Penser la post-croissance avec Tim Jackson : « il est temps de penser à la suite, de s’éloigner de la question et de l’obsession de la croissance »

post-croissance tim jackson

La couverture du livre Post-croissance vivre après le capitalisme de Tim Jackson, aux éditions Actes Sud

Depuis plusieurs années, l’économiste britannique Tim Jackson appelle à repenser notre rapport au monde et à la croissance. Ce professeur de développement durable à l’université de Surrey travaille notamment sur la notion de prospérité. Il la développe au travers de plusieurs ouvrages dont Prospérité sans croissance (publié en 2010 en France). Sa pensée critique du capitalisme a eu de l’écho dans les cercles des militants écologistes en France. Tim Jackson se retrouve souvent cité, par exemple par Cyril Dion. Son dernier ouvrage, Post-croissance Vivre après le capitalisme vient d’être publié chez Actes Sud. À l’occasion de son passage à Paris pour la promotion de son livre, GoodPlanet Mag’ a pu s’entretenir avec Tim Jackson.

Qu’est-ce que la post-croissance ?

D’après moi, la post-croissance est avant tout une manière de penser qui surgit au moment où les modèles économiques fondés sur la croissance ont montré qu’ils avaient tort. La croissance a détruit la planète et impacte les autres espèces qui vivent dessus. Elle peine aussi à continuer de nous convaincre intimement. Bref, notre vision de la croissance ne fonctionne plus comme avant.

« La post-croissance est avant tout une manière de penser qui surgit au moment où les modèles économiques fondés sur la croissance ont montré qu’ils avaient tort. »

D’une certaine manière, je dirais que nous vivons déjà dans une société de post-croissance puisque le taux de croissance du PIB décline déjà régulièrement depuis un demi-siècle. Pour le moment, nous n’avons pas de modèles économiques pour décrire ce nouveau monde, ce qui influence la manière dont nous définissons la prospérité.  C’est une situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

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La prospérité dans un monde de post-croissance

Tim Jackson Post-croissance capitalisme
Tim Jackson, auteur de Post-croissance, vivre après le capitalisme © Université de Lille

Quelles sont les différences entre la post-croissance et la décroissance ?

C’est avant tout une différence de langage. En France, les penseurs parlent de décroissance depuis des décennies, il m’arrive aussi d’employer ce terme. Cependant, je note que le langage de la décroissance est souvent mal compris. Car, pour beaucoup de personnes, la décroissance est comprise comme le contraire de la croissance qui survient dans le cadre d’un effondrement. La post-croissance constitue la manière de penser ce qui vient après. Nous avons eu des sociétés fondées sur la croissance, il est temps de penser à la suite, de s’éloigner de la question et de l’obsession de la croissance. Il s’agit de réfléchir à la manière d’organiser nos sociétés pour l’avenir.

Vous présentez la post-croissance comme une manière d’en finir avec le capitalisme, qui contribue à la dégradation de l’environnement et du bien-être humain. Votre livre est un appel à de nouvelles valeurs qui guident notre vie. Est-ce que cela revient à dire qu’une société de post-croissance doit reposer sur la redistribution et la prudence au lieu de l’égoïsme et de la recherche du profit ?

Plus qu’une critique du capitalisme, le livre explore les valeurs sur lesquelles reposent certaines idées, notamment l’égoïsme et le profit. Comme il fait partie de notre culture, le capitalisme nous emprisonne en tant qu’être humain. D’une manière bien spécifique, il fait de nous des personnes égoïstes, individualistes et très portées sur la compétition. Mon argument ne consiste pas à dire que ces valeurs sont absentes de l’humain, mais que nous en portons aussi d’autres comme la coopération, le fait de se préoccuper et de prendre soin des autres et de l’environnement. Elles vont au-delà de notre simple égoïsme et des préoccupations matérielles.

« Comme il fait partie de notre culture, le capitalisme nous emprisonne en tant qu’être humain. »

Il est grand temps de réaliser que le capitalisme oriente l’humanité vers des valeurs et des voies qui ne sont pas, selon la science, bonnes pour nous. La psychologie a démontré que nous ne nous limitons pas à nos intérêts propres.

[À lire aussi Le scientifique Olivier Hamant : « notre performance humaine a un coût environnemental exorbitant »]

Avez-vous un exemple de ce qu’est la post-croissance ?

La post-croissance n’est pas une vision définitive et propagandiste qui dirait aux gens comment vivre. Le concept s’envisage davantage comme un processus de réflexion sur la prospérité et un questionnement sur ce que « bien vivre » signifie et implique. La qualité de vie passe par les relations que nous entretenons les uns avec les autres. Il faut rendre justice aux liens car ils constituent la base de la société.

[À lire aussi Vincent Liegey, auteur de Sobriété (la vraie) : « la croissance se révèle toxique pour des modes de vie sains et pour la joie de vivre »]

Or, pour acheter tout ce qu’on nous dit d’acheter, nous travaillons dur pour amasser assez d’argent, bien souvent au détriment du temps à consacrer aux autres. Nous substituons alors des choses matérielles à ce temps qui fonde nos relations familiales et nos amitiés. De la sorte, nous nous excusons auprès de nos proches de dédier beaucoup de temps à travailler en leur disant de ne pas s’en faire puisque ce cadeau est pour eux. Il remplace le temps que nous ne pouvons pas leur accorder.

« La post-croissance n’est pas une vision définitive et propagandiste qui dirait aux gens comment vivre. »

Dans une société de post-croissance, les relations devraient être notre priorité. Afin d’y parvenir, il faut se libérer du carcan matérialiste qui nous enferme dans une cage. Il nous a piégé en faisant de nous de simples consommateurs qui s’efforcent de gagner de l’argent pour montrer qu’ils tiennent à leurs proches.

Lorsque vous parlez de post-croissance, vous mettez l’accent sur la prospérité. Comment la définiriez-vous ?

Je définis la prospérité comme la capacité des êtres humains à s’épanouir sur une planète aux ressources limitées. Cette idée s’inscrit dans la continuité de la philosophie aristotélicienne et des travaux de l’économiste et philosophe John Stuart-Mill. Cet épanouissement repose bien évidement sur des bases matérielles afin de répondre à nos besoins comme se nourrir, s’abriter, mais il implique aussi des fondements sociaux. Ils contribuent à la qualité de nos relations avec notre famille et avec les autres ainsi qu’à donner du sens à nos existences. Tous ces éléments, ainsi que notre capacité à participer à la société, forment ce que j’appelle la prospérité.

« La capacité des êtres humains à s’épanouir sur une planète aux ressources limitées. »

Le flow, comme un moyen de s’émanciper dans le travail

Pour rester sur le sujet du bien-être, vous abordez la question de la place du travail dans nos vies, avec ses bons comme ses mauvais aspects. Vous évoquez la notion de flow (qui a été traduite par flux dans l’édition française du livre Post- croissance, Vivre après le capitalisme), qui prend la forme d’une sensation de plénitude ou d’accomplissement, qu’on ressent en faisant quelque chose. Pouvez-vous revenir dessus afin de l’expliquer ?

Avant de revenir précisément sur le flow (NDLR traduit par flux dans le livre), il faut comprendre que dans mon livre Post-croissance Vivre après le capitalisme, je reviens sur des notions communes de l’économie comme la richesse, l’investissement, l’entreprise ou encore le travail. J’essaye de les questionner pour montrer comment ces concepts se montrent dysfonctionnel dans la société actuelle. Et donc, comment il est possible de changer ça. Quand on arrive à la question du travail, je me réfère à la philosophe Hannah Arendt qui distingue le travail au sens de labeur (labor en anglais) et l’œuvre (work en anglais) au sens d’œuvrer.

« Le capitalisme a endommagé ces deux dimensions du travail. »

La distinction opérée par la philosophe s’avère très pertinente. Pour Arendt, le travail au sens de labeur regroupe les tâches du quotidien qui entrent dans un cycle épuisant de veiller à ce qu’on dispose de quoi manger, qu’on gagne de quoi subsister, qu’on s’occupe des enfants… Tandis que le travail au sens d’œuvrer contribue au bien-être en bâtissant quelque chose, « une œuvre », amenée à durer. Elle nous projette dans le futur.

[À lire aussi L’économiste Christian Arnsperger : « Il faut une prise de conscience de la peur cachée de la mort qui nous travaille tous afin de détrôner l’idée de croissance »]

Selon Arendt, le capitalisme a endommagé ces deux dimensions du travail. D’un côté, le travail au sens de labeur a été altéré car il est plus difficile d’augmenter la productivité. Le capitalisme n’aime pas les acticités qui nécessitent beaucoup de temps et de l’attention comme les soins envers autrui, s’occuper des enfants, prendre soin des malade… En effet, accroître l’efficacité et la productivité dans de telles tâches dégrade leur qualité.

« La post-croissance doit questionner la place du travail dans notre quotidien. »

Et de l’autre côté, le capitalisme n’aime pas les œuvres, car ce qui s’inscrit dans la durée devient problématique. Le capitalisme repose avant tout sur la fabrication et la vente dans des délais de plus en plus rapides. Il a sans cesse besoin de nouveauté. Le capitalisme érode donc, dans le même temps, l’intégrité du travail c’est-à-dire la capacité à bien accomplir les tâches et le projet porté par le travail.

Mais, quel est alors le rapport avec la post-croissance et la notion de flux ?

Pour moi, la post-croissance doit questionner la place du travail dans notre quotidien. Nous devons nous demander ce qu’est travailler, créer, qu’est-ce qui est cohérent. Le processus de création, au niveau individuel et collectif, se montre important pour donner du sens à nos vies, pour surmonter nos peurs dont celle de la mort.

Or, le capitalisme parvient à nous offrir un substitut brillant en nous disant de ne pas s’inquiéter car il offre des opportunités illimitées en achetant de plus en plus de biens et de services. Pourtant, étant donné que nous demeurons des êtres mortels, l’accumulation de tous ces machins refourgués par le consumérisme n’est qu’une grande distraction face à notre crainte de disparaître. Ainsi, cela nous détourne de notre capacité à penser différemment, de notre capacité à créer. Sauf qu’au-delà du consumérisme, il y a un processus qui nous permet de nous sentir complétement humain et c’est là qu’intervient le concept de flow.

« Le processus de création, au niveau individuel et collectif, se montre important pour donner du sens à nos vies »

Qu’est-ce donc que le flow ?

Le flow est bien connu des sportives et des sportifs. C’est un état d’esprit qui survient quand vous êtes tellement dans votre action que vous perdez le sens de vous-même. À ce moment-là, vous ne faites qu’un avec l’action que vous réalisez. Il s’agit d’un état d’accomplissement. Des recherches ont montré que les personnes qui atteignent cet état sont, sur le long terme, plus heureuses, plus engagées, et ont une plus grande satisfaction matérielle que d’autres personnes plus portées sur le consumérisme. Le flow valide d’une certaine manière l’importance de la créativité humaine et de s’engager dans des tâches intenses qui nous challengent. Elles nécessitent de mobiliser nos compétences, c’est une autre approche du travail, plus valorisante.

« Le flow valide d’une certaine manière l’importance de la créativité humaine et de s’engager dans des tâches intenses qui nous challengent. »

Et vous, personnellement, où trouvez-vous ce flow ?

J’ai découvert que le flow pouvait provenir de n’importe quelle activité. Il peut surgir ici en vous parlant pour cette interview car elle représente un mini défi. Il devient pour moi le challenge de formuler des réponses qui font sens pour vous et vos lecteurs. Cela peut être ou ne pas être le cas cette fois, mais je me dis que je pourrais faire mieux la fois suivante. En conséquence, le flow peut se ressentir dans des activités intellectuelles ou physiques. Il est accessible à tout le monde. Marcher dans la nature peut aider à atteindre le flow, bien que cette activité ne semble pas représenter un défi pour nos compétences, elle l’est néanmoins puisque nous passons d’un environnement à l’autre, ce qui sollicite différemment nos sens.

[À lire aussi Peut-on être trop heureux pour se préoccuper du climat ?]

Et pour en revenir au travail ?

