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La forêt amazonienne, arme de pression de la guérilla en Colombie

Amazonie

Image aérienne d'une zone déboisée dans la forêt amazonienne, à San José del Guaviare, en Colombie, le 4 novembre 2021 © AFP/Archives Raul ARBOLEDA

Bogotá (AFP) – Les dissidents de la défunte guérilla colombienne des Farc, toujours en armes, ont un nouvel « otage » : la forêt amazonienne dont ils déterminent le rythme de la déforestation pour faire pression dans les négociations de paix avec le gouvernement.

Tout abattage d’arbre dans l’immense forêt du sud du pays doit être approuvé par l’Etat-major central (EMC), principale faction des dissidents qui n’ont pas accepté l’accord de paix signé en 2016 avec la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).

Forte de quelque 3.500 membres selon les renseignements militaires, l’EMC utilise la jungle comme outil de chantage, a récemment dénoncé la ministre de l’Environnement Susana Muhamad, mettant en garde contre un « pic historique » de déforestation au moment où les négociations de paix traversent leur pire moment depuis leur début en novembre 2023.

Au cours du dernier trimestre de 2023 et des trois premiers mois de 2024, la perte de forêts a augmenté respectivement de 41 et 40% par rapport aux mêmes périodes un an plus tôt, selon Mme Muhamad. Si elle a pointé le phénomène climatique El Niño, elle a aussi accusé l’ELN d’encourager la déforestation en tant que « forme de pression armée » contre le gouvernement.

« La nature est placée au centre du conflit et il s’agit d’une violation du droit humanitaire international qui clairement (…) interdit de porter préjudice à l’environnement », a-t-elle estimé.

La hausse de la déforestation est un coup dur pour le président Gustavo Petro, qui avait célébré en 2023 le chiffre le plus bas de la décennie, lorsque la Colombie avait perdu 123.517 hectares de forêt en 2022.

Avec un discours écologiste, les Farc punissaient l’exploitation forestière et empêchaient l’arrivée d’éleveurs sur leurs territoires. Elles le faisaient surtout « pour installer des camps » et « déplacer leurs troupes sans être détectées par le renseignement aérien », explique à l’AFP Bram Ebus, chercheur à L’International Crisis Group.

Le parc national de Chiribiquete (sud-est), inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2018 et où ont été recensées des peintures rupestres exceptionnelles datant de plusieurs milliers d’années, doit en partie sa conservation à des décennies de domination des Farc.

Exploitation forestière

Après l’accord de paix de 2016, l’EMC a entamé la reconquête de l’Amazonie colombienne, où elle constitue aujourd’hui l’Etat de facto.

Selon la Fondation Conflict Responses, le front Jorge Suarez de l’EMC incitait initialement les populations à préserver la forêt, mais au fil du temps il a commencé à profiter des « moments difficiles à la table des négociations » pour ordonner ou autoriser l’exploitation forestière, note Juanita Vélez, chercheuse pour l’ONG.

Pour ce front, la question environnementale constitue « un moyen de créer un discours politique qui justifie (…) une négociation avec l’Etat », souligne-t-elle.

Le 16 avril, le gouvernement a annoncé que l’EMC s’était scindée en deux factions et qu’il ne reconnaissait plus comme principal interlocuteur « Andrey », commandant notamment du front Jorge Suarez. On ne sait pas encore si cette scission aura un effet sur la déforestation, par ailleurs très rentable pour l’EMC, selon Bram Ebus.

La déforestation « génère de l’argent (…) nous savons qu’ils prélèvent des impôts » auprès des bûcherons, des mineurs illégaux ou encore sur la production de coca, la plante à la base de la cocaïne, explique l’expert.

La Colombie accueillera la COP16 sur la biodiversité en octobre prochain, une opportunité pour le président Petro de mettre en valeur les richesses naturelles du pays. Mais la conférence pourrait aussi clairement laisser voir au monde que la forêt tropicale « est sous le contrôle de la guérilla », souligne Bram Ebus.

Elu en 2022 premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, Gustavo Petro tente de mettre fin aux violences qui déchirent son pays depuis plus d’un demi-siècle. Des discussions sont en cours avec l’EMC mais aussi l’ELN guévariste, une autre faction de la dissidence des Farc, des paramilitaires, des narcotrafiquants et des groupes criminels.

© AFP

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