Margot Jacq, spécialiste de la transition écologique des territoires, a écrit Petit manuel de répartie écologique, un guide accessible destiné à fournir des arguments clairs et concis permettant de répondre aux remarques anti-écologiques que l’on entend toutes et tous fréquemment. À travers des faits scientifiques et des cas concrets, l’autrice propose des réparties efficaces pour démanteler certaines idées-reçues. Dans cet entretien, l’autrice partage notamment son analyse des barrières actuelles à l’adoption de modes de vie plus durables, revient sur l’écriture de son livre et dispense des conseils pratiques pour agir.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
Je n’avais pas assez d’outils pour répondre à des propos qui étaient dans le déni des crises écologiques actuelles. Je me suis aussi aperçue que je n’étais pas la seule à avoir l’esprit d’escalier, c’est-à-dire à me dire « ah zut j‘aurais dû dire ça », donc je me suis dit qu’il fallait que je commence à prendre des notes sur ce que je pouvais entendre ou lire. Finalement, j’avais matière à écrire un livre. Un élément déclencheur c’est que je parlais avec un proche qui m’a dit qu’il ne croyait pas à la finitude des ressources. A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je trouve les arguments et les données-clés pour rétorquer de manière efficace. L’idée n’était pas seulement de trouver de la répartie mais aussi de créer des ponts avec des gens avec qui on n’est pas forcément en accord.
« J’aimerais croire les optimistes candides mais, malheureusement, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir »
Vous évoquez 6 profils-types d’interlocuteurs qu’on peut être amené à rencontrer aux détours de discussions tournées autour de l’écologie, pouvez-vous les décrire brièvement ?
Les premiers que j’évoque ce sont les nouveaux sceptiques. Ce sont ceux qui remettent en question les causes-mêmes du changement climatique et qui doutent de la gravité de ses conséquences. On peut entendre des discours comme « On n’est pas sûr que ce soit l’Humain qui soit responsable de ces crises… » ou « C’est pas si grave 2°C de plus ! ».
Il y a aussi les immobilistes qui sont des personnes plutôt défaitistes. Ils estiment qu’il est déjà trop tard et qu’il ne sert donc plus à rien d’agir. Un autre profil-type est celui des économico-anxieux qui sont très angoissés par des indicateurs économiques comme la chute du PIB ou l’augmentation de la dette. Ensuite, il y a les optimistes candides qui sont un peu naïfs et peuvent tenir des propos comme « Mais c’est super on a déjà décarboné, on est sur une très bonne trajectoire ! ». Franchement, j’aimerais les croire mais, malheureusement, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et beaucoup de greenwashing, même s’il est aussi important de souligner les choses positives.
« On est tous un peu dissonants cognitifs »
Le cinquième profil-type que j’ai évoqué, ce sont les technosolutionnistes qui pensent foncièrement que les innovations technologiques vont nous sortir des crises. Enfin, il y a les dissonants cognitifs qui n’agissent pas en accord avec leurs valeurs ou avec ce qu’ils considèrent juste. J’aime rappeler qu’on est tous un peu dissonants cognitifs parce que certaines contraintes ne nous permettent pas forcément d’être en total accord avec nos valeurs. On est peut-être d’ailleurs tous un peu de ces six profils, selon les situations. Ces catégories m’ont permis de structurer le livre mais l’idée n’était pas du tout de stigmatiser des comportements.
Percevez-vous une évolution dans la répartition de ces profils-types ?
J’ai l’impression qu’il y a un grand mouvement de technosolutionnistes actuellement et ça m’effraie un peu personnellement parce que ce n’est pas du tout rationnel. Par exemple, on se lance dans le développement de technologies comme les Direct Air Capture qui sont d’énormes aspirateurs de CO2, avec notamment une usine de ce type à Reykjavik. Ça oblitère totalement l’objectif de réduction de gaz à effet de serre. De manière générale, il y a une mouvance de personnes très riches comme Elon Musk ou Jeff Bezos qui souhaitent développer à grande échelle ce type de technologies. Ça peut nous donner l’illusion qu’on va pouvoir émettre à gogo parce que, de toute façon, de super aspirateurs vont pouvoir absorber toutes les émissions de CO2. C’est une sorte de puits sans fond parce que ces technologies sont extrêmement gourmandes en métaux rares et très énergivores. J’ai l’impression que ce mouvement prend de l’ampleur et ces personnes sont parfois tellement défaitistes qu’elles estiment qu’il n’y a plus qu’une seule solution : la technologie.