Un bon travail bien organisé peut devenir une source de flow. La nature peut aussi l’être, à égalité avec le travail. Certains psychologues pensent que l’humanité dans son ensemble recherche cette forme d’épanouissement et d’éveil via le flow, comme un idéal à atteindre. Cela nous donne une idée d’un état que nous pouvons atteindre qui se trouve à des millions de kilomètres de la vie de tous les jours dominée par la banalité, l’ennui et la fatigue. Il arrive en effet que nous nous sentions submergés par la pression des défis qui nous entourent au jour le jour. Face à un tel constat, il apparait que tous les moments de nos vies où nous atteignons le flow semblent des moments d’accomplissement où nous nous sentons pleinement nous-mêmes.   

N’existe-t-il pas un risque que le capitalisme récupère et utilise contre nous cette notion de flow, notamment pour nous vendre plus de biens comme des affaires de sport ou des loisirs ?

La notion de flow a été développée dans les années 1990 par Mihaly Csikszentmihalyi avec l’idée de se sentir bien dans le monde. Il est indéniable qu’aujourd’hui, le capitalisme dans sa recherche de profit cherche à vendre du flow. Néanmoins, si on regarde plus précisément, il y a peu de différences dans le flow que les riches et les pauvres peuvent atteindre. Toutefois les riches auront plus d’opportunités d’y accéder. Même si le flow est immatériel, le fait de bénéficier de ressources économiques offre plus facilement accès à un éventail d’activités libératrices de flow. Pour y parvenir, les plus aisés ont recourt à des procédés très matériels. Prenons un exemple, peut-être exagéré : l’héliski. Je n’en ai jamais fait et je ne souhaite pas en faire. Cela consiste à prendre un hélicoptère pour l’Everest, à sauter en parachute de l’appareil puis à skier. C’est une activité très physique qui demande beaucoup de compétences et d’attention. Comme c’est très exigeant, lorsque vous la pratiquez, forcément vous allez déclencher le flow. Mais cette méthode n’est absolument pas durable parce très matérialiste, polluante et gourmande en énergie.

[À lire aussi L’être humain s’éloigne (spatialement) de plus en plus de la nature et Le chercheur en conservation de la biodiversité Victor Cazalis : « vivre des expériences de nature se révèle déterminant dans la façon dont on va concevoir la nature et les problématiques environnementales »]

Développer les utopies des limites et en finir avec les mythes d’un monde sans fin

Revenons à deux autres thèmes forts du livre Post-croissance que sont les mythes et les utopies. Vous écrivez en début d’ouvrage que la post-croissance est vraisemblablement une utopie qui ne sera jamais atteinte. Pourquoi ? Que voulez-vous dire ainsi ?

Je ne pense pas l’avoir formulé de la sorte. La post-croissance est aujourd’hui un mythe encore absent de nos cultures. Ce que je veux dire c’est qu’actuellement le mythe de la croissance prévaut toujours dans nos sociétés. Je parle de la croissance comme d’un mythe car elle est ancrée profondément dans nos cultures, dans nos psychés, dans nos institutions et même jusque dans les histoires que nous nous racontons à propos du futur. Ainsi que dans les histoires sur le fonctionnement de nos sociétés. Ces récits ont de l’importance car ils confèrent à nos existences du sens. Toutes les sociétés ont besoin de mythes et de récits pour s’organiser, fonctionner et faire des projets pour l’avenir.

« La post-croissance est aujourd’hui un mythe encore absent de nos cultures »

Mais, le mythe de la croissance est parti à vau-l’eau car il a détruit le climat, dégradé les sols agricoles et conduit à la prolifération de la pollution plastique. Ce n’est pas tout, ce mythe s’est aussi montré dévastateur sur le plan personnel en remplaçant l’idée d’épanouissement individuel par le consumérisme et l’accumulation de biens.

Les mythes actuels ne vont plus dans le bon sens, c’est pourquoi il faut inventer de nouvelles mythologies. Les termes et les notions de post-croissance, d’une économie fondée sur le bien-être sont tous des moyens de refonder des récits fondateurs communs.

Pour poursuivre la réflexion un peu plus en profondeur, n’est-ce pas un tour de force du capitalisme d’avoir justement renversé ce qu’est un mythe ? Auparavant, les mythes portaient en eux une idée d’interdits, de limites, de lois à respecter, or le capitalisme repose, au contraire, sur l’illusion d’un monde illimité et sans restriction…

Exactement, le capitalisme n’aime pas ni n’admet les limites. Il opère en tentant de nous faire croire que les limites n’existent pas au niveau planétaire, mais aussi au niveau individuel comme être humain. C’est problématique car cela empêche de respecter les limites physiques, ce qui se révèle d’autant plus gênant que cela affaiblit notre capacité à atteindre certains champs illimités de l’expérience humaine comme la créativité, l’ingéniosité, l’amour envers les autres ou l’envie de prendre part à la bonne marche de la société et du monde.

