu en 8 jours puis rendu définitif au bout de 6 mois là où certaines structures mettent des années à l’avoir et chiffre d’affaires atteignant les 1 100 000 euros en 13 mois.
L’ancienne entrepreneuse et son équipe ont aussi dû faire face à des restrictions de vente sévères durant 6 mois avec notamment des dates limites de consommation très courtes freinant leur activité. Être à la tête d’un procédé nouveau et une femme au sein d’une filière viande très rigide implique aussi une charge mentale conséquente sans droit à l’erreur. « J’avais une pression de dingue », confie Emilie Jeannin.
« Il ne s’agit pas de dire que c’est la faute de tout le monde mais force a été de constater que proposer une alternative provoque beaucoup de crispations et de peurs. Il n’y a pas grand monde pour accompagner le changement, sauf les clients et les consommateurs qui eux étaient là pour de vrai » déclare la cheffe de projet. « C’est entièrement grâce aux consommateurs qu’on a pu démarrer l’abattoir mobile », avec le soutien obtenu sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de crowdfunding (financement participatif).
Le changement, c’est gênant
Pour Emilie Jeannin, « cette façon alternative de faire gênait beaucoup les tenants des abattoirs actuels, alors énormément de bâtons nous ont été mis dans les roues pour faire capoter le projet ».
L’abattoir mobile n’était subventionné qu’à 35 % des investissements tandis que les structures classiques le sont à 60 voire 80 %. « On ne joue pas dans la même cour », constate l’entrepreneuse. Elle souligne que « il y a donc des millions qui sont donnés à des abattoirs normaux pour que rien ne change » alors qu’aucun ne semble avoir réussi à atteindre le même chiffre d’affaires lors de ses 13 premiers mois d’activité.
« L’aspect économique est une fausse excuse. On voulait que ça ne marche pas. Ça arrangeait bien que j’échoue », dénonce-t-elle.
Face à la guerre en Ukraine et l’inflation, de nouveaux investissements étaient nécessaires. Malgré une solution de financement trouvée avec la Banque Publique d’Investissement, cette dernière s’est finalement désistée sans laisser le temps à l’entreprise Le Bœuf éthique de se relever. Puis, « ça a été la dégringolade. On a dû liquider et je me suis effondrée », explique Emilie Jeannin. La situation l’a conduite aujourd’hui à arrêter son activité d’éleveuse bovine en Bourgogne.
Conseils aux repreneurs
Le projet pourrait revoir le jour, en Bourgogne ou ailleurs et les camions de l’abattoir ont peut-être déjà un acheteur. Le conseil d’Emilie Jeannin pour ces repreneurs serait de « s’associer à des entreprises sur le territoire et des personnes qui ont vraiment envie de faire différemment » tout en restant lucide sur « les intentions des uns et des autres afin de pouvoir être le plus armé possible face à ce qui risque de se passer ».
Elle reconnaît que « y être allée seule », même en ayant des associés, a été l’une de ses « faiblesses », mais « personne d’autre ne voulait le faire ». Une solution serait ainsi « d’être dans des projets collectifs où les pouvoirs publics mettent vraiment les moyens. J’ai beaucoup appris avec cette expérience et je pense que c’est possible. Mais il n’y a pas de formule toute faite, chaque territoire a ses particularités », explique-t-elle.
Pour Marie-Pierre Ellies, « l’alternative que représente l’abattage à la ferme est une super idée mais ne permettra jamais d’assumer les volumes du système actuel ». Mais pouvant être associée à une démarche de qualité, elle demeure « une possibilité dans certains cas ».
Le modèle pourrait aussi être envisageable pour d’autres espèces. Ainsi qu’une transformation sur place lorsque la ferme dispose de son atelier. Mais « cela posera toujours le problème du nombre d’éleveurs intéressés et du nombre d’animaux abattus par jour » rappelle l’enseignante agronome.
Et si c’était à refaire ?
« Si c’était à refaire, je le referai », affirme Emilie Jeannin. « Ne serait-ce que pour avoir prouvé que c’était possible ».
Elle souligne que « au début, tout le monde croyait que techniquement ça serait impossible d’avoir un résultat irréprochable d’un point de vue qualitatif, sanitaire et de respect du bien-être animal ». Parmi les sceptiques : les autorités sanitaires, les acteurs et lobbies de la filière viande comme Interbev ou mêmes certaines associations de défense des animaux qui s’inquiétaient que les contrôles puissent être moins stricts. Or, « c’est faux : on a prouvé que c’était bien fait, justement, pour les animaux ».
Expérimenter ce modèle alternatif, presque subversif, a aussi permis de montrer aux porteurs de projet que « c’est possible d’abattre des animaux dans de bonnes conditions à la ferme » et de produire une viande de qualité. Emilie Jeannin a ainsi ouvert la voie à l’abattage de bovins à la ferme en France et « c’est déjà ça », estime-t-elle.
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8 commentaires
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Kahn Didier
Jusqu’à quand les citoyens et consomacteurs nombreux en France devront-ils attendre que la filière bio et éthique bénéficie des mêmes subventions et même plus de subventions que la filière agricole polluante et sans respect pour le bien être animale ?
Patrice DESCLAUD
N’y aurait-il pas là (« face à ces bâtons dans les roues ») une complicité de l’état avec avec certains syndicats agricoles monopolistiques que cette initiative concurrence ?
dany voltzenlogel
Le pouvoir de l’argent des « GROS » permet d’abattre les petits.
Le jeu des pouvoirs politique en est le principal responsable.
xavier74
Une superbe initiative face au loobing de la viande. Je trouve que Émilie à eu du courage et de la poigne pour offrir aux éleveurs une alternative pour leur animaux. Quoiqu’il en soit, l abattoir est une souffrance pour l animal et au lieu de trouver des alternatives on laisse se développer l’abbatage rituel. Triste monde. J espère que l idée sera reprise
Vaugondy
Euhhh bien être sans stress pour mourir, dissonance cognitive..
Moi je vois juste l’intérêt pour l’éleveur d’avoir une viande plus tendre puisqu’un animal stressé donne une viande plus raide. À aucun moment il y a un souci du bien être animal sinon il ne serait tout simplement pas tué
Minaud
Parler de bien-être animal en tuant un innocent qui ne veut pas mourir me paraît quelque peu hypocrite et surtout très lâche. Il y a suffisamment d’alternative pour pouvoir se passer de viande et reconvertir les éleveurs.
Mais face à cette masse égoïste qui préfère ses papilles gustatives à la Cause Animale … et que dire des lobbies …
Eric B
Cette initiative d’abattage à la ferme est intéressante. Je pensais que son échec serait principalement économique, mais manifestement c’est plus complexe que cela. Les défis bureaucratiques, le manque de soutien et les résistances de l’industrie ont joué un rôle important. C’est surprenant de voir à quel point la réussite de projets innovants dépend de multiples facteurs.
PAIRAUD
J’étais un client satisfait et regrette la liquidation au nom du bien être animal. L214 lutte aussi contre le transport des animaux.