Tout le monde n’est pas égal face au changement climatique. C’est notamment le cas des populations rurales qui vivent dans les pays pauvres qui sont particulièrement vulnérables au réchauffement climatique, tout en en y contribuant le moins. “Chaque année, les agricultrices et les foyers dirigés par des femmes à revenus faibles ou intermédiaires subissent des pertes très importantes dues à des chocs climatiques comme des canicules ou des inondations” déclare Lauren Phillips, la directrice adjointe du pôle de transformation rurale et de l’égalité des sexes de la FAO (l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture). Le dernier rapport de la FAO publié mardi met en évidence les effets différenciés du changement climatique selon le genre, le niveau de ressources et l’âge. Titré Le Climat est injuste, il fait le lien entre l’exposition aux risques climatiques, leurs impacts économiques et les inégalités. L’étude se penche sur les populations rurales à revenus faibles et intermédiaires, dans des pays en développement. Ce rapport publié quelques jours avant la Journée Internationale des Femmes met l’accent sur la vulnérabilité de celles-ci aux menaces climatiques.
“Si le changement climatique augmente d’un degré Celsius supplémentaire, les ménages dirigés par des femmes pourraient perdre 34 % de leurs revenus par rapport aux ménages dirigés par des hommes” souligne le rapport. “C’est une perte absolument énorme pour les familles qui souffrent déjà de la pauvreté et qui ont du mal à avoir des quantités suffisantes et saines de nourriture pour leur famille chaque jour” ajoute Lauren Phillips.
GoodPlanet Mag’ vous propose de revenir sur les résultats de cette étude concernant les disparités entre les sexes en termes d’impacts climatiques.
Des inégalités accrues entre les femmes et les hommes lors d’événements extrêmes
Les inégalités se manifestent au moment des événements climatiques. Lors de phénomènes météorologiques extrêmes comme les vagues de chaleur, les inondations ou les tempêtes, les revenus agricoles des ménages dirigés par les femmes sont considérablement plus impactés que ceux des hommes. Par exemple, en cas de fortes chaleurs, le préjudice financier est plus important pour les ménages dirigés par des femmes.
Ainsi, selon la FAO, les ménages dirigés par des femmes “accusent en moyenne une perte de revenu de 8 % supérieure à ceux qui ont un homme pour chef de famille, et de 3 % supérieure en cas d’inondation”. Cela représente respectivement une réduction de 37 milliards et de 16 milliards de dollars des revenus totaux ruraux des femmes comparés à ceux des hommes.
Mais, l’injustice climatique ne fait pas seulement jour lorsque des catastrophes surviennent. C’est un phénomène latent, reflet d’autres formes d’inégalités d’accès aux emplois et aux ressources ainsi que de rôles et tâches assignés au genre. Les femmes représentent 70 % des pauvres dans le monde, ce qui les place en premières lignes face aux conséquences du dérèglement climatique en étant aussi fragilisées par des normes sociales discriminatoires. Les femmes ont en effet souvent plus de difficultés à accéder à un emploi décent non agricole, elles sont ainsi poussées à vendre une partie de leurs terres pour faire face aux pertes économiques, ce qui fragilise leur capacité d’adaptation.
Le poids des normes sociales augmente la vulnérabilité des femmes
Les structures sociales enferment les femmes dans des schémas genrés qui conditionnent leurs accès aux ressources, aux services et aux opportunités d’emploi en zone rurale. Elles se voient souvent imposer une charge disproportionnée de responsabilités familiales et ménagères qui affecte leur niveau d’éducation et contraint leur gestion du temps.
Les normes de genre aggravent les inégalités d’accès à la terre entre hommes et femmes, privant ces dernières de la même sécurisation des droits fonciers, ce qui accroit leur précarité. Les parcelles des agricultrices sont souvent moins grandes et de moins bonne qualité.
Par ailleurs, ces codes sociaux déterminent également les types de cultures et les espèces d’animaux d’élevage au sein des fermes tenues par des femmes. Elles se retrouvent cantonnées à des productions qui sont souvent de moindre valeur et orientées vers la consommation domestique. Elles ne dégagent alors pas de revenus supplémentaires et peuvent mettre en danger l’approvisionnement en nourriture lors d’aléas climatiques.
Les femmes ont moins d’opportunités pour diversifier leurs sources de revenus en dehors du secteur agricole. Leur rémunération est donc très dépendante du climat. Leurs options se restreignent souvent à des postes à temps partiels, informels, mal rémunérés.
