Oubliés par « Oppenheimer », les Américains victimes de la bombe atomique restent meurtris


(g-d) Les victimes de radiations nucléaires Louisa Lopez, Wesley Burris et Tina Cordova devant l'entrée du site militaire où a été testée la première bombe atomique, à White Sands, le 21 février 2024 au Nouveau-Mexique © AFP VALERIE MACON

White Sands (États-Unis) (AFP) – Wesley Burris dormait paisiblement dans son lit lorsque la première bombe de l’ère nucléaire a explosé, à seulement 40 kilomètres de chez lui.

Une lumière aveuglante a envahi sa maison perdue dans le désert du Nouveau-Mexique, dans le sud-ouest des Etats-Unis. Puis soudain, la force inouïe de l’explosion a fait voler les fenêtres en éclats.

Complètement ébloui, il ne voyait rien, demandant à son père : « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Est-ce que le soleil a explosé ? »

Cette déflagration, survenue à 5h30 le 16 juillet 1945, et ses préparatifs, sont longuement filmés dans « Oppenheimer », favori pour l’Oscar du meilleur film.

Mais malgré une durée de trois heures, le portrait du père de la bombe atomique réalisé par Christopher Nolan ne montre jamais les habitants victimes du fameux essai Trinity: à l’écran, l’expérimentation prend place dans une étendue désertique complètement vide.

En réalité, des milliers de personnes – majoritairement hispaniques et amérindiennes, selon un récent documentaire – vivaient dans un rayon de 80 kilomètres autour du site top secret choisi par militaires et scientifiques pour tester l’arme nucléaire.

Parmi le voisinage, personne n’a compris pourquoi un gigantesque nuage en forme de champignon a défiguré l’horizon, se souvient M. Burris, aujourd’hui âgé de 83 ans.

« Nous n’avons pas eu peur, parce que ça ne nous a pas tués immédiatement », raconte-t-il à l’AFP. « Nous n’avions aucune idée de ce que c’était. »

« Cobayes »

Huit décennies plus tard, cet Américain connaît bien les conséquences mortelles de l’explosion, qui a projeté des éléments radioactifs jusqu’à 15 kilomètres d’altitude.

L’essai s’est déroulé par un temps orageux, malgré les avertissements des scientifiques, car les Etats-Unis étaient en pleine course à la bombe pour en finir avec la Seconde guerre mondiale.

Après l’explosion, des pluies torrentielles ont renvoyé toute la matière toxique au sol. La terre et la poussière du désert, les sources d’eau, l’ensemble de la chaîne alimentaire: tout a été irradié.

Résultat, M. Burris a vu son frère mourir d’un cancer. Sa sœur a également dû se battre contre cette maladie, et sa nièce souffre désormais du même mal.

Lui-même souffre d’un cancer de la peau, qu’il tente de guérir grâce à la médecine naturelle amérindienne.

Malgré le prix exorbitant payé par les victimes du projet Manhattan, aucune d’entre elles n’a reçu la moindre compensation.

« Nous avons été traités comme des cobayes », estime Tina Cordova, une survivante du cancer qui dirige le Tularosa Basin Downwinders Consortium, une association qui réclame justice.

Mais à l’inverse de cobayes, « personne n’est jamais revenu pour vérifier notre état », enrage-t-elle.

Pour cette militante, « Oppenheimer » a le mérite d’ancrer l’essai Trinity dans la conscience de millions de spectateurs. Mais le long-métrage « n’est pas allé assez loin ».

Avec 13 nominations aux Oscars, elle espère que l’équipe du film se servira de la cérémonie du 10 mars comme d’une tribune, pour « reconnaître les sacrifices et les souffrances des habitants du Nouveau-Mexique ».

 « Mensonges »

« Ils étaient au courant de notre existence lorsqu’ils ont réalisé le film, mais ils ont choisi de nous ignorer à nouveau », regrette cette femme, dont la famille compte des cancers sur cinq générations depuis 1945.

Elle espère que les Etats-Unis finiront par réparer cette injustice historique. Car si une loi a permis de compenser les habitants du Nevada, de l’Utah et d’Arizona, voisins de tests nucléaires ultérieurs, rien n’a jamais été attribué aux victimes de la première bombe du Nouveau-Mexique.

Pour aider les familles, souvent endettées par les factures médicales prohibitives, la communauté multiplie les événements caritatifs.

« Peut-être que le Pentagone devrait organiser une vente de gâteaux chaque semaine pour boucler son budget, comme nous sommes forcés de le faire », ironise Mme Cordova.

De son côté, M. Burris reste amer face à l’intrigue d' »Oppenheimer ». « Ce film n’est qu’un ramassis de mensonges », grince-t-il. « Combien de personnes sont mortes ici ? Ils n’en disent jamais rien. »

L’octogénaire a été mis sur la touche toute sa vie.

En juillet 1945, deux inconnus munis d’étranges lunettes ont été aperçus près de sa maison le jour de la déflagration, sans rien dire. Après coup, les autorités ont évoqué une « explosion de munitions ».

Quelques années plus tard, des hommes en combinaisons blanches et masques ont prélevé des échantillons de terre près de la maison familiale. Le frère de M. Burris s’en est inquiété.

« Ils lui ont dit: +Vous devez partir d’ici. Cela va vous tuer.+ »

© AFP

Un commentaire

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    • Serge Rochain

    Les mensonges du nucléaire ont commencé ce jour là, et il perdurent aujourd’hui. Pire encore, en France, puissance nucléaire militaire et civile, il s’amplifie.

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