Arc-sous-Cicon (France) (AFP) – Chaque matin à l’aube, Olivier Joliot inspecte l’eau qui sort de sa station d’épuration flambant neuve. Ce producteur de Comté n’a pas intérêt à déverser de l’eau polluée : les fromageries sont désormais sous étroite surveillance des pouvoirs publics.
A Arc-sous-Cicon, village lové au milieu des champs et des forêts du plateau jurassien, la coopérative laitière de M. Joliot évite de rejeter le petit-lait issu de la fabrication du fromage. Mais ailleurs dans le Doubs, certaines fromageries ont pendant des années infecté en toute impunité les affluents de la Loue, rivière jadis réputée pour ses truites.
Eaux troubles, mousse blanche, odeurs d’égout et poissons morts ont été signalés entre 2019 et 2020 aux abords de laiteries présentant des défaillances importantes de traitement des eaux usées.
Alexandre Cheval, de la Fédération départementale de pêche, se souvient encore du « triste spectacle des écoulements de la station d’épuration de la fromagerie » de Cléron, où « des eaux bleues » et « des algues » avaient envahi le ruisseau de la Mée, un affluent de la Loue.
Mais il constate une nette amélioration.
A Arc-sous-Cicon, les 12 agriculteurs propriétaires de la coopérative laitière ont investi 505.000 euros pour construire l’an dernier une station d’épuration.
« Le but est de récupérer tout le petit-lait et d’essayer d’avoir le moins de pertes possibles à l’égout », explique Olivier Joliot, responsable de la coopérative, qui s’efforce aussi de limiter les rejets des produits de nettoyage.
La plupart des producteurs ont compris l’enjeu à long terme de ces efforts, notamment en termes d’image du Comté, fromage d’appellation d’origine protégée le plus vendu en France.
« Si on veut être encore là demain, on doit être soucieux de l’environnement sur lequel on vit depuis des millénaires », estime un des membres de la coopérative d’Arc-sous-Cicon, Paul Michel.
« Electrochoc »
La pollution des rivières a en partie pour origine l’augmentation de la production laitière, portée par la dynamique de la filière Comté. Au point que le parquet régional de l’environnement de Besançon, créé en 2021, a ouvert des enquêtes après plusieurs signalements. Deux premières fromageries, dont celle de Cléron, ont été condamnées l’année suivante à de lourdes amendes.
Devenues sous-dimensionnées, les stations d’épuration des laiteries incriminées déversaient « des eaux non traitées dans la nature, avec un effet catastrophique pour l’environnement », sur un sol très perméable, analyse le procureur de la République Etienne Manteaux.
« Depuis des années on ne disait rien aux fromageries polluantes et elles se sentaient autorisées à continuer », relève-t-il. « Ces condamnations ont créé un électrochoc local en faisant prendre conscience que le temps de la tolérance était révolu ».
La dernière fromagerie industrielle du département encore suspectée de telles pollutions, la société Mulin et fils, sera jugée vendredi à Besançon. La préfecture du Doubs lui réclame une consignation de 1,5 million d’euros pour financer les travaux de mise aux normes de sa station d’épuration.
« Rester vigilant »
L’autorité préfectorale a lancé un vaste « plan fromagerie » en 2022 avec la mise en demeure de 14 des 96 fromageries du Doubs de mettre en conformité leur installation de traitement ou de réparer les canalisations défectueuses.
La quasi-totalité sont désormais conformes, selon Claude Le Quéré, directeur adjoint de la DDETSPP, service de l’Etat chargé des mutations économiques, qui remarque l’effet incitatif de l’astreinte journalière encourue.
« Les fromagers ont conscience que leur pratique va du ramassage du lait jusqu’au traitement des eaux usées », assure Jean-Baptiste Cattin, vice-président la Fédération régionale des coopératives laitières (FRCL) du massif jurassien.
« Les producteurs de lait cherchent à avoir des pratiques valorisées par la société en général », explique-t-il. « Tout est fait pour être au rendez-vous et que nos rivières comtoises gardent la réputation qu’elles ont toujours eue ».
Les associations environnementales appellent toutefois à « rester vigilant ». Manon Silvant, bénévole à SOS Loue et rivières comtoises, relève d’ailleurs que les fromageries ne sont pas la principale source de pollution des rivières, « ce n’est que la partie émergée de l’iceberg ».
L’épandage des sols reste en effet un autre important facteur de pollution.
En surplomb de la Loue, Claude de Montrichard, propriétaire du majestueux château de Cléron, n’est guère optimiste. « Quand je regarde cette rivière, vous voyez comme c’est joli, comme le paysage est romantique? Mais c’est en train de mourir et ça me désespère ».
© AFP
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