Lorsqu’elles occupent un emploi non agricole, elles sont plus susceptibles de le perdre à cause de la charge des tâches domestiques. Ces obligations familiales restreignent aussi leur mobilité et les empêchent de se déplacer à la recherche d’autres moyens de subsistance pour faire face à la catastrophe climatique.
Surcharge de travail
Lors de catastrophes naturelles, les femmes assument un travail supplémentaire par rapport aux hommes en consacrant en moyenne 4,2 heures par jour aux travaux domestiques et de soins non rémunérés, contre 1,9 heures pour les hommes.
Elles ont aussi tendance à augmenter leur temps de travail hebdomadaire lors de précipitations ou températures extrêmes et de sécheresses. Ramené au nombre moyen annuel de jours d’événements météorologiques extrêmes, les femmes travaillent 55 minutes de plus que les hommes par semaine.
Les femmes s’adaptent aussi bien que les hommes au climat, malgré les obstacles
Malgré les contraintes et les écarts de productivité et de revenus auxquels font face les femmes, elles sont tout aussi capables, si ce n’est plus, d’adapter leur système agricole à la crise climatique. Toutefois, elles risquent aussi de perdre plus selon l’évènement extrême.
Hommes comme femmes adoptent des pratiques de stratégie d’adaptation lors de ces évènements. Les femmes ont tendance à mettre davantage en place des cultures intermédiaires de maïs et de légumineuses, pratique adaptée aux petites surfaces, et sont moins susceptibles d’utiliser des engrais organiques face aux vagues de chaleurs. Lors de précipitations ou d’inondations, elles recourent plus à l’irrigation que les hommes, ce qui se traduit par une meilleure valorisation des cultures.
« Faire de la justice climatique une réalité pour tous »
« Faire de la justice climatique une réalité pour tous », c’est ce que déclarait Maria Helena Semedo, directrice générale adjointe de la FAO lors de la présentation du rapport mardi dernier. Elle souligne que derrière les chiffres, il y a de vraies personnes qui font face au quotidien à ces défis climatiques. Maria Helena Semedo relève le besoin d’inclusivité et de coopération pour porter la voix de ces populations vulnérables et invisibilisées. Parmi les 4 164 actions climatiques recensées, seules 6 % mentionnent les femmes, 1 % les personnes pauvres, 2 % la jeunesse et 6 % les agriculteurs.
Les femmes sont tenues à l’écart des processus décisionnels alors qu’elles sont des actrices incontournables de la résilience face au changement climatique. Pour Aditi Mukherji, chercheuse renommée dans le domaine de la gestion des ressources en eau et du développement agricole ayant participé à l’étude de la FAO et au dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), le cœur du problème de la lutte climatique réside dans les injustices et les actions ne seront efficaces que lorsqu’il sera résolu.
La chercheuse conclue : « les impacts sont inégaux, c’est pourquoi les solutions doivent être justes ».
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Pour aller plus loin :
Le rapport Le Climat est injuste de la FAO (en anglais) : The unjust climate (fao.org)
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Un commentaire
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Guy J.J.P. Lafond
Merci pour cette autre levée de drapeau.
À force de répéter le message, on finira bien par provoquer un changement qui sera salutaire aussi pour les femmes et les populations rurales dans les pays pauvres particulièrement vulnérables au réchauffement climatique.
La commande est grande en effet:
Nous devons briser la complicité complaisante entre des chefs d’États et des multinationales des énergies fossiles, de la finance et de la déforestation qui ne pensent qu’aux profits astronomiques et à une croissance sans cesse infinie. Idées malsaines pour nos enfants.
Élisons plus de scientifiques à la tête des États membres de l’ONU. Ils utiliserons mieux les données recueillies dans les secteurs de l’aquifère, de l’agriculture, de la finance, de l’économie et surtout sur la santé de nos éco-systèmes qui assurent la vie sur Terre.
Nous devrions aussi réquisitionner les quelques 9 000 pétroliers sur Terre et nous en servir comme navire-citerne servant plutôt à recueillir et à transporter de l’eau potable qui se perd à partir des glaciers dans les océans. Cet eau potable qui ne serait pas rejetée dans les océans pourrait être délivrée en des endroits où la sécheresse affecte l’agriculture.
Ce n’est rien d’autre qu’une révolution qui doit se préparer pour éliminer les mauvaises habitudes acquises au cours des quelques 100 dernières années.
S.v.p., faire circuler cet article de GoodPlanet Info.
Action!
@Guy J.J.P. Lafond
Montréal, les Laurentides et bientôt Ottawa de nouveau (le Canada, 4e pays exportateur de pétrole au monde, quel malaise pour moi!)
https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329