À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Tu penses quoi de la vie, mamie ? aux éditions Fayard, Victoria Guillomon était présente à la Fondation GoodPlanet pour une séance de dédicaces le samedi 20 avril, journée dédiée à « retrouver l’émerveillement ». Victoria Guillomon a créé en 2019 le podcast Nouvel Œil où elle aborde le développement personnel et l’écologie avec ses invités. Cette jeune autrice engagée pour l’environnement donne aussi plusieurs conférences. GoodPlanet Mag’ a pu revenir avec elle sur son attachement à cette capacité à s’émerveiller, son livre, son podcast, mais aussi sur son documentaire à venir, Shimla, un mois après son retour d’Inde. Victoria Guillomon sera de nouveau à la Fondation GoodPlanet dimanche 28 avril pour le festival Résonances !
Comment est né votre engagement pour l’écologie ?
Je n’ai pas eu de réel déclic comme on pourrait en avoir en se réveillant un matin, ou après un film, une rencontre ou un article un petit peu choquant. Je crois que j’ai tissé mon engagement depuis mon enfance. J’ai toujours grandi au plus près de la nature tout en ayant cette idée que réussir sa vie c’était avoir de l’argent, accumuler des objets, ou faire des choses qui impressionnent.
« Je me suis confrontée à une vision du bonheur qu’on ne m’avait jamais présentée »
A 18 ans j’ai fait un voyage humanitaire en Inde, à la fin de ma première année d’école de commerce. J’ai passé deux mois dans les bidonvilles du Rajasthan. Et cette expérience m’a complètement bouleversée. J’ai vu une autre réalité du monde. Je me suis confrontée à une vision du bonheur qu’on ne m’avait jamais présentée, ça m’a vraiment marqué.
Qu’est-ce qui a changé après ce voyage ?
J’ai réalisé qu’il y a un lien direct entre la crise écologique et la crise de sens. Quand je suis revenue en France, tous les paradoxes de la société me sautaient aux yeux. Nos besoins primaires sont comblés mais on n’est jamais satisfait, notre consommation est bien trop excessive. Nous vivons dans une course effrénée vers un « toujours plus » sans savoir ce que c’est.
Je suis rentrée avec un tas de questions : qu’est-ce que, moi, je veux pour ma vie ? Parce que je ne me vois pas enfermée dans un bureau de 8h à 17h pour profiter seulement des week-ends, en consommant parce que j’ai un vide intérieur que je veux combler en achetant des choses.
« j’ai fait le parallèle entre l’écologie au sens large et l’écologie intérieure »
Au fur et à mesure, j’ai remis en perspective tous nos modèles de société et j’ai fait le parallèle entre l’écologie au sens large et l’écologie intérieure, le développement personnel. Pour moi, c’est essentiel d’apprendre à se connaître soi avant d’essayer de sauver le monde. Si on est autant, aujourd’hui, dans des fuites à vouloir faire et accumuler beaucoup de choses, c’est parce qu’à l’intérieur de nous-mêmes, on ne se sent pas forcément bien.
J’ai ensuite lancé mon podcast Nouvel Œil et j’ai commencé à écrire, puis à donner des conférences, et à en faire ma vie.
La créativité permet d’opérer cette réflexion sur soi et d’interroger sa vision du monde. Quelle place tient-elle dans votre engagement et est-ce un outil suffisant pour éveiller les consciences ?
Rien n’est suffisant, il faut juste que chacun, à sa manière, essaie de faire sa petite part, et tous ensemble on fera au mieux.
La créativité peut être quelque chose de très puissant. L’émerveillement, pour moi, est notre plus belle arme face à la colère, l’anxiété et la peur de demain. C’est d’ailleurs pour ça qu’avec les éditions Fayard on a appelé cette journée « Retrouver l’émerveillement ».
« Quelqu’un qui est heureux c’est quelqu’un qui impacte le monde »
Garder cette joie vive et cet enthousiasme face à tout ce qui nous entoure, c’est inspirant. Quelqu’un qui est heureux c’est quelqu’un qui impacte le monde. C’est aussi quelqu’un qui attire à lui d’autres personnes qui vont s’intéresser à la raison de leur bonheur et voir que la sobriété rend heureux. On attire beaucoup plus à soi quand on émane la joie.
La colonne vertébrale de tous mes projets c’est essayer au maximum de diffuser cette joie et cet émerveillement. C’est ce qui me donne envie de sauver l’humanité finalement.
Et on l’oublie beaucoup dans l’écologie parce que demain fait très peur. Donc j’essaie de porter une écologie joyeuse, qui embrasse tout le monde parce que c’est une cause qui nous concerne tous. Alors j’essaie de créer des ponts et des liens entre tout le monde.
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Comment entretenir cet émerveillement au quotidien ?
Pour moi, c’est la solitude en pleine nature. Couper avec le bruit du monde régulièrement, ne plus prendre mon téléphone, ne plus me dire que j’ai des choses à faire pour un tel et laisser du vide dans mon agenda, un dimanche après-midi par exemple, pour aller en forêt toute seule. Juste ça nous permet de faire le vide dans sa tête, de renouer avec tous ses sens. C’est magnifique. Et cela nous ramène à l’essence même de la vie.
« On est dans une fuite perpétuelle »
Ce qui nous coupe, au contraire, de cette pureté de chaque chose, ce sont nos vies à 300 à l’heure. On est dans une fuite perpétuelle. On ne laisse aucune place pour le vide parce que ça fait peur. Et je pense que c’est au cœur de ce vide qu’on retrouve notre capacité d’émerveillement. Si on s’arrête deux minutes, et qu’on se demande pourquoi on fuit autant, là on commence à creuser des choses intéressantes.
J’invite tout le monde à accomplir un travail personnel sur, déjà, apprendre à s’aimer soi, comprendre qui nous sommes et quelles sont nos profondes envies. Il faut arriver à être seul avec soi-même. Bien que ce soit très inconfortable au début. La solitude est presque devenue un gros mot alors que c’est la plus grande des richesses.
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L’émerveillement, c’est aussi ce que vous vouliez transmettre avec votre nouveau livre ?
Dans mon livre je parle d’écologie sans parler directement d’écologie : je parle de confiance en soi, je parle de l’amour, de ce que c’est que réussir sa vie, ce que c’est que le bonheur. Parce que quand on détricote chaque sujet individuellement, on se rend compte que tout est rattaché à l’écologie.
« Tout est rattaché à l’écologie »
C’est en vivant et en repensant nos vies au quotidien, en faisant chaque geste et chaque acte en pleine conscience, qu’on a un impact et qu’on agit en faveur du monde de demain.
Comment est né ce projet ?
Initialement, j’avais envie de retranscrire les interviews de mon podcast après avoir franchi le cap symbolique des 100 entretiens. Il y a des précieux conseils de vie dans ces échanges et je voulais les mettre sur papier pour pouvoir les rendre accessibles à un maximum de personnes.
Petit à petit j’ai commencé à retranscrire, et mon éditrice de chez Fayard m’a dit que ce n’étaient pas mes invités du podcast qui devaient être au cœur du livre, mais mes ressentis personnels.
Et je me rendais compte que mon idée initiale me permettait de me cacher un peu derrière les citations de mes invités, parce que je ne voulais pas ou je n’arrivais pas à dire vraiment ce que je pensais, j’avais ce syndrome de l’imposteur. Finalement, il m’a fallu deux années pour faire tout ce travail.
Et pourquoi cette référence à votre grand-mère ?
L’idée d’écrire des lettres à ma grand-mère vient de cette envie de faire le lien entre les générations. Et il n’y a pas plus grand écart générationnel que celui entre nos grands-parents et nous.
« Nos grands-parents ont tellement de choses à nous transmettre qu’il faut mettre au cœur de la société »
On oublie ce dialogue entre les générations. Or, ils ont vu le monde se transformer en quelques années à une rapidité qui nous échappe tous. Nos grands-parents ont tellement de choses à nous transmettre qu’il faut mettre au cœur de la société aujourd’hui et au cœur de l’écologie. Ce sont toutes ces valeurs de sobriété, de savoir-faire manuel, d’arriver à faire son potager, de la couture, toutes ces choses-là qu’il faut absolument garder.
