Les militants écologistes font face à une répression de plus en plus sévère en Europe. C’est ce que dénonce Michel Forst, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Défenseurs de l’Environnement, dans un rapport publié en février dernier. Les conclusions sont alarmantes. Le rapporteur y décrit les dérives de plus en plus nombreuses des Etats dans leurs réponses aux mouvements de protestation non-violente pour le climat. Il constate une pénalisation excessive et une criminalisation des luttes écologiques pacifiques, en rupture avec le droit international. Les gouvernements sont appelés à respecter les normes des Nations Unies en matière de liberté d’expression, de réunion pacifique, de manifestation ainsi que le droit d’avoir recours à la désobéissance civile non-violente.
Ce travail du Rapporteur Spécial s’inscrit dans le cadre de la Convention d’Aarhus qui vise à assurer l’accès à l’information, à la justice et à la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement. Les 49 Etats signataires d’Europe et d’Asie centrale, dont la France fait partie, sont tenus de ne pas pénaliser, persécuter ou harceler les défenseurs de l’environnement (article 3). Michel Forst a été mandaté par ces pays parties à la Convention afin de veiller au respect de cette obligation. Il s’est rendu dans ces régions pour établir cette première publication alarmante qui fait état d’une « menace majeure pour la démocratie et les droits humains ». Le rapport complet est attendu avant la fin de l’année.
Une « réponse disproportionnée » des Etats
Le papier de positionnement de Michel Forst fait état d’« une réponse disproportionnée aux actions pacifiques de désobéissance civile » menée par les pays pourtant signataires de la Convention d’Aarhus.
« Ces changements législatifs et politiques contribuent au rétrécissement de l’espace civique et menacent gravement la vitalité des sociétés démocratiques », alerte le rapport, qui appelle les Etats à « s’attaquer aux causes profondes des mobilisations environnementales », à savoir leur inaction climatique, et à assurer la conformité des textes de lois avec les normes internationales.
Il dénonce l’assimilation des mouvements environnementaux à une menace terroriste, ce qui va à l’encontre des Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du Bureau pour les institutions démocratiques et les droits de l’homme. Le Rapporteur Spécial déplore l’utilisation de lois antiterroristes à l’encontre des défenseurs de l’environnement associée à la création de nouvelles législations visant à restreindre, voire interdire, les protestations pacifiques. En janvier 2024, l’Italie a adopté la loi « éco-vandalisme » qui prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et des amendes de 10 000 euros pour les actes de vandalisme lors des rassemblements. Les dommages légers aux œuvres d’art peuvent entraîner jusqu’à six mois de prison ou des amendes de 300 à 1 000 euros. En France, le mouvement des Soulèvements de la Terre avait été dissout par un décret gouvernemental en 2023 pour « recours illégitime à la violence », avant d’être contesté et annulé par le Conseil d’Etat.
En Allemagne, les participants aux manifestations pour le climat ne sont pas autorisés à s’asseoir, se coller ou s’attacher aux routes ou aux voitures. Plusieurs villes allemandes ont aussi interdit les manifestations de Letzte Generation (Dernière Génération), mouvement poursuivi pour « constitution d’organisation criminelle » dans le pays et en Autriche. Les investigations sur ses membres sont ainsi facilitées et les dons à l’organisation ne sont plus autorisés sous peine d’être accusé de « financement d’une organisation criminelle ».
Or, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, un traité de l’ONU ratifié par 173 pays reconnaissant les droits égaux et inaliénables de tout individu, la désobéissance civile est reconnue comme un exercice légitime de la liberté d’expression et de réunion pacifique (article 19 et 21). Les manifestations sont protégées par ce droit tant qu’elles sont non violentes et « les seuls faits de pousser ou bousculer ou de perturber la circulation des véhicules ou des piétons ou les activités quotidiennes » ne sont pas reconnues comme des actes violents par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
Des abus de pouvoir policiers « innombrables »
Le durcissement des législations à l’égard des militants environnementaux facilite d’« innombrables » recours à la force abusifs et des poursuites judiciaires excessives.
De nombreux cas d’harcèlement de manifestants et même de journalistes ont été rapportés. Les participants aux mouvements climatiques ont fait face à des contrôles d’identité abusifs, des arrestations indiscriminées et des gardes à vue inutilement longues et sans inculpation. Au Royaume-Uni, « des militants contre l’exploitation minière ont été arrêtés pour avoir « traversé la rue à un endroit interdit » et des manifestants qui prenaient des vidéos ont été inculpés pour harcèlement » peut-on lire dans le rapport. Ailleurs, des journalistes ont été arrêtés et poursuivis comme des participants, se sont fait confisquer leur matériel, fouillés et mis en garde à vue pendant 6 heures.
Les multiples cas de brutalités concernent l’utilisation « de canons à eau, des gaz poivrés, des gaz lacrymogènes, des flash-balls », comme lors de la protestation contre les mégabassines à Sainte-Soline en France en 2023. Le Rapporteur Spécial condamne fermement les méthodes dites des « prises de douleurs » visant délibérément à faire du mal aux manifestants et qui sont injustifiables.
Le durcissement du traitement par les forces de l’ordre se traduit également par une « augmentation des poursuites et des inculpations ». Pour les mêmes faits, la peine d’il y a quelques années est plus lourde aujourd’hui. Les amendes ont augmenté et les sanctions sont sévères et excessives pour des délits mineurs. De nombreuses villes ont banni des militants après des actions de protestation pacifiques, ce qui peut les priver de l’accès à leur lieu d’études ou de travail. À Paris, les activistes ayant déployé une bannière où il était écrit « Ministère de la trahison écologique » devant l’entrée du bâtiment ministériel « ont été poursuivis pour « port d’armes » parce qu’ils avaient des couteaux à mousqueton dans leur équipement de sécurité pour l’escalade », explique le rapport, et « ont été bannis pour six mois de la ville de Paris en échange de l’abandon des poursuites à leur encontre ». Une pratique de plus en courante.
