Pourquoi et comment préserver les tourbières ?

plaidoyer pour les tourbières

Zone humide et tourbières près de Sourgout (Surgut), Sibérie Occidentale, Russie © Yann Arthus-Bertrand

Mal connues, les tourbières sont pourtant un milieu indispensable au Vivant et à l’équilibre climatique. Ces zones humides ont pendant longtemps été « assainies ». Pourtant, leur préservation est indispensable à la fois pour le cycle de l’eau et pour celui du carbone. C’est ce qu’explique Hervé Cubizolle dans son livre Plaidoyer pour les tourbières publié aux éditions Quae en 2024. Hervé Cubizolle est professeur à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne dans l’UMR « Environnement, ville, société ». Aujourd’hui directeur du master « Histoire, civilisation, patrimoine », il est également administrateur de France Nature Environnement Loire, membre et ancien administrateur de la Société nationale de protection de la nature, et membre de la Ligue pour la protection des oiseaux. GoodPlanet Mag’ republie des bonnes feuilles de son Plaidoyer pour les tourbières qui, en parlant des tourbières, interrogent aussi sur le rapport de l’espèce humaine aux milieux, et plus généralement à la nature.

Il fut un temps pas si lointain où nous protégions la nature. Depuis une trentaine d’années nous la gérons, ce qui n’a pas empêché de très fortes dégradations ! Ce glissement sémantique n’est pas anodin. Il révèle un changement de paradigme : on ne souhaite plus préserver les milieux de l’action humaine, mais faire en sorte que l’utilisation de ces milieux n’en affecte pas trop leurs fonctionnalités de façon à ce que leurs usages et celui des ressources qu’ils renferment puissent être pérennisés au bénéfice de nos sociétés et des générations futures. Si Aristote revenait parmi nous, il ne serait donc guère dépaysé, lui qui prônait le bon usage de la nature, un concept maintes fois repris depuis, dans la Genèse et par les Modernes. Colbert, par exemple, n’imposa-t-il pas le bon usage des forêts de notre pays ? Ainsi, le monde occidental, dont le modèle socio-économique capitaliste et libéral s’est imposé à toute la planète, demeure encore très réticent à imaginer des écosystèmes autres que ceux qu’il façonne en fonction de l’utilisation qu’il en fait. L’idée que des pans de territoire puissent retourner à une évolution moins dépendante de l’action humaine et qu’ils soient de fait exclus de toute valorisation économique est encore difficilement acceptée. C’est pourquoi les concepts de libre évolution, de non-intervention comme mode de gestion, ou encore la création de réserves intégrales sont mal perçus par l’opinion publique, en France tout particulièrement.

Alors comment préserver les tourbières ? Quelle place accorder respectivement aux opérations de restauration, à un mode de gestion non interventionniste et à la libre évolution ? En quoi le maintien des services rendus et la patrimonialisation des tourbières peuvent-ils offrir une opportunité de revenir à davantage de protection et à moins de gestion ?

Préserver les services rendus aux sociétés par les tourbières

Les tourbières rendent incontestablement un certain nombre de services aux sociétés humaines (figure 12). Elles amortissent les crues et participent au soutien d’étiage, comme nous l’avons évoqué au chapitre 1. Elles stockent du carbone, ce que nous avons expliqué aux chapitres 2 et 6. Nous préciserons ici les perspectives que ce service ouvre dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Les tourbières contribuent à la biodiversité terrestre, ce dont nous avons abondamment parlé au chapitre 3. Elles assurent la conservation d’archives naturelles qui permettent de reconstituer l’histoire des interactions entre changements environnementaux et évolution des sociétés humaines, comme expliqué au chapitre 4. Nous avons aussi perçu dans ce chapitre 4 l’intérêt patrimonial des tourbières créées par les sociétés humaines, qui sont autant de témoignages de l’ancienneté des activités agricoles. Concernant ce volet patrimonial, nous allons découvrir maintenant que la tourbe conserve également des objets archéologiques et historiques dont l’étude vient compléter celle des archives naturelles. Enfin, il faudrait traiter des dimensions culturelles et cultuelles des tourbières qui, dans certaines sociétés, ont participé et parfois participent encore d’une certaine conception de l’environnement. Ainsi, au Gabon près de Lambaréné ou à Lokolama en République démocratique du Congo, l’accès aux tourbières boisées est conditionné à l’autorisation des chefs de villages ou de tribus et à l’observation de rites. En Amazonie péruvienne, ce sont les populations urarina du bassin de la rivière Chambira qui montrent une connaissance très précise des différents types de tourbières, corpus de connaissances empiriques qui intègrent celles des sols. D’autres services rendus ne seront pas abordés, comme la capacité des tourbières et notamment de la sphaigne à stocker des éléments chimiques toxiques. Nous laisserons de côté ces sujets, faute de place dans cet ouvrage. Le lecteur intéressé trouvera dans la bibliographie proposée de quoi en apprendre davantage.

