Brest (AFP) – Après avoir stocké de vastes quantités de chaleur en 2023, les océans ont battu de nouveaux records de température en février. Un phénomène lié à l’inertie thermique des océans, couplé au réchauffement climatique et au phénomène El Niño.
La température moyenne des eaux de surface a atteint 21,06°C en février, un record mensuel absolu, selon les données de l’observatoire européen Copernicus.
Le record de température sur une journée (21,09°C) a également été battu le 28 février, alors que l’été bat son plein dans l’hémisphère Sud, où se trouvent les plus grandes étendues océaniques.
Ces records ne sont « pas étonnants » du fait de l’inertie des océans, dont la température varie beaucoup plus lentement que celle de l’atmosphère, souligne Thibault Guinaldo, chercheur en océanographie spatiale au Centre d’études en météorologie satellitaire (CEMS) de Lannion (Côtes d’Armor).
« On est dans la continuité de 2023 », une année record, souligne-t-il, avec des anomalies de températures de 5°C observées au printemps, au large de l’Irlande et en Mer du Nord. « Ce n’était jamais arrivé », relève-t-il.
Mais ce début d’année 2024, « si on enlève la contribution de l’année précédente », « n’est pas si exceptionnel », ajoute M. Guinaldo.
La principale cause de ces records demeure le réchauffement climatique, provoqué par des émissions de gaz à effet de serre qui ne faiblissent pas: elles ont atteint un nouveau record en 2023, pour celles liées à l’énergie.
L’océan, qui absorbe 90% de l’excès de chaleur produite par les activités humaines, a ainsi stocké l’an dernier une quantité d’énergie colossale, suffisante pour faire bouillir des « milliards de piscines olympiques », selon une étude internationale publiée en janvier.
« Pas d’accélération »
Ces pics de chaleur continus, sur une surface océanique qui couvre 70% de la planète, ont pu faire craindre une accélération du changement climatique.
Une hypothèse réfutée par Éric Guilyardi, océanographe et climatologue au CNRS, qui invite à ne pas se focaliser sur une année en particulier. « Le climat demande de faire des moyennes sur 20-30 ans », rappelle-t-il.
Et sur une tendance longue, « la température suit assez linéairement les émissions cumulées de gaz à effet de serre. Il n’y a pas d’accélération ou de décélération », insiste le chercheur, auteur principal en 2014 du 5ème rapport du Giec (groupe d’experts du climat des Nations unies).
Outre le réchauffement climatique, les anomalies de températures observées peuvent s’expliquer par les variations naturelles du climat, au premier chef le phénomène El Niño. Localisé dans l’océan Pacifique tropical, « c’est-à-dire sur un quart de la surface de la planète », « ce réchauffement régional a arithmétiquement un impact sur la température moyenne de la planète », souligne M. Guilyardi.
Après trois ans de phénomène La Niña, « donc plutôt froides », « on est passé à El Niño: non seulement, on ne refroidit plus, mais on réchauffe », explique-t-il. Cette alternance « peut expliquer des variations de températures mondiales d’une année sur l’autre jusqu’à 0,3 degré », selon lui.
Dans le même temps, l’océan Atlantique a connu « un effet atmosphérique qui est venu s’ajouter au réchauffement climatique », avec « moins de vent donc moins de refroidissement et plus de chauffage direct de l’atmosphère », a décrit Juliette Mignot, océanographe à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Le retour de La Niña ?
Couplé à une acidification des océans, ce réchauffement n’est pas sans conséquence sur les écosystèmes marins. La croissance de certains organismes, tels que les coquillages ou les coraux, est rendue plus difficile. Les coraux blanchissent et le phytoplancton diminue dans les régions les plus chaudes, perturbant la chaîne alimentaire des poissons. Et certains espèces migrent vers les pôles, à la recherche d’eaux plus froides.
Au niveau mondial, ces records de température pourraient toutefois marquer le pas dans les mois qui viennent, avec un affaiblissement d’El Niño déjà en cours dans le Pacifique.
Le retour de La Niña, à l’effet refroidissant, est même prévu cet été ou à l’automne par l’agence océanographique américaine NOAA. Un phénomène qui ne devrait toutefois pas faire chuter les températures, soutenues par le réchauffement climatique.
« Avec une année 2023 exceptionnelle, on a passé un cap », souligne M. Guinaldo.
© AFP
Ecrire un commentaire