Chaque génération est concernée, certes, mais ne font-elles pas face à la crise climatique différemment ?
On est en effet la première génération qui fait vraiment face à l’ampleur du problème, qui potentiellement va en subir les conséquences de plein fouet et qui vit dans cette incertitude du demain. On peut beaucoup moins se projeter que nos parents parce qu’on sait que d’ici 20-30 ans, il y a énormément de choses qui vont nous échapper.
On est donc la première génération à avoir 20 ans en étant un petit peu déchiré entre ces injonctions de devoir construire notre vie de façon stable et l’incertitude de l’avenir face à cette crise écologique qui aujourd’hui est une réalité.
Mais pour autant, ce n’est pas à nous de tout prendre sur nos épaules. On est effectivement responsable puisqu’aujourd’hui on participe à la société, mais ce n’est pas nous qui avons enclenché tous ces mécanismes-là il y a quelques années.
« On a besoin de tout le monde et de tous les savoir-faire »
Il ne s’agit pas de pointer du doigt un responsable et une victime ou quoi que ce soit. C’est une cause qui nous concerne tous, l’Humanité. On se doit d’essayer de résoudre ce problème en commun, toutes générations confondues. On a besoin de tout le monde et de tous les savoir-faire.
Et je pense sincèrement que si on arrive à garder l’amour entre nous, à ne pas se haïr et se tirer des balles dans le pied parce qu’on a trop peur, on y arrivera.
Les jeunes générations sont-elles plus sensibles à la perte de sens avec le numérique qui encourage cette fuite en avant ?
J’ai l’impression que maintenant toutes les générations sont un peu accaparées par les écrans. Mais, nous, on a grandi avec.
Moi ce qui me fait peur, c’est que le numérique arrive de plus en plus tôt dans nos vies, et donc, quand on est enfant, toute cette phase un peu créative faite d’ennui, de réflexion et d’imagination, se perd.
On tombe aussi beaucoup plus vite dans la comparaison. Dès qu’on est sur les réseaux sociaux, on va regarder ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas. On ne va pas aller creuser en nous qui on est.
Pourtant, les réseaux sociaux peuvent aussi être des outils merveilleux. Il faut apprendre à s’en servir. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir diffuser mon message à travers ces plateformes. Mais ces applications sont faites pour nous rendre addict en flattant notre ego et notre désir de reconnaissance, c’est très vicieux. Il faut se mettre des barrières. Je me laisse une heure le matin avant d’allumer mon téléphone et je supprime les applications pour les réinstaller que lorsque j’ai du contenu à poster.
Une solution pour décrocher des réseaux est donc de lire votre livre ou d’écouter votre podcast Nouvel Œil ! Pourquoi vous êtes-vous lancée dans ce format et avez-vous observé ses impacts au cours depuis sa création ?
J’ai lancé mon podcast en octobre 2019 et je l’ai vraiment pris au sérieux à partir du premier confinement. J’ai alors commencé à publier un épisode par semaine et ça me passionnait. Toutes ces questions existentielles que je me posais sont des questions qu’on se posait tous sans vraiment se l’avouer.
« En plus d’éveiller des consciences, ça redonne de l’espoir »
Quand on nous demande à 18 ans ce qu’on veut faire dans notre vie, à part quelques rares chanceuses et chanceux qui le savent depuis leurs 10 ans, la plupart d’entre nous n’en savent rien. Alors on fait des choix, bien qu’on soit tous un peu perdu. Plein de grandes questions existentielles nous habitent, il fallait que j’aille les poser. Plus je propagerai des interviews, plus les personnes pourront s’identifier. Je le faisais sincèrement, avec le cœur, sans objectif de rentabilité, de chiffres ou d’écoutes. Je me suis prise de passion pour le journalisme jusqu’à vouloir en faire toute ma vie.
Depuis juin 2020, je n’ai jamais arrêté de faire des interviews et je vois que ça a un impact. Le podcast vit par lui-même : les gens se relaient les épisodes parce qu’ils résonnent en eux à tel moment. En plus d’éveiller des consciences, ça redonne de l’espoir.
Entre le podcast et vos livres, votre créativité ne s’arrête pas là : vous réalisez aussi un film documentaire, Shimla, sur l’accès à l’eau dans cette ville indienne. De quelle manière ces médias se complètent ? Quels rôles peuvent-ils avoir dans le changement de récit collectif et social ?
Il s’agit de multiplier les canaux de diffusion pour essayer de propager un même message : l’éveil des consciences par l’émerveillement, par la sobriété, par l’incarnation de ce qu’on veut déjà pour demain.
Je pense qu’il faut activer tous les leviers créatifs parce que on est tous différents. Par conséquent une forme d’arme créative ne touchera pas tout le monde.
Faire un film permet de toucher tous les sens à la fois. Le podcast ne sollicite que l’ouïe et le livre la vue tandis que le film ouvre une autre dimension qui permet sur 1h ou 1h30 de couper la vie de quelqu’un et d’aller sur du long terme. Aujourd’hui, on prend peu le temps dans son agenda pour 1h30 d’immersion dans un univers autre que le sien. Réaliser ce film constitue donc une façon de diffuser autrement mon message en jouant sur toutes les émotions.
Pour ce film, Shimla, vous vous êtes rendue en Inde sans avion avec Johan Reboul, connu sous le nom « Le jeune engagé » sur les réseaux. Où en est ce projet ?
Quand j’ai repris contact avec les personnes que je connaissais en Inde, où je m’étais promis de retourner, elles m’ont dit qu’il y a un vrai problème à Shimla du fait qu’il neige quasiment plus depuis des années. De plus, il y a eu tellement de déforestation qu’il n’y a plus assez d’arbres pour réguler le climat. Cet enjeu autour de l’eau est devenu la colonne vertébrale du film.
Ma conscience écologique avait pris de l’ampleur : l’avion était donc un problème. J’ai donc eu envie de faire ce périple en Inde sans ce moyen de transport et d’en faire une aventure à deux. J’ai pensé à Johan, que j’avais prévu d’inviter sur mon podcast, qui a accepté alors même qu’on ne s’était jamais rencontré !
« l’eau ne représentera qu’une partie du documentaire, car on a vécu tellement plus »
Actuellement on commence le montage et on est en train de se dire que l’eau ne représentera qu’une partie du documentaire, car on a vécu tellement plus. On a beaucoup d’autres choses à raconter pour, encore une fois, présenter l’écologie à 360 degrés.
D’ailleurs, « Shimla » vient du nom de la déesse Kali, qui est la déesse de la préservation et qui signifie planète bleue. C’est fou !
Propos recueillis par Louise Chevallier
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Pour aller plus loin :
Rencontre avec Victoria Guillomon et Johan Reboul – Fondation GoodPlanet Dimanche 38 avril 14h30 – Fondation GoodPlanet
Le podcast : nouvel oeil (nouveloeil-podcast.com)
Un commentaire
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Guy J.J.P. Lafond
Très bon texte. Merci!
Dans chacune de nos vies en effet, on commence par vouloir comprendre notre univers, on commence par s’en émerveiller des milliers de fois aussi. Ensuite et avec le temps qui passe, beaucoup d’entre nous veulent préserver ce monde dans lequel ils vivent, le protéger comme on veut protéger un enfant. La vie se transforme alors en une mission, celle de transmettre le flambeau de la meilleure façon aux générations montantes.
Mais beaucoup diront que le confort excessif accumulé au cours des ans est source d’inaction pour plusieurs d’entre nous et dans plusieurs pays de l’Occident. Ce n’est pas faux.
Il nous faudra donc combattre cette idée de confort excessif et sale en prenant un nouveau cap, soit celui d’une économie plus écologique et moins gourmande.
Quand j’étais jeune adulte, et un peu comme Victoria Guillomon, j’ai pris mon vélo et je suis allé parcourir le monde. Ça m’a fait le plus grand bien.
Merci Mme Guillomon!
@Guy J.J.P. Lafond
À Montréal (QC) à vélo et bientôt à Ottawa (ON), Canada, à pied de nouveau.
https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329