les services rendus par les tourbières
Figure 12. Les services rendus par les tourbières. DR Infographie extraite du livre Plaidoyer pour les tourbières, éditions Quae

Une tourbière associe dans un même système de l’eau, de la tourbe et des biocénoses, ces trois composantes étant en interaction permanente. Les services rendus se répartissent entre ces trois pôles de la façon suivante : le pôle « eau » renvoie aux services de régulation des débits et de filtration et d’épuration des eaux ; le pôle « tourbe » renvoie au stockage du carbone et à la conservation des archives naturelles, dont l’étude permet la reconstitution des climats et des paysages végétaux passés ; et le pôle « faune/flore » renvoie à la biodiversité des tourbières.

Détruire les tourbières ou même seulement altérer leur fonctionnement hydro-écologique, c’est ainsi se priver de beaucoup de bénéfices que nous tirons de leur existence. Cela implique également d’essayer de compenser la perte de certains de ces services par des opérations d’éco-ingénierie qui génèrent des coûts et posent des problèmes techniques quelquefois insurmontables étant donné la complexité du fonctionnement des écosystèmes tourbeux.

Des sentinelles face au changement climatique

Du fait de leur besoin en eau, tant atmosphérique que phréatique, et de l’impérieuse nécessité pour elles de voir se maintenir la saturation hydrique de leur sol, les tourbières apparaissent comme un des écosystèmes les plus menacés par le changement climatique. C’est d’autant plus vrai dans les régions du monde où les tourbières sont utilisées par les sociétés humaines depuis des siècles, voire des millénaires. C’est donc handicapées par des dysfonctionnements hydro-écologiques que beaucoup d’entre elles doivent affronter la hausse des températures et de l’évapotranspiration, quelquefois combinées à une baisse des précipitations.

Toutefois, on peut se demander si le recul de l’accumulation de tourbe dans certaines régions ne pourrait pas être compensé par la mise en place de tourbières ailleurs, notamment aux hautes latitudes. Ces régions connaissent en effet un réchauffement spectaculaire et pourraient, d’ici quelques décennies, voir se développer les tourbières.

La menace du changement climatique

L’été 2022 fut le deuxième été le plus chaud observé en France depuis 1900, avec + 2,3 °C contre + 2,7 °C en 2003. Le problème pour les tourbières, c’est qu’il fut également très sec du fait de l’absence d’épisodes orageux qui, habituellement, modèrent les effets négatifs de la météorologie estivale. Certes, toutes les régions du pays n’ont pas été affectées de la même façon. En montagne, l’altitude a quelque peu tempéré l’effet des canicules, grâce notamment à des nuits plus fraîches. Les versants nord et les fonds de vallée en particulier ont connu moins d’insolation directe, ce qui a limité la hausse des températures et les pertes en eau par évapotranspiration. Quoi qu’il en soit, l’augmentation inexorable de la fréquence de tels épisodes caniculaires combinant températures élevées, sécheresse atmosphérique et vent, amène à se demander quel sera l’avenir des tourbières dans un monde sensiblement plus chaud et plus sec. En effet, si maints facteurs influent sur le fonctionnement d’une tourbière et son développement, il n’en reste pas moins que l’élément fondamental qui conditionne tout le système, c’est l’eau. Il faut le répéter, la saturation en eau est indispensable à la poursuite de l’accumulation de tourbe et à la conservation des stocks de carbone. Or des températures élevées, combinées à une absence de précipitations et à un ensoleillement constant et fort, conduisent inévitablement au rabattement de la nappe, à l’augmentation de l’évapotranspiration et à la réactivation des processus d’humification et de minéralisation de la matière organique.

Une autre épée de Damoclès pèse sur les nappes phréatiques, les cours d’eau et les tourbières : le risque de voir se multiplier les captages pour collecter de l’eau potable. C’est ce que l’on peut craindre, par exemple, dans les monts du Forez, où certains étés des bourgs et des villages doivent être alimentés en eau par des camions citerne, une situation intenable à moyen terme. L’augmentation des besoins va donc vraisemblablement pousser à multiplier les captages dans l’aquifère granitique, ce qui ne peut, au-delà d’une certaine quantité d’eau captée, qu’affecter les zones humides.

Si la tourbière est fort démunie face aux captages, elle dispose en revanche d’un certain nombre de dispositifs lui permettant de résister à une sécheresse de l’air trop forte. Bien évidemment, cet arsenal est plus ou moins efficace selon les tourbières, notamment du fait de la composition du couvert végétal. La présence de larges tapis et de buttes de sphaignes est le principal atout des tourbières. En effet, la couche d’air qui circule entre les capitulums des sphaignes assure une isolation qui limite l’augmentation des températures dans la couche supérieure du sol et empêche une trop forte évapotranspiration. Cela explique que pendant l’été chaud et sec de 2003, le niveau de la nappe de tourbières bombées à sphaignes étudiées dans le massif des Bois-Noirs, au nord des monts du Forez, ne baissa que de 20 ou 30 cm au maximum. Cependant, ce dispositif de protection contre une évapotranspiration excessive a ses limites : celles de la capacité des sphaignes à résister à la sécheresse et à la chaleur. Leurs persistances amènent en effet la dessiccation des sphaignes et, à terme, leur mort et leur effritement, laissant ainsi la tourbe à nue. La très forte évapotranspiration qui s’ensuit conduit à l’abaissement du niveau de la nappe et à la minéralisation de la tourbe. De puits de carbone, la tourbière devient alors une source d’émissions. Évidemment, une seule année sèche ne suffit pas à faire basculer le système. Mais l’enchaînement des périodes caniculaires et sèches depuis plusieurs années fait craindre un tel bouleversement.

Les tourbières hautes sont particulièrement sensibles à la sécheresse atmosphérique. Car ne perdons pas de vue que des températures élevées ne posent pas de problème si l’humidité atmosphérique est forte. La preuve en est la présence de sphaignes dans les tourbières des régions intertropicales. Mais en Europe occidentale, les températures élevées vont de pair avec une sécheresse prolongée. Ainsi, dans le Massif central oriental, on constate d’ores et déjà les conséquences de l’augmentation de la durée et de la fréquence des périodes chaudes et sèches depuis une trentaine d’années. Nombre de tourbières bombées à sphaignes voient leur couverture végétale se modifier sur tout ou partie de leur surface. Le plus souvent la callune étouffe peu à peu la sphaigne. Ailleurs, le changement est encore plus radical. Ainsi, le suivi de la tourbière des Roussis dans le sud des Bois-Noirs, à 900 m d’altitude au cœur de la sapinière, montre qu’en quatre années, la myrtille a complètement envahi le site et presque totalement submergé les énormes buttes de sphaignes qui caractérisaient le site.

Cet assèchement saisonnier en surface se traduit également, du fait d’un abaissement de la nappe plus important et plus durable, par une modification des horizons histiques supérieurs qui commencent à se minéraliser. Les carottages montrent très nettement le développement en 20 ans d’un horizon assaini d’une vingtaine à une trentaine de centimètres d’épaisseur. Il est surmonté d’un humus de quelques centimètres dont la présence signe l’existence de processus d’humification et de minéralisation de la matière organique. La fourniture d’éléments nutritifs qui en découle explique l’évolution de la végétation (figure 13).

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Figure 13. Conséquence de l’abaissement saisonnier durable de la nappe sur l’évolution des Histosols. DR Infographie extraite du livre Plaidoyer pour les tourbières DR 2ditions Quae

Ces deux schémas permettent de visualiser l’abaissement des nappes lors des périodes de sécheresse exceptionnelles. De petites tourbières de versant se retrouvent alors déconnectées de la nappe qui ne se décharge plus dans la dépression, son niveau étant trop bas.

Cette constatation d’une dégradation notable des Histosols des tourbières hautes a été faite en maintes régions

de France. Cela signifie qu’au mieux la fonction de stockage de carbone est très affaiblie, qu’au pire la tourbière relargue du carbone. Quant aux tourbières basses, elles sont généralement moins touchées car davantage connectées à la nappe phréatique. Ainsi, ces dernières années chaudes et sèches n’ont pas entraîné de rabattement significatif de la nappe dans les fonds d’alvéoles tourbeux des hautes terres des monts du Forez. Mais une accentuation du réchauffement ou une multiplication des captages conduiraient à terme à un abaissement estival généralisé des nappes phréatiques locales qui n’alimenteraient plus les masses de tourbe.

Un espoir réside dans l’inertie remarquable de ces milieux, ce qu’atteste le très vieil âge de certaines tourbières. On peut ainsi imaginer que la tourbière de Gourgon-Brûlé, dans les monts du Forez, a connu bien des épisodes climatiques défavorables au cours de ses 13 300 ans d’existence. Les seuls événements qui l’ont sérieusement mise en danger sont très récents : le creusement d’un long et large fossé de drainage et un incendie de la lande mal maîtrisé au début des années 1980. C’est donc, pour l’instant, davantage l’action de l’homme de ces dernières décennies que les caprices du climat des quatorze derniers millénaires qui ont mis en difficulté la tourbière.

D’une façon plus générale, on constate très fréquemment des lacunes dans les enregistrements polliniques des séquences tourbeuses. Cela signifie qu’à certains moments de leur histoire, les tourbières concernées soit n’ont pas pu stocker d’archives naturelles faute d’une saturation en eau suffisante, soit ont vu ces archives détruites au cours de périodes d’assèchement d’origine climatique ou anthropique. En conséquence, quelques années ou décennies d’arrêt de la turfigenèse et de minéralisation de l’horizon supérieur de l’Histosol ne condamnent pas obligatoirement la tourbière. Le temps d’une tourbière est au moins celui des siècles et, plus souvent, celui des millénaires. Le retour de conditions hydroclimatiques favorables relance le processus d’accumulation de tourbe et rétablit un fonctionnement hydro-écologique caractéristique de ce milieu.

Le problème actuellement, c’est d’abord l’ampleur du changement climatique et les incertitudes quant à la capacité des sociétés humaines à rétablir le fonctionnement naturel de la machine climatique. Mais c’est également la fragilisation des tourbières à cause d’une pression anthropique ancienne et qui est allée en s’accentuant au fil des siècles. Les perturbations du fonctionnement hydro-pédologique, quoique très variables d’un site à un autre, réduisent incontestablement la capacité des tourbières à affronter les conséquences du réchauffement climatique. Ici, deux questions se posent : à partir de quel niveau d’altération de leur fonctionnement ces écosystèmes changeront-ils de nature et évolueront-ils vers des marais ou des prairies humides ? Et que peut-on faire en matière de gestion des sites pour éviter un changement irréversible du fonctionnement hydro-écologique, à l’échelle humaine tout au moins ?

Au Finmark, la disparition programmée des tourbières à palses ?

On peut essayer de trouver un début de réponse en Finlande, tout en ayant présent à l’esprit que, pour l’instant, nous manquons encore d’études mais aussi de recul pour privilégier tel ou tel scénario. Il est certain par ailleurs que toute généralisation à partir de cas particulier serait très hasardeuse. Le changement climatique s’exprimant de façons très diverses d’une région du monde à l’autre et, ses traductions locales étant innombrables, les répercussions sur les tourbières ne pourront être elles aussi que très variables.

La toundra arborée du plateau de Skallovara, au nord-est de la Finlande, à 10 km à vol d’oiseau de la frontière avec la Norvège, accueille de vastes superficies tourbeuses. À 300 m d’altitude, par 69,5° de latitude nord, les températures moyennes annuelles sont comprises entre − 3 °C et − 5 °C, tandis que les précipitations n’excèdent guère 450 mm. Ce sont là des conditions très favorables au développement des tourbières à palses, bien étudiées pendant près d’un demi-siècle par Matti Seppälä, chercheur finlandais.

