Depuis plusieurs années, le gouvernement japonais s’intéresse particulièrement aux écosystèmes côtiers végétalisés, notamment pour leur capacité à séquestrer efficacement le carbone atmosphérique. Un article récemment publié dans le journal The Japan Times expose la volonté de conservation et de restauration de ces puits de carbone dans le pays. Bien que les mangroves, les herbiers marins et les marais salés couvrent moins de 2 % de la superficie des océans, ils représenteraient environ 50 % du carbone stocké dans les sédiments océaniques. Or, ces écosystèmes dits « à carbone bleu » sont menacés, directement ou indirectement, par les activités humaines. Les scientifiques estiment qu’environ la moitié de ces écosystèmes ont d’ores et déjà disparu à travers le monde, une tendance négative qui s’observe également au Japon. La dégradation des écosystèmes à carbone bleu est d’autant plus préoccupante que ces puits de carbone peuvent se transformer en sources importantes d’émissions s’ils sont endommagés, en libérant le CO2 qu’ils avaient préalablement stocké.
Les écosystèmes à carbone bleu, des puits de carbone non-négligeables
Les végétaux des écosystèmes côtiers transforment du CO2 atmosphérique en biomasse via la photosynthèse. Ils permettent ainsi de stocker du carbone dans les sédiments grâce à l’enfouissement de matière organique. Une fois enfoui dans les sédiments, le carbone peut être stocké à très long terme dans ces écosystèmes qui comptent parmi « les plus puissants de la biosphère » d’après l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Les écosystèmes côtiers végétalisés peuvent en effet stocker jusqu’à 40 fois plus de carbone par unité de surface que les forêts tropicales selon l’ONG Surfrider, jouant ainsi un rôle important dans l’atténuation du changement climatique.
En 2020, le gouvernement nippon a affiché l’objectif clair de ne produire aucune émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Depuis, les efforts redoublent dans le pays pour préserver les écosystèmes à carbone bleu, afin de conserver leur capacité de séquestration des émissions. Le Japan Times indique que le Pays au Soleil Levant souhaite en partie miser sur les projets d’algues, bien que la capacité de stockage de CO2 de ces écosystèmes ait pour l’instant été peu étudiée par les scientifiques à travers le monde. En 2024, le Japon a par ailleurs été le premier pays à inclure le carbone séquestré par les algues dans son inventaire national des émissions qu’il a soumis aux Nations Unies.
De nombreux services écosystémiques rendus
En plus de leur capacité d’absorption du CO2, les écosystèmes à carbone bleu rendent de nombreux services à la société. En effet, ils abritent une biodiversité marine et terrestre très importante, améliorent la qualité de l’eau des littoraux en la filtrant et protègent entre autres les espaces côtiers en réduisant l’énergie des vagues. D’après un rapport de la Banque mondiale, les mangroves protègent plus de 6 millions de personnes contre les inondations.
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« La recherche n’est pas encore développée à la hauteur des enjeux »
Pour l’archipel montagneux du Japon, où la pêche permet à des dizaines de milliers d’habitants de vivre, la préservation des écosystèmes côtiers est d’autant plus importante. Le Japan Times souligne que cette large palette de services fournis rend les écosystèmes à carbone bleu essentiels. Réussir à évaluer la valeur de l’ensemble de ces services écosystémiques est un enjeu majeur car cela encouragerait la préservation massive de ces écosystèmes fragiles. Cependant, cela reste difficile car la collecte de données précises est laborieuse et le volume exact de carbone stocké par ces végétaux est parfois complexe à évaluer. Lionel Denis, enseignant-chercheur à l’université de Lille et expert en bilan carbone, indique que « faire un bilan carbone à l’échelle globale est très compliqué, notamment parce que cela inclut des questions de temporalité : pendant combien de temps le carbone va rester stocké dans les sédiments ? À l’heure actuelle, pour certains écosystèmes à carbone bleu, nous n’avons pas d’idée précise. La recherche n’est pas encore développée à la hauteur des enjeux. »
Financer des projets de préservation grâce aux crédits carbone bleu
Le coût financier des projets de conservation des écosystèmes à carbone bleu limite grandement le nombre de projets développés, d’après les dires de Daniel Friess, enseignant-chercheur qui étudie le carbone bleu, au Japan Times. Pour encourager le soutien financier aux projets de restauration côtière du Japon, Tomohiro Kuwae, membre de l’Institut de recherche portuaire et aéroportuaire du pays, a fondé l’Association japonaise de l’économie bleue (JBE) en 2020. Il a développé un système de crédits carbone, principalement destiné aux entreprises qui souhaitent participer financièrement à la restauration d’écosystèmes à carbone bleu. Ces dernières peuvent ainsi acheter des crédits carbone bleu qui correspondent à une certaine quantité de carbone séquestrée grâce à un projet.
La JBE certifie actuellement des crédits carbone bleu pour 29 projets japonais qui ont chacun été préalablement évalués par un groupe d’experts indépendants. Pour évaluer la quantité de carbone séquestrée par un projet, ils multiplient la superficie restaurée par le projet et l’estimation de la quantité de carbone absorbée par l’écosystème pour une unité de surface. « Les projets eux-mêmes ne sont pas immenses, et la quantité de crédits carbone est également faible, mais ils se vendent toujours à un prix élevé parce que beaucoup de personnes veulent soutenir ce type de projets locaux. Ils estiment que ces projets ont une valeur, au-delà de la simple valeur du carbone », explique Kuwae au Japan Times.
« Il ne faut pas s’imaginer que les écosystèmes à carbone bleu nous permettront de rejeter autant d’émissions qu’on le fait actuellement »
Le défi de ce type de programmes de compensation carbone est qu’ils sont confrontés à des accusations de greenwashing. C’est pourquoi il est primordial que les avantages des crédits carbone bleu ne soient pas exagérés et que les calculs soient aussi précis et transparents que possible. Le Japan Times rappelle que les compensations ne devraient jamais être utilisées comme substitut à la réduction des émissions. Lionel Denis insiste sur le fait qu’ « il ne faut pas s’imaginer que les écosystèmes à carbone bleu nous permettront de rejeter autant d’émissions qu’on le fait actuellement, ils ne constituent pas une solution miracle. »
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Jean-Pierre Bardinet
Comment pouvez-vous confondre CO2 et carbone, un gaz avec un solide?