Manille (AFP) – A l’aide d’une épuisette montée sur un long bâton, Ronnel Narvas ramasse des bouteilles usagées et des sacs plastiques: il fait partie du millier d’agents employés par le gouvernement pour nettoyer les cours d’eau de Manille dans lesquels des tonnes de déchets s’accumulent chaque année.
« C’est décevant parce qu’on a beau être méticuleux, les déchets ne disparaissent pas », raconte à l’AFP ce fonctionnaire de 30 ans, les pieds baignant dans un affluent nauséabond du fleuve Pasig, qui traverse la capitale philippine.
« Mais nous devons persévérer… Au moins,on essaie d’en réduire le nombre plutôt que de les laisser s’accumuler », ajoute-t-il.
Un service de collecte des déchets défaillant, le manque de décharges et d’usines de recyclage, ainsi que la pauvreté extrême sont tenus comme responsables du problème de plus en plus important que pose la pollution plastique dans le pays.
L’archipel produit chaque jour 61.000 tonnes de déchets, dont 24% sont des déchets plastiques, selon des chiffres du ministère philippin de l’Environnement.
Une étude de l’ONG Ocean Cleanup, réalisée en 2021, montre que le pays est celui qui rejette le plus de plastique dans la mer. D’après elle, le fleuve Pasig, qui se jette dans la baie de Manille, est le « plus pollué » au monde.
Les sacs et le plastique à usage unique, entre autres, forment une grosse partie du problème.
Pas un seul camion-poubelle
« Quand la pluie tombe, nous baignons littéralement dedans », déclarait le mois dernier la ministre philippine de l’Environnement et des Ressources naturelles Toni Yulo-Loyzaga.
« Mais quotidiennement, on consomme du plastique dans le poisson pêché dans nos eaux, à travers les bouteilles de mauvaise qualité que nous utilisons », avait-elle ajouté.
Nieves Denso, une veuve de 63 ans, vend des petites boîtes de chocolat en poudre, du café, du lait, du shampoing et du détergent dans sa petite échoppe d’un bidonville au bord de l’eau de Manille.
Les sacs plastiques sont populaires aux Philippines, où beaucoup d’habitants n’ont pas les moyens d’acheter des produits ménagers en grande quantité.
La sexagénaire les collecte et de temps en temps, elle rémunère des enfants 10 pesos (17 centimes en dollars américains) pour les déposer sur une route voisine où elle espère qu’ils seront ramassés.
Elle avoue cependant ne pas savoir s’ils ne finissent pas plutôt dans la rivière ou un terrain vague où plusieurs de ses voisins abandonnent leurs déchets.
Nieves Denso, qui mentionne ne pas trier ses ordures, explique que « c’est la responsabilité du gouvernement de faire en sorte que les gens se plient aux règles ».
Emma Gillego, qui vit dans une cabane en bois qui surplombe la rivière Paranaque, n’a pas vu un seul camion-poubelle circuler dans son quartier depuis le déménagement de sa famille il y a 20 ans.
Les déchets plastiques jonchent le sol, malgré les visites pluriannuelles de travailleurs sanitaires pour apprendre aux habitants à trier leurs ordures.
« On ne dit rien à nos voisins qui jettent leurs ordures dans l’eau parce qu’on ne veut pas se mêler de leurs vies », glisse la femme de 58 ans.
« Phase infantile »
Des mesures environnementales ont été adoptées ces dernières années, allant de la mise en place de centres de recyclage à l’obligation pour les entreprises d’assurer la responsabilité de leurs déchets plastiques.
« Les Philippines ont vraiment fait des efforts louables », a indiqué à l’AFP Junu Shrestha, spécialiste de l’environnement à la Banque mondiale.
Mais si la législation a donné aux Philippines une « feuille de route » pour traiter le problème de la gestion des déchets, sa mise en œuvre constitue « un autre défi », nuance-t-il.
A Manille, où vivent plus de 14 millions de personnes, seulement 60% des ordures sont ramassées, triées et recyclées quotidiennement, selon une étude de la Banque mondiale en 2022.
La ministre Loyzaga a expliqué à l’AFP que son pays était encore dans une « phase infantile » en ce qui concerne le tri et le recyclage des déchets. Elle ne voit pas non plus de fin à l’utilisation du plastique à usage unique, qui « remplit une certaine fonction pour une certaine catégorie de revenus dans notre économie ».
Bien qu’il soit peu agréable de patauger dans des eaux putrides durant des heures, l’agent Ronnel Narvas est persuadé que ses efforts peuvent aider à réduire le risque d’inondations dans les zones aux alentours.
Il espère que les gens finiront un jour par arrêter de jeter leurs déchets dans l’eau.
« C’est décourageant. Mais c’est notre travail et nous y sommes habitués », conclut-il.
© AFP
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