Les tourbières à palses sont des écosystèmes très particuliers que l’on ne trouve que sous des climats froids et secs. En Europe, le Finmark et la péninsule de Kola sont ainsi les seules régions où l’on peut les observer. Les tourbières à palses se présentent comme de gros bombements hauts en moyenne de 3 à 5 m (figure 14). De forme grossièrement circulaire ou ovoïde, elles mesurent de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres dans leur plus grande longueur. Le bombement est dû à l’existence d’un pergélisol, c’est-à-dire que la tourbe et les formations minérales sous-jacentes sont gelées la plus grande partie de l’année. Seule une tranche supérieure de l’Histosol épaisse de quelques décimètres fond normalement en été. C’est l’augmentation de volume de l’eau transformée en glace qui provoque le gonflement des sédiments et de la tourbe. Quand le bombement atteint une forte convexité, la tourbe se fissure sur le sommet et laisse pénétrer la chaleur véhiculée par les eaux de pluie estivale. La fonte de la glace au cœur de la palse s’amorce alors et, au bout de quelques années, le bombement finit par s’effondrer sur lui-même en son centre, laissant une pièce d’eau ceinte d’un bourrelet de tourbe encore englacé. La tourbière à palses a donc une durée de vie limitée mais, dans des conditions climatiques favorables, de nouveaux individus naissent régulièrement, si bien que le paysage si typique de ces régions à palses se maintient.

Figure 14. Structure schématisée d’une palse (d’après Matti Seppälä, 2006). Infographie issue du livre Plaidoyer pour les tourbières DR Éditions Quae

L’allure très bombée d’une tourbière à palse est due à la présence d’un cœur de glace pérenne au sein de la masse tourbeuse. L’augmentation du volume de l’eau qui est dans la tourbe et dans les formations sous-jacentes provoque un gonflement de l’accumulation de tourbe. En été, seuls les premiers décimètres fondent.

Le réchauffement climatique étant, on le sait, particulièrement spectaculaire dans l’Arctique, il est intéressant de suivre l’évolution de ces tourbières. Davantage de palses fondent-elles chaque année ? S’en crée-t-il encore ? Dans la région de Skallovar, l’épaisseur de tourbe dégelée ne dépasse pas 70 à 80 cm. Seule une section des Histosols est donc affectée. En revanche, en Norvège, à 60 km au nord-est de Skallovar, dans la plaine maritime qui borde le Varangerfjord, au bord de la mer de Barents, les Histosols sont totalement dégelés début août. On ne retrouve le pergélisol qu’à 1,30 m de profondeur, sous la tourbe, dans les formations sableuses. Cela s’explique par un climat plus doux et plus humide, moins continental qu’au cœur des plateaux finlandais. En hiver, l’épaississement du manteau neigeux empêche ainsi la pénétration en profondeur.

Plus inquiétante, une étude récente menée en Suède sur le complexe tourbeux de Vissátvuopmi, aux confins septentrionaux du pays, non loin des frontières avec la Finlande et la Norvège, montre que l’avenir de ces tourbières est bien sombre. Tout d’abord, les scientifiques ont mesuré un recul des surfaces à palses de 30 % entre 1955 et 2016. Ce recul s’est nettement accéléré entre 1994 et 2010 puis s’est stabilisé entre 2010 et 2016. Finalement, le recul a été deux fois plus rapide entre 1994 et 2016 qu’entre 1955 et 1994. La cause principale est à rechercher dans des hivers plus pluvieux, plus neigeux, plus chauds et plus courts. Une analyse des séries météorologiques disponibles pour cette région a conduit les chercheurs à considérer que le climat a été franchement favorable aux tourbières à palses entre 1880 et 1910. La situation a été plus contrastée entre 1910 et la fin des années 1980, les conditions devenant défavorables de nombreuses années. En revanche, depuis la fin des années 1980, le climat est clairement défavorable pour ces tourbières. Sauf retournement de situation très improbable, la disparition d’Europe des tourbières à palses d’ici quelques décennies semble inéluctable.

Extrait de Plaidoyer pour les tourbières chapitre 7 Pourquoi et comment préserver les tourbières ? par  Hervé Cubizolle, éditions Quae

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