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Sans-terre contre agronégoce, tensions rurales dans le Brésil de Lula

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Adonilton Rodrigues, coordinateur du Mouvement des sans-terre du district fédéral, travaille dans les champs du camp du Mouvement brésilien des sans-terre du 8 mars à Planaltina, au Brésil, le 24 avril 2024 © AFP EVARISTO SA

Planaltina (Brésil) (AFP) – Au coeur de la savane brésilienne, Adonilton Rodrigues laboure le sol avec sa bêche dans un champ occupé illégalement par le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), qui continue de lutter pour la redistribution des terres malgré le retour de Lula au pouvoir.

« Sans occupation, on ne peut pas faire pression, et sans faire pression, on n’a pas de terres où produire », lance le coordinateur régional de ce mouvement engagé dans un bras de fer avec le lobby de l’agronégoce, de plus en plus puissant au Parlement.

Les 17 hectares qu’il cultive avec 80 familles, à 50 km à peine de la capitale Brasilia, font l’objet d’un contentieux judiciaire depuis plus d’une décennie.

Occupées depuis 2012, ces terres, qui font partie d’un immense ranch de 1.700 hectares dans la localité de Planaltina, appartiennent à l’État, selon le mouvement, qui 40 ans après sa création reste fortement mobilisé.

Une trentaine de nouvelles occupations ont été recensées depuis avril, dans 12 États et dans le district fédéral de Brasilia, de quoi attiser les tensions avec l’agronégoce, même si certaines ont déjà été démantelées.

Le Brésil est un pays aux inégalités béantes, et la répartition des terres agricoles ne fait pas exception: 61% sont concentrées dans les 1,4% de fermes de plus de 1.000 hectares.

Héritée de l’époque coloniale, cette inégalité « a été perpétuée », explique à l’AFP Sergio Sauer, spécialiste des questions agraires et professeur à l’Université de Brasilia à Planaltina.

Puissance agricole de premier plan, grand exportateur de soja, viande et maïs, le Brésil présente « une des plus grandes concentrations de terres (agricoles) de la planète », résume-t-il.

Né à la fin de la dictature militaire (1964-1984) pour revendiquer une réforme agraire en profondeur, le MST est un des symboles de la gauche brésilienne. La casquette rouge avec son logo représentant une carte du Brésil est devenu un accessoire de mode dans les grandes villes.

Les défenseurs du mouvement argumentent que les terres occupées sont généralement non utilisées par leurs propriétaires ou font l’objet de litiges en raison de dettes ou de soupçons d’esclavage moderne.

« Usines à invasion »

Le président Luiz Inacio Lula da Silva est devenu un allié inconditionnel du MST lors de ses deux premiers mandats (2003-2010).

À la faveur du boom des matières premières, l’ancien syndicaliste a financé une série de nouvelles attributions de terres qui ont bénéficié plus de 600.000 familles, selon l’Institut pour la réforme agraire (Incra), un organisme public.

Mais cela n’a pas permis de résoudre en profondeur le problème de « la mauvaise distribution des terres » au Brésil, estime Sergio Sauer.

Selon lui, ces programmes ont perdu leur souffle ces dernières années en raison de difficultés opérationnelles, de problèmes de financement, et surtout de l’influence croissante du lobby de l’agronégoce, qui a pris une nouvelle envergure sous le mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022).

Pour le député Alberto Fraga, membre du Parti Libéral de M. Bolsonaro, le mouvement MST est « une usine à invasion de propriétés ». Et, si les occupations perdurent, il envisage de présenter un projet de loi qui les assimile à un « crime de terrorisme ».

Conflits fonciers

Conscient de l’importance du secteur agricole, moteur de la croissance au Brésil, Lula a fait des concessions aux grands propriétaires terriens, en promulguant notamment en décembre une loi qui assouplit les règles sur l’usage des pesticides.

En parallèle, il a lancé un programme pour que près de 300.000 familles se voient attribuer de nouvelles terres ou pour régulariser celles qu’elles occupent actuellement.

Malgré ces efforts pour ménager la chèvre et le chou, les conflits fonciers en milieu rural sont en hausse : la Commission Pastorale de la terre, liée à l’Église catholique, a recensé l’an dernier plus de 2.200 épisodes violents, pouvant aller des simples menaces aux expulsions musclées ou même à des meurtres, un record depuis que ces données ont commencé à être compilées en 1985.

Les terres en proie à des conflits s’étendent sur 59 millions d’hectares, soit plus que la superficie de l’Espagne.

Dans l’État de Bahia, la Police fédérale enquête sur un groupe nommé « Invasion zéro », qui serait financé par des commerçants et des patrons de l’agronégoce, et impliqué dans l’assassinat de chefs indigènes.

« Le gouvernement ne fait rien et des propriétaires terriens ont recours à des mesures absurdes, comme l’emploi de milices pour défendre leurs terres », fustige Alberto Fraga.

© AFP

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