J’espère évidemment aussi que le nombre de climatosceptiques va diminuer. C’est le rôle des médias d’informer les gens pour éviter à tout prix la désinformation. Il faudrait qu’on soit au moins tous d’accord sur le constat, pour qu’une fois qu’on partage le même constat, on puisse se demander comment on fait.
« On va tous y gagner à faire cette grande transition »
Quelles sont selon vous les principales barrières à l’adoption de modes de vie plus durables ?
Il y a plusieurs barrières mais je pense que la grosse barrière à laquelle on est confronté aujourd’hui c’est une question de rêve collectif. Je pense qu’il faut réussir à faire rêver les gens avec un avenir commun qui soit à la fois plus respectueux du vivant, plus sobre et pas moins joyeux. Aujourd’hui on a beaucoup de discours autour de l’écologie qui serait punitive, qui serait trop radicale et qui viendrait à mettre un terme à certains progrès qu’on a pu avoir, notamment dans le monde occidental. Je pense qu’il faut vraiment réussir à montrer que ce futur écolo est en fait beaucoup plus juste. Il est bien meilleur pour la santé parce que l’idée est de manger plus sainement et moins carné, de se déplacer plus sobrement, etc. On va tous y gagner à faire cette grande transition, ou du moins l’immense majorité de la population mondiale va y gagner. Cette question de rêve collectif, c’est vraiment un gros frein parce que c’est un frein structurel qui dépend des normes sociales. Il faut faire évoluer les normes sociales, c’est-à-dire « Qu’est-ce que le bonheur ? » « Qu’est-ce que la réussite ? ». Si le modèle de réussite c’est d’avoir un gros SUV ou d’aller à Dubaï toutes les trois semaines, malheureusement on ne va pas y arriver. En revanche, si on se tourne vers un modèle de réussite qui est plus sobre, je pense qu’on va finalement pouvoir lever pas mal de verrous.
On a aussi des freins économiques qui sont certains parce qu’on ne peut pas acheter bio, en vrac, local et de saison quand on est au smic et qu’on a un loyer qui augmente. C’est le rôle de la puissance publique d’accompagner ces changements.
Il y a aussi des freins selon les territoires. Par exemple, quand on est en milieu urbain c’est facile d’adopter des déplacements décarbonés puisqu’il y a beaucoup d’offres de transports en commun. Par contre, dans des milieux plus ruraux, on voit bien que la voiture reste indispensable. Dans ces cas, il y a des solutions qui peuvent être développées comme le leasing.
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« On a chacun un pouvoir d’influence, que ce soit sur les entreprises ou sur l’Etat »
Comment pensez-vous que les individus peuvent influencer les politiques environnementales à travers leurs actions quotidiennes ?
On a souvent tendance à dire « ce n’est pas à moi de bouger, c’est d’abord à l’Etat de bouger » et l’Etat dit à ces entreprises que c’est à elles de bouger, et vice versa. C’est ce qu’on appelle le « triangle de l’inaction ». Il faut absolument sortir de ce triangle pour aller vers ce qu’on appelle le « triangle de la coopération » qui constitue un cercle vertueux. Moi je suis persuadée qu’on a chacun un pouvoir d’influence, que ce soit sur les entreprises ou sur l’Etat.
On a de l’influence par notre propre consommation parce que si on boycotte tous un produit, le fabricant va se poser la question de sa pérennité. En termes de politiques publiques, si on a la nationalité française, on a tous le droit de vote et c’est un levier important. On a aussi le pouvoir de s’investir dans une association, d’interpeller nos élus etc. Cette transition écologique pose des vraies questions de démocratie et de transparence, on a un vrai pouvoir de ce côté-là.
« C’est important en tant qu’individu de faire des actions, mais il ne faut pas faire reposer toute la charge mentale et tout l’effort sur les individus »
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent adopter un mode de vie plus respectueux de l’environnement mais qui ne savent pas par où commencer ?
Avant de donner quelques conseils, j’aimerais rappeler l’étude Faire sa part qui a été réalisée par le Shift Project et qui permet de mettre un peu les choses en perspective. L’étude montre que les actions individuelles ont un impact qui est certain, de l’ordre de 25% de l’effort total à fournir, mais qu’il y a aussi des freins structurels à lever. L’action de l’Etat et des entreprises représentent à peu près 75% de l’effort à fournir pour atteindre les objectifs climatiques. C’est important en tant qu’individu de faire des actions, mais il ne faut pas faire reposer toute la charge mentale et tout l’effort sur les individus. Si on essaie d’être 100% parfait en tant qu’individu en faisant en sorte que l’intégralité de nos actions soient en total accord avec ce qu’on prône, on peut facilement aller vers un burn-out écolo.
Pour mes conseils, à l’échelle individuelle il y a un diagnostic intéressant : l’empreinte carbone. On peut calculer son empreinte carbone avec des simulateurs qui sont très bien faits, comme celui de l’ADEME qui s’appelle Nos gestes climat. En France, l’empreinte carbone moyenne est aujourd’hui de 10 tonnes de CO2 par personne et il faut atteindre 2 tonnes d’ici 2050, pour respecter les Accords de Paris. Faire ce petit test permet de nous situer, de voir si on est plutôt à 20 tonnes et qu’il faut donc vraiment réduire certains déplacements en avion par exemple. Si on est déjà à 5 tonnes, on peut se dire qu’on est sur la bonne trajectoire. Une fois qu’on a fait ce bilan carbone, en général, il y a vraiment deux actions grâce auxquelles on peut avoir un immense impact en tant qu’individu : réduire sa consommation de viande, notamment sa consommation de viande rouge, et réduire l’usage de l’avion. Réduire son usage de la voiture quand c’est possible, ça a aussi un très grand impact.
[A voir aussi : Calculateur carbone de la Fondation GoodPlanet pour estimer l’impact de votre activité sur le climat]
Quels sont les principaux messages que vous souhaitez transmettre à travers votre ouvrage ?
Il y a plusieurs éléments mais le premier c’est que la justice sociale est la condition sine qua non pour une transition écologique réussie. Je pense que c’est hyper important d’allier l’écologie et la justice sociale. On a beaucoup trop tendance à les opposer, notamment dans les médias. On l’a notamment vu avec la crise agricole : on entendait constamment des positions divergentes entre agriculteurs et écolos alors qu’en réalité ils devraient totalement être alliés. Cette question de justice sociale c’est une question d’efficacité de la transition écologique parce que ce sont les personnes les plus aisées qui ont l’empreinte carbone la plus élevée et, à l’inverse, ce sont les individus les plus précaires qui ont l’empreinte carbone la plus faible et qui pâtissent le plus des conséquences des crises écologiques. Il y a vraiment quelque chose à jouer sur cet aspect-là.
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« Je pense qu’on n’a pas d’autre choix que de garder espoir »
Dans mon livre, le prisme que je développe ne se base pas sur de potentielles innovations technologiques. La sobriété c’est hyper important selon moi. Il faut rendre cette sobriété heureuse, comme le disait Pierre Rabhi. Il faut faire rêver, il faut montrer que cette transition va être joyeuse. Par ce livre j’ai d’ailleurs essayé d’avoir un côté très optimiste. Je pense qu’il faut mettre de côté son défaitisme et se dire qu’on va y arriver parce que finalement, est ce qu’on a une alternative ? Moi je ne pense pas. Je pense qu’on n’a pas d’autre choix que de garder espoir.
« Achetons nos fruits et légumes pas loin ensemble, cuisinons ensemble »
Avez-vous un dernier mot à ajouter ?
Oui, moi je pense qu’il y a un axe qu’il faut développer, c’est le lien entre l’écologie et la santé. Il faut montrer qu’on va tous bénéficier d’un monde plus écolo. Il me semble qu’en tant que Français, on est très fiers de notre une culture gastronomique super riche, et je pense que la santé via le bien manger peut conduire à des mesures très enthousiasmantes, à l’échelle nationale mais aussi locale. Ça permettrait de créer du lien et d’allier à la fois le secteur agricole qui connaît d’énormes difficultés actuellement, allier notre santé en tant que citoyen et allier le respect du vivant. Il y a la sécurité sociale de l’alimentation qui est une mesure développée dans pas mal de communes actuellement. Ce type de projet peut nous permettre de nous donner un cap collectif, de refaire commun et plutôt que de prôner le « vivre ensemble », prôner le « faire ensemble ». Achetons nos fruits et légumes pas loin ensemble, cuisinons ensemble, etc. Ça peut recréer pas mal de liens au niveau local et je trouve que c’est un projet qui donne beaucoup d’espoir.
Propos recueillis par Marion Lamure
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Pour aller plus loin :
Petit manuel de répartie écologique, Margot Jacq, 2024, Les liens qui libèrent
Calculateur carbone de la Fondation GoodPlanet pour estimer l’impact de votre activité sur le climat
Les 12 excuses de l’inaction climatique, et comment y répondre – Bon pote
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Tevin Larson
Thank you for providing such a well-worded article