[À lire aussi Emmanuel Cappellin, réalisateur du documentaire Une fois que tu sais : « comment limiter collectivement ce qu’on ne sait plus s’interdire soi-même ? »]

Le capitalisme créée une confusion. Pourtant, les limites sont une porte d’entrée qui permet de comprendre et de distinguer ce qui est limité de ce qui est illimité. C’est nécessaire pour parvenir à la post-croissance.

Est-ce que finalement une société basée sur la prospérité ne repose-t-elle pas sur notre capacité à se fixer des limites afin de respecter la biosphère et de garantir à chacun une forme d’égalité ?

Auparavant, il fallait obéir aux règles édictées par une élite minoritaire au nom d’une entité supérieure, un dieu. C’est une idée que les économistes, et d’autres, ont combattue. Je les rejoins. Aujourd’hui, il faut obéir aux règles du système économique. Toutefois, ce qui a changé est que nous pensons par nous-même, nous décidons démocratiquement des règles. Nous commençons aussi à comprendre l’impact du matérialisme sur notre monde. Face aux défis de la situation actuelle, nous avons aujourd’hui de nombreuses opportunités de développer et d’exprimer une créativité illimitée.

[À lire aussi Quand les 1 % les plus riches émettent plus de gaz à effet de serre que les deux tiers de la population mondiale]

Je veux donner un exemple concret qui me tient particulièrement à cœur : le lien entre l’alimentation, la nutrition et la santé. Comme organisme physique, vous pouvez savoir tout seul comment faire pour bien se nourrir en mangeant ce qui est bon pour votre santé et soutenable pour la planète. Depuis des années, nous connaissons les liens entre les régimes alimentaires et le bien-être. Mais, il existe une différence entre ce qui se passe au niveau individuel et ce qui se passe en termes de population. Aujourd’hui, les problèmes de santé ne proviennent plus des maladies infectieuses mais davantage des maladies non infectieuses. Ce sont notamment l’émergence des maladies chroniques associées aux modes de vie en raison de la qualité médiocre de la nourriture. L’essor de ces maladies chroniques est à lier à la croissance, avec en particulier l’émergence de secteurs industriels puissants : l’agroalimentaire qui vend des aliments transformés, le secteur pharmaceutique qui fait d’énormes profits en réparant les dommages. Il est possible d’échapper individuellement à ce piège. Mais, en vérité, c’est comme si vous étiez un enfant dans une boutique de bonbons. Le capitalisme vous met au centre du magasin de sucreries sans vous imposer de limites.

Après tout ce dont nous avons discuté, confirmeriez-vous que l’éducation est un facteur important du changement ? Comment l’améliorer ?

Je crois évidement en l’importance de l’éducation. Le système éducatif contemporain se montre cependant avant tout structuré autour de la fabrication de membres performants actifs de l’effort de productivité et de bons consommateurs. Le système éducatif doit lui aussi se libérer du système capitaliste. Il faut encourager l’apprentissage et admettre que les humains apprennent tout au long de leur existence.

« Le système éducatif doit lui aussi se libérer du système capitaliste. »

Et, aussi étonnant que cela puisse paraitre, on en revient au flow. Ce dernier est un équilibre entre les compétences que vous avez acquises et l’épreuve que vous êtes en train de relever. En augmentant vos capacités, vous pouvez vous confronter à des défis de plus en plus difficiles. C’est à la fois challengeant, encourageant et très satisfaisant. Je prône une nouvelle vision de l’éducation qui repose là-dessus. Elle signifie que vous n’êtes jamais éduqué, mais toujours en train d’apprendre. Le processus ne s’arrête pas au moment de votre bac ou d’un quelconque diplôme. Nous apprenons toujours, ce qui contribue à notre épanouissement.  

