Nathan Hubert et Mano Silberzahn, auteurs de Vaincre l’obsolescence – mode d’emploi : « la bonne nouvelle concernant l’obsolescence est que le consommateur dispose d’un pouvoir d’action »

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Décharge de produits électroménagers en Grèce © Yann Arthus-Bertrand

Tous les deux designers industriels et passionnés de réparation, Nathan Hubert et Mano Silberzahn ont un fort attachement aux objets ainsi qu’à la durabilité. Cela les a conduits à s’intéresser à l’obsolescence et aux moyens de prolonger la durée de vie des biens qui font notre quotidien. En avril 2024, deux ans après avoir remporté un prix pour la conception d’un mixeur multifonction facilement réparable, ils publient chez Tana éditions le livre Vaincre l’obsolescence – mode d’emploi. C’est à la fois une réflexion sur la manière dont les objets sont conçus, fabriqués et utilisés et un guide pratique afin de réduire l’impact environnemental de notre consommation. Dans cet interview avec GoodPlanet Mag’, Nathan Hubert et Mano Silberzahn livrent quelques clés de compréhension sur le phénomène de l’obsolescence et comment y faire face.

Qu’est-ce qui a poussé deux designers comme vous à s’intéresser au sujet de l’obsolescence ?

Vaincre l'obsolescence - Mode d'emploi,
Mano Silberzahn, et Nathan Hubert,, auteurs de Vaincre l’obsolescence – Mode d’emploi

Mano Silberzahn : Nous sommes des designers industriels par notre formation et notre métier mais aussi des réparateurs bénévoles en repair café. Nous avons un fort attachement aux objets. Comme designers, nous avons travaillé sur la durabilité des objets. Il s’avère qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, les designers ont la possibilité de créer des produits plus durables avec moins d’impact sur l’environnement.

 Nathan Hubert : En parlant avec les fabricants et les consommateurs, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une grande méconnaissance sur le sujet de l’obsolescence. D’une part, la plupart de nos biens de consommation sont produits à l’autre bout du monde donc la plupart des gens ignorent comment les objets sont fabriqués. D’autres part, il arrive fréquemment qu’on attribue tous les problèmes rencontrés par les objets à l’obsolescence programmée. Cela peut bien sûr arriver, mais c’est un des mythes qu’on voulait déconstruire dans le livre. Il n’y a pas qu’elle en cause. En effet, derrière les pannes des objets, il peut y avoir des choix de conception vis-à-vis du prix, des matières disponibles ou encore leurs limites physiques ou bien des techniques de conception. Nous voulons donner aux consommateurs des clés de compréhension pour comprendre l’origine des défaillances qui font que leurs objets durent 2, 3, 5 ou 10 ans ainsi que des moyens de les faire durer plus longtemps. En bref, comprendre le problème afin de mieux le résoudre.

 Est-ce que l’obsolescence des objets est une fatalité ?

Mano Silberzahn : Oui et non car le problème se révèle plus complexe que la seule obsolescence programmée à laquelle on attribue tout et n’importe quoi. La bonne nouvelle concernant l’obsolescence est que le consommateur dispose de plus de pouvoir d’action que si c’était uniquement un complot des méchants industriels.

« Questionner le besoin et consommer ou non relève de choix individuels »

Il est évident que certaines formes d’obsolescence sont inéluctables car tous les objets finissent naturellement par s’éroder, s’abimer et ne plus remplir leurs fonctions. On parle alors d’obsolescence naturelle. Ce phénomène concerne autant, à des rythmes certes différents, les batteries que les statues en pierre vieilles de plusieurs siècles. Il existe d’autres types d’obsolescence sur lesquels on peut agir, comme celle dite de négligence. Cette dernière se caractérise par un mauvais entretien du produit. Le consommateur oublie d’effectuer l’entretien ou de respecter les préconisations d’utilisation de l’appareil.

Il est également possible d’agir sur l’obsolescence perçue, c’est-à-dire celle qui découle des effets de mode et du bombardement permanent du marketing qui poussent à renouveler des équipements pourtant fonctionnels au profit de nouveaux présentés comme plus performants ou à la mode. Questionner le besoin et consommer ou non relève de choix individuels.

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Nathan Hubert : Tous les objets ont un usage limité dans le temps. Actuellement, il reste très peu d’objets qu’on garde toute une vie et qu’on transmet : les bijoux, certains meubles souvent anciens en bois massif et les maisons. Les usages des objets technologiques qu’on achète aujourd’hui sont en constante évolution. Lorsqu’on en achète, on sait qu’ils ne dureront pas longtemps ni même s’ils pourront encore fonctionner dans quelques années. Eux subissent une forme accélérée d’obsolescence inéluctable. Ce processus, qui ne va pas de soi, devrait pourtant nous conduire à questionner une fois de plus nos besoins.

« On assiste à l’émergence d’un vrai mouvement pour la prolongation des biens »

Mano Silberzahn : À l’inverse, il y a des objets qui évoluent très peu, c’est par exemple le cas de l’électroménager. Dans ce secteur, malgré des innovations, celles-ci sont souvent perçues comme gadget par le consommateur car les besoins et les attentes ont très peu changé. On demande avant tout au micro-onde de réchauffer, peu importe qu’il soit connecté ou non, et au lave-linge de faire la lessive avec un effort moindre. Pour ces produits, dont globalement la technologie est demeurée la même depuis les années 1970 et 1980, l’obsolescence est davantage de la responsabilité du fabricant. Il devrait concevoir des objets à la fois fiables et réparables.

Comment expliquez-vous l’attention portée à l’obsolescence depuis quelques années ? Est-ce due à la lassitude du consommateur ? Au fait que le phénomène de l’obsolescence soit mieux documenté ?

Nathan Hubert : La prise de conscience écologique conduit à s’interroger de plus en plus sur l’impact de nos modes de vie : l’alimentation, la consommation, les transports… Il y a aussi un ras-le-bol car depuis les années 1970 parce que la course au prix le plus bas a entraîné une diminution de la qualité des produits et, par conséquent, de leur durée de vie. Il y a 20 ans, on mettait deux fois plus longtemps les vêtements qu’on achetait et on les gardait aussi deux fois plus longtemps.

Mano Silberzahn : De plus, les objets se sont complexifiés et sont ainsi d’autant plus exposés aux pannes. C’est le cas pour les smartphones, tout ce qui est lié à la domotique et aux assistants vocaux. Ils souffrent par ailleurs de l’obsolescence technique dont vient de parler Nathan. Cela veut dire qu’ils seront remplacés par une version plus performante techniquement dans quelques années. Le micro-onde connecté risque de devenir obsolète plus rapidement que son équivalent non-connