Al-Azrakiya (Irak) (AFP) – Dans un Irak ravagé par la sécheresse, Mohamed Sami était à deux doigts d’abandonner les champs hérités de son grand-père. Mais en adoptant un système d’irrigation moderne qui permet d’économiser une eau précieuse, il a dopé sa production de blé.
« Depuis 2019 jusqu’à maintenant, à cause des pénuries d’eau on ne pouvait plus cultiver », déplore l’agriculteur de 38 ans, au village d’Al-Azrakiya, dans le centre de l’Irak : « On était obligé d’aller en ville pour s’employer à la journée ».
Comme pour M. Sami, c’est toute sa profession qui a souffert d’au moins quatre années de sécheresses consécutives. En cause: des températures en hausse et des précipitations en recul, faisant de l’Irak un des cinq pays les plus plus exposés à certains effets du changement climatique.
Bagdad pointe aussi du doigt les barrages construits en amont par la Turquie et l’Iran, deux voisins influents, et qui ont réduit drastiquement le débit des fleuves mythiques Tigre et Euphrate, irriguant depuis des millénaires une Mésopotamie berceau de l’agriculture.
Avec la sécheresse, « on a envisagé d’abandonner l’agriculture si la situation perdurait », se souvient M. Sami, propriétaire de dix donums — un hectare de terre — dans les environs de Falloujah, métropole de la province d’Al-Anbar.
Depuis deux ans, sa vie a changé grâce à des équipements d’irrigation fournis par le Programme alimentaire mondial (PAM): par le passé ses moissons lui apportaient entre cinq et sept tonnes de blé, aujourd’hui il récolte entre 11 et 12 tonnes.
« L’eau autrefois utilisée pour irriguer un seul donum me sert aujourd’hui à arroser dix donums », s’enthousiasme-t-il.
« Economiser l’eau »
Deux ou trois jours par semaine, l’Euphrate vient remplir son bassin relié par des tuyaux à des pulvérisateurs, pour arroser ses champs — uniquement avec la quantité d’eau nécessaire.
Un contraste criant avec les méthodes d’irrigation pluri-millénaires du croissant fertile, très gourmandes en eau mais suivies à ce jour par une majorité d’agriculteurs irakiens, consistant à inonder les vastes étendues de terre.
Comparé à l’irrigation traditionnelle, les nouveaux systèmes permettent « d’économiser 70% de l’eau », indique à l’AFP Khansae Ghazi, une responsable du PAM à Bagdad.
L’agence onusienne a soutenu en 2023 quelque 1.119 agriculteurs irakiens en leur fournissant des pulvérisateurs et des systèmes d’irrigation au goute-à-goutte, « dans les régions les plus touchées par le changement climatique et la sécheresse », ajoute-t-elle.
Ces « nouvelles technologies » permettent « d’assurer des cultures consistantes tout au long de l’année », de garantir « productivité et récoltes élevées » mais aussi de « réduire la dépendance à des pluies imprévisibles », selon la responsable.
D’autant que la « productivité agricole » en Irak a chuté de 36% entre les récoltes de 2021-2022 et celles de 2020-2021, en raison de la baisse des précipitations et du niveau des fleuves, selon le PAM.
« Pays des deux fleuves »
Entre sécheresse et nécessité d’arbitrer les usages pour garantir de l’eau potable à 43 millions d’Irakiens, les autorités ont dû réduire ces dernières années les surfaces cultivées.
En 2024, le pays espère toutefois récolter plus de six millions de tonnes de blé, pronostique le porte-parole du ministère de l’Agriculture Mohamed Al-Khazaï. De quoi garantir l’auto-suffisance et dépasser la production de l’année précédente.
Le gouvernement offre « des facilités importantes » pour « accélérer » le recours à l’irrigation intelligente, dit-il.
Via son ministère, les agriculteurs peuvent acquérir ces nouveaux systèmes à un prix subventionné — 30% moins cher — et les rembourser avec des mensualités échelonnées sur une décennie.
« Initialement, c’était difficile pour le paysan de basculer vers cette irrigation moderne : l’Irak est le pays des deux fleuves, sa civilisation, depuis plus de 7.000 ans, s’est construite essentiellement sur l’agriculture », rappelle M. Khazaï.
« Des décennies durant, le pays a souffert des crues et pas de la sécheresse », résume-t-il.
Aujourd’hui, l’agriculteur sait que « pour faire face aux pénuries d’eau et poursuivre son activité », il n’y a « pas d’alternatives » à l’adoption de nouvelles techniques d’irrigation, ajoute le responsable.
Dans ses champs à Al-Azrakiya, Souad Mehdi a pu « doubler sa récolte » en adoptant ces systèmes. Autrefois, le manque d’eau lui permettait d’exploiter seulement la moitié de ses dix donums. Aujourd’hui, elle cultive à nouveau tous ses terrains.
L’hiver, c’est du blé et de l’orge. L’été, des tomates, des aubergines, des bamyas ou du maïs.
« Avant, l’irrigation durait deux jours au moins. En été, on restait au soleil toute la journée », se souvient la quadragénaire. Désormais, « on remplit le bassin, et on irrigue avec les pulvérisateurs. Ca ne prend pas plus de deux heures ».
© AFP
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