Bruxelles (Belgique) (AFP) – Les eurodéputés votent mardi pour bannir les produits issus du travail forcé –la Chine dans leur viseur– puis mercredi pour entériner un « devoir de vigilance » imposé aux entreprises pour protéger l’environnement et les droits humains dans leurs chaînes de production.
Le Parlement européen et les négociateurs des Etats membres s’étaient entendus début mars sur une législation interdisant la commercialisation dans l’UE de produits issus du travail forcé –ce qui pourrait concerner la production chinoise impliquant la minorité musulmane ouïghoure.
Cet accord, validé par les Vingt-Sept mi-mars, doit désormais être approuvé par les eurodéputés en plénière, avant l’ultime confirmation formelle des Etats.
« La prévalence des produits issus du travail forcé sur notre marché devient de plus en plus évidente, en particulier du travail forcé des Ouïghours. Nous ne pouvons plus fermer les yeux », insiste l’eurodéputée socialiste Maria-Manuel Leitao-Marques, co-rapporteure du texte.
Le travail forcé touchait 27,6 millions de personnes dans le monde en 2021, dont 3,3 millions d’enfants, selon l’Organisation internationale du travail.
Selon le texte, la Commission européenne lancera des enquêtes en cas de soupçons dans les chaînes d’approvisionnement dans des pays tiers.
Si le recours au travail forcé est avéré (la décision sera prise par un comité réunissant les Vingt-Sept), les produits seront saisis aux frontières et devront être retirés du marché européen comme des plateformes en ligne.
Si le risque concerne un Etat membre de l’UE, les autorités nationales mèneront l’enquête. « Les biens essentiels ou stratégiques peuvent toutefois être retenus (et non détruits) jusqu’à ce que l’entreprise élimine le travail forcé de ses chaînes d’approvisionnement », précisent les législateurs.
Pour certains produits jugés à risque, les importateurs devront fournir des informations détaillées sur les fabricants. Surtout, Bruxelles créera une base de données mise à jour et établira une liste de secteurs touchés par le travail forcé imposé par l’Etat dans des régions précises: un critère-clé pour ouvrir une enquête.
Cela pourrait concerner la région chinoise du Xinjiang: plusieurs pays occidentaux ont condamné la pratique de travaux forcés massive menée par le gouvernement chinois à l’encontre de la minorité ouïghoure, ce que conteste Pékin.
Une loi adoptée fin 2021 par le Congrès américain interdit aux Etats-Unis l’importation de produits venant du Xinjiang, sauf si les entreprises peuvent prouver que leur production n’intègre pas de travail forcé.
« Implications majeures »
Les eurodéputés doivent par ailleurs entériner mercredi une législation distincte imposant aux entreprises un « devoir de vigilance ». « Ces deux textes sont étroitement connectés, les faces d’une même pièce », insiste l’eurodéputée écologiste Anna Cavazzini.
Les entreprises concernées seront tenues de prévenir, d’identifier et de corriger les violations de droits humains et sociaux (travail des enfants, travail forcé, sécurité…) et dommages environnementaux (déforestation, pollution…) dans leurs chaînes de valeur à travers le globe, y compris chez leurs fournisseurs, sous-traitants et filiales.
Parlement européen et Etats avaient conclu en décembre un accord politique sur ce texte inédit. Après avoir échoué à deux reprises à trouver la majorité requise, les Vingt-Sept l’ont finalement entériné formellement mi-mars –au prix d’un champ d’application nettement limité.
L’accord de décembre prévoyait que les règles s’appliquent aux groupes comptant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires mondial net d’au moins 150 millions d’euros, ainsi qu’aux entreprises dès 250 employés si leurs ventes dépassent 40 millions d’euros et proviennent pour moitié de secteurs à risque (textile, agriculture, minerais…).
Finalement, le texte final ne cible plus que les entreprises à partir de 1.000 employés avec un chiffre d’affaires d’au moins 450 millions d’euros. Avec ces seuils modifiés, seulement 5.400 entreprises seraient concernées, contre 16.000 dans l’accord initial de décembre, d’après l’ONG Global Witness.
Le texte contraint ces grandes entreprises à élaborer un plan de transition climatique –mais supprime l’obligation initialement prévue de lier la rémunération variable des dirigeants au respect d’objectifs en matière d’émissions carbone. Et les établissements financiers ne sont pas concernés.
Bien qu’édulcorée, cette législation « est simplement trop importante pour être abandonnée », elle « aura des implications majeures dans le monde entier, les gens et la planète doivent passer avant les profits », tempère la rapporteuse socialiste, Lara Wolters.
Les victimes pourront attaquer les entreprises en justice pour obtenir des dommages et intérêts, et des amendes dissuasives sont prévues –jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial.
© AFP
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