Gangi (Italie) (AFP) – Marilina est face à un choix cornélien : donner à ses vaches du fourrage avarié ou les mettre à brouter sur les collines dénudées par la sécheresse, qui a ruiné les récoltes et vidé les réservoirs d’eau en Sicile.
L’île méditerranéenne, grenier à blé au temps des Grecs puis des Romains, a déclaré l’état d’urgence en février : les pluies d’hiver, tant attendues après un été torride, n’ont pas été au rendez-vous.
« La situation est tragique », se désole Marilina Barecca en contemplant les collines des Madonie, à l’est de Palerme, dont les riches pâturages sont aujourd’hui réduits à un tapis jaunâtre.
Son foin est de si mauvaise qualité que les vaches n’en mangent pas.
Au-delà de la Sicile, c’est toute la Méditerranée occidentale qui est affectée, de l’Afrique du Nord à l’Espagne en passant par d’autres régions italiennes comme la Sardaigne.
En raison du changement climatique, les sécheresses sont appelées à être de plus en plus fréquentes en Sicile, tout comme les fortes pluies et les vagues de chaleur.
Les tempêtes ayant balayé l’île durant la récolte des foins au printemps 2023 ont endommagé le fourrage, y favorisant l’apparition de toxines dangereuses pour le bétail. Et depuis lors, quasiment pas de pluie, donc pas de foin susceptible de le remplacer.
Vaches empoisonnées
Marilina qui, à 47 ans, gère son exploitation avec sa soeur, dépense près de 3.000 euros en plus par mois pour acheter le fourrage qu’elle n’a pu constituer elle-même.
Et faute de foin de qualité pour assurer le complément, il ne s’agit pour elle que de maintenir en vie ses 150 vaches : les bêtes ne produisent actuellement que 17-18 litres de lait, contre 27-30 litres habituellement.
Marilina, qui est aussi vétérinaire, raconte que des vaches de ses collègues ont été empoisonnées par du fourrage avarié et « ne peuvent pas avoir de veaux, font des avortements spontanés et finissent à l’abattoir ou meurent même avant ».
« Nous devons importer du fourrage de bonne qualité, mais les coûts sont absolument prohibitifs », déplore-t-elle.
La Sicile a enregistré huit mois d' »aridité presque totale », selon l’Observatoire des ressources hydriques (ANBI). Les quelques pluies tombées ces derniers jours auront peu ou pas d’impact.
Selon l’agence régionale de météorologie, le second semestre de 2023 a été le plus sec depuis plus d’un siècle, alors que l’île avait déjà atteint en 2021 le record européen de température, à 48,8°C.
Incapable de remplir ses réservoirs, la Sicile a été contrainte de rationner l’eau dans des dizaines de villes, affectant les champs de blé, les orangeraies et les oliveraies.
Ratatinés
Vito Amantia, 67 ans, écrase des mottes de terre poussiéreuse entre ses mains, y cherchant en vain la trace des graines semées en novembre, « qui devraient désormais avoir produit des plants de 50 cm ».
L’aqueduc régional près de ses terres n’est toujours pas opérationnel, malgré des années de travaux.
Dans son orangeraie, qui bénéficie de terres volcaniques fertiles près de l’Etna, les fruits sont bien plus petits que d’habitude ou se sont ratatinés sur les branches.
« A presque 70 ans, je ne me souviens pas avoir vu quelque chose de semblable, ou avoir entendu que mon père ou mon grand-père ait eu à y faire face », raconte ce représentant local de la Coldiretti, principale organisation représentative des exploitants agricoles en Italie.
Selon lui, 30% des producteurs de citrons dans la région de Catane, deuxième ville de Sicile, risquent la faillite.
« Négligence »
« Ce qui nous inquiète vraiment, c’est que nos prévisions pour les trois prochains mois pour la Méditerranée annoncent des températures bien plus élevées qu’habituellement », explique à l’AFP Andrea Toreti, coordinateur de l’observatoire européen Copernic.
Environ 70% du territoire de la Sicile est à risque de désertification, non seulement en raison de longues périodes sans précipitations, mais aussi à cause de l’urbanisation non contrôlée et du gaspillage d’eau, selon l’ANBI.
La Sicile a détruit 95% de ses zones humides au cours des 150 dernières années pour les transformer en terres agricoles ou en terrains constructibles, en dépit de leur rôle-clé pour prévenir les sécheresses.
La région prévoit de recycler les eaux usées pour aider les agriculteurs mais des groupes de défense de l’environnement avertissent que nombre des usines de traitement des eaux usées ne respectent pas la législation européenne.
En outre, 52% de l’eau circulant dans le réseau d’adduction déliquescent de la Sicile se perd à travers des fuites, selon l’Institut national des statistiques.
« La Sicile dort depuis 30 ans. Cette sécheresse est le résultat de la négligence », constate avec amertume Vito Amantia.
© AFP
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