La criminalisation des mouvements écologistes a des visées dissuasives. Elle se traduit alors par la mise sous surveillance ou la filature de militants. Elle aboutit aussi à l’emploi d’unités antiterroristes pour certaines arrestations ainsi que l’infiltration de certains mouvements militants par des policiers sous couverture.
Les recommandations du Rapporteur Spécial exhortent les Etats à sanctionner les abus des forces de l’ordre et à assurer le respect des libertés fondamentales qui encadrent les manifestations pour les mouvements environnementaux.
Un système judiciaire complice de cette répression sévère
« Par l’utilisation abusive de la détention provisoire, les conditions sévères de mise en liberté sous caution, les procédures judiciaires longues et imprévisibles, la suppression des moyens de défense et les peines de plus en plus sévères et disproportionnées, les tribunaux contribuent eux-mêmes de manière significative à la répression et à la criminalisation des défenseurs de l’environnement », signale le papier de positionnement.
Au Royaume-Uni, on retrouve les cas aberrants d’un militant condamné à 6 mois de prison pour « avoir participé pendant 30 minute à une marche lente » et deux autres à des peines de plus de 2 ans pour avoir bloqué un pont et avec le refus de contester devant la Cour suprême. Au Royaume-Uni, des tribunaux ont interdit la mention du changement climatique dans la défense des activistes et condamné ceux qui l’ont fait pour « outrage à la cour » passible de 8 semaines d’emprisonnement.
Ce contexte participe à « un effet concret et dissuasif sur l’exercice des droits fondamentaux, sur la société civile et la démocratie et, en fin de compte, sur la capacité de la société à faire face à la crise environnementale avec l’urgence requise », alerte le Rapporteur Spécial. Il demande aux tribunaux, dont le rôle est essentiel pour garantir l’Etat de droit, de veiller à ce que les sanctions « soient cohérentes et protègent l’exercice des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association ».
Une violence dans les discours gouvernementaux et médiatiques
La violence envers les activistes du climat ne se limite pas aux actions répressives des différents corps de l’Etat, elle se retrouve aussi dans les discours officiels et les relais médiatiques.
Des mots comme « écoterroristes » employés par le ministre Gérald Darmanin en France ou les amalgames entre mouvement écologistes et « dictature » et « menace pour la démocratie » portés par certaines personnalités politiques européennes ne sont pas anodins. Ils alimentent le discours qui criminalise les défenseurs de l’environnement, voire les met en danger.
De tels propos peuvent effectivement avoir des répercussions néfastes sur les militants comme en l’Allemagne « où des usagers de la route ont traîné des manifestants par les cheveux, leur ont donné des coups de poing et des coups de pied, ou leur ont roulé dessus avec leurs véhicules ».
Le Rapporteur Spécial dénonce également l’association dangereuse et trop fréquente des actions de désobéissance civile « telles que les blocages routiers ou l’occupation d’un site de construction » au « crime organisé, au terrorisme, à la violence et au meurtre de civils ». « Les États créent un climat de peur et d’intimidation pour les défenseurs de l’environnement, en violation de leurs obligations internationales, notamment de la Convention d’Aarhus et du droit international en matière de droits humains », souligne-t-il.
Les médias sont également mis en cause comme « lieu privilégié de diffusion et d’ancrage de ces récits négatifs ». L’explication de la raison des manifestations environnementales doit être davantage mise en avant et relayée lors de la couverture de ces évènements afin de faire état « d’une profonde inquiétude pour l’avenir de l’humanité et l’illustration d’un véritable désespoir » et non d’actions illégitimes de « fanatiques écologistes ».
La conclusion du rapport est claire : les Etats « ne doivent en aucun cas assimiler les défenseurs de l’environnement à des criminels. [Ils] devraient également reconnaître publiquement le rôle important joué par les défenseurs de l’environnement ».
Actuellement, Michel Forst poursuit son travail en discutant avec les organisateurs des prochaines négociations climatiques prévues au Brésil en 2025. La COP30 se déroulera dans ce pays et cherche dès à présent à mieux inclure les défenseurs de l’environnement et la société civile aux processus décisionnels de la conférence.
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3 commentaires
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Rose-May
Merci, merci, merci ! Comme ça fait du bien même si je ne suis pas très optimiste sur la prise en compte de cet avis. Sainte Soline a marqué un tournant dans ma perception de ce que représentait l’Etat, dans ce qu’il était capable de faire, à savoir entrer en guerre contre ses propres citoyens, dans un champ, pour sauvegarder ses intérêts et ceux des lobbies. Clairement il a montré qu’il mettrait tous les moyens, y compris la violence et la criminalisation contre les mouvements de sauvegarde de l’environnement, contre le vivant, contre le bien et l’intérêt commun
Patrice DESCLAUD
Oui, pour ma part je ne peux que partager ces tristes constats de durcissement tant des lois et actions des services d’ordre de l’état. Oui atteintes aux libertés fondamentales dont liberté de manifester calmement. Ces formes de facisme reste une faiblesse des élus prétendus représentatistes ! Jusqu’où iront-ils ?
Balendard
Il nous faudrait à l’évidence une police internationale qui condamne
https://www.infoenergie.eu/riv+ener/LCU_fichiers/LT-croissance.htm