« Vous n’êtes jamais éduqué, mais toujours en train d’apprendre. »

Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui voudraient s’engager sur le chemin de la post-croissance ?

Je leur dirais d’apprendre à regarder différemment le monde. Comme pour l’alimentation et les produits transformés, s’informer constitue la première étape. Mais, d’un autre côté, il faut avoir conscience que nous vivons dans un monde dont il est difficile de s’extraire. Nous voulons un travail décent qui contribue à la société, mais ce n’est pas toujours évident car le monde est gouverné par l’argent.

[À lire aussi Julien Vidal, auteur de Mon métier aura du sens : « aller sur des métiers de sens signifie aller dans des filières prometteuses »]

David Graeber avait bien montré le mal-être lié à la vacuité du travail avec son idée de « bullshit job ». Décider dans quoi on travaille représente un choix important auquel il faut bien prêter attention car une fois qu’on a consacré son énergie à quelque chose, il devient alors difficile de sortir d’un système qui nous rend dépendant par le salaire.

[À lire aussi Crise du Covid-19, David Graeber, père des « bullshit jobs » questionne le sens du travail : « personne n’a envie de revenir au monde d’avant »]

Enfin, selon moi, la manière dont j’occupe mon temps compte davantage que là où je travaille ou là où je place mon argent. Notre mortalité fait du temps une ressource limitée, autant le consacrer à faire des choses auxquelles je crois. Et cela peut aboutir à en dédier une partie à des formes de militantisme pour défendre des causes. On ne peut pas résoudre seul les problèmes, il faut attirer l’attention dessus puis réfléchir ensemble aux solutions.

« Notre mortalité fait du temps une ressource limitée, autant le consacrer à faire des choses auxquelles je crois. »

Avez-vous un dernier mot ?

Je pense que penser sa vie comme un voyage est une manière valable d’envisager l’existence. Dans ce début de XXIe siècle, confronté aux défis écologiques, économiques, sociaux et culturels, nous sommes cependant plus que de simples pions dans un jeu, nous sommes des acteurs qui participent à la société. Pour moi, cette vision de notre place dans le monde se révèle une des manières d’être au monde les plus intéressantes, excitantes et enrichissantes qui soit.

Propos recueillis par Julien Leprovost

post-croissance tim jackson
La couverture du livre Post-croissance vivre après le capitalisme de Tim Jackson, aux éditions Actes Sud

Article édité le 4 avril 2024 à 1h50 pour des corrections de coquilles restées dans le texte.

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Post-croissance Vivre après le capitalisme par Tim Jackson, Actes Sud, 202

Le site Internet (en anglais) de Tim Jackson

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2 commentaires

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    • Balendard

    Lire ce que pense un Lutin thermique de la croissance
    https://www.infoenergie.eu/riv+ener/LCU_fichiers/LT-croissance.htm

    • Guy J.J.P. Lafond

    Bonjour,
    Merci à GoodPlanet et aussi à tous les lutins de la Terre pour vos lumières jour après jour..
    Et en effet, notre mission sur Terre est d’apprendre continuellement à regarder différemment le monde, car l’imaginaire de nos enfants et aussi la biodiversité (éléphants, girafes, tulipes, Séquoias, plancton, baleines,…) en dépendent.
    Je suis bien d’accord moi aussi pour que nous faisions tous la transition vers une nouvelle ère, celle de la post-croissance.
    Je suis aussi pour une meilleure coopération Nord-Sud.
    Je suis pour une réforme sans plus tarder du Conseil de sécurité de l’ONU car nous devons penser différemment et expulser de ce Conseil des membres permanents qui commettent des crimes de guerre et les remplacer par d’autres pays qui sont exemplaires.
    Je suis pour bien plus de vélos et pour bien moins de ferrailles, celles ou bien sur quatre roues ou bien encore avec des ailes et propulsées avec des réacteurs.
    Cultivons davantage le “flux/flow” par l’activité physique, l’art et les sports. C’est plus compatible avec notre magnifique monde végétal sur cette si fragile planète bleue.
    Action!
    @Guy J.J.P. Lafond
    Bénévole pour l’ONU-Biodiversité en attendant de reprendre mes fonctions dans la capitale fédérale du Canada, n’en déplaise encore et encore à mon gouvernement.
    https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329

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