Lorient (AFP) – La législation sur la restauration de la nature, adoptée par les États membres de l’Union européenne, inquiète les pêcheurs français qui craignent qu’elle entraîne la fermeture de certaines zones ou l’interdiction d’engins de pêche.
« Des contraintes, encore des contraintes… », maugrée Yves Foëzon, directeur de l’organisation de producteurs Pêcheurs de Bretagne, dans les couloirs du Palais des congrès de Lorient, où les professionnels de la filière se sont donnés rendez-vous pour les Assises de la Pêche.
Adopté lundi, le nouveau règlement européen impose aux Vingt-Sept d’instaurer d’ici 2030 des mesures de restauration sur 20% des terres et espaces marins à l’échelle de l’Union européenne, puis d’ici 2050 sur l’ensemble des zones qui le nécessitent. Les États seront tenus d’établir des feuilles de routes précises.
« Je crains que 20% des espaces marins soient carrément interdits », déplore Christophe Collin, directeur de l’Armement bigouden (neuf navires hauturiers) au Guilvinec (Finistère), qui précise cependant ne pas connaître les détails du texte.
Un haut fonctionnaire du secteur affirme, sous couvert d’anonymat, que la législation « risque d’avoir un impact assez important car les objectifs sont ambitieux ». Il envisage ainsi des « fermetures de zones ou des interdiction de certaines pratiques de pêche », comme le chalut de fond.
« Décalage »
« La Commission européenne ajoute de nouveaux objectifs alors même qu’on n’est pas en mesure de répondre aux premiers objectifs », définis par les directives européennes sur la protection de la biodiversité, critique Jérôme Jourdain, secrétaire général adjoint de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF).
Même son de cloche chez Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Institut Agro de Rennes, qui dit craindre « un certain décalage entre ce qui est affirmé dans ce texte et la volonté politique » des États.
« En matière de pêche, il y a déjà plein de lois qui ne sont pas mises en œuvre », remarque M. Gascuel, qui prend en exemple la protection des poissons juvéniles, prônée par la Politique commune des pêches (PCP) de l’Union européenne, « alors qu’on les pêche massivement ».
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Autre exemple: la PCP imposait que 100% des stocks de poissons soient gérés durablement en 2020. L’année suivante, 38% des stocks exploités par la pêche hexagonale étaient toujours surpêchés, dégradés ou effondrés, selon l’Ifremer.
« Assurance vie de la pêche »
« Une nature en bon état, c’est l’assurance vie globale de l’activité de pêche », défend Pierre Karleskind, président (Renaissance) de la commission pêche dans le Parlement européen sortant. Il met en garde contre « des risques d’effondrement d’écosystèmes, dans 10 à 30 ans, si on ne prend pas des mesures dès aujourd’hui ».
« Une partie de la crise de la pêche vient du fait qu’on a une ressource trop rare car on a trop abîmé les écosystèmes », abonde M. Gascuel. « Quand la ressource est rare, il faut beaucoup de gazole pour aller pêcher le poisson ».
Et puis, s’il avance des objectifs ambitieux, le texte sur la restauration de la nature a « été largement vidé de sa substance » par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne, selon M. Karleskind.
« Le niveau d’ambition a été largement revu », ajoute-t-il, décrivant la « restauration de la nature » comme « un concept nouveau » et pas « clairement établi ».
Tous les acteurs économiques de la mer ne sont d’ailleurs pas opposés à ce concept: les conchyliculteurs voient plutôt d’un bon œil cette législation nouvelle.
« La conchyliculture est très dépendante de la qualité des eaux », souligne Thibault Pivetta, responsable des affaires européennes au comité national de la conchyliculture (CNC).
« Pesticides et insecticides peuvent contaminer et affaiblir les coquillages. Ce texte permettrait de diminuer les intrants terrestres et d’avoir une meilleure qualité de coquillages », avance-t-il.
M. Pivetta, qui est aussi secrétaire général de l’association européenne des producteurs de mollusques, estime en outre que cela pourrait ouvrir la voie à des actions d' »aquaculture restauratrice » ou destinées à ensemencer « des algues et des coquillages au pied des éoliennes en mer pour y favoriser la biodiversité ».
« Tout cela est bénéfique pour les professionnels », assure-t-il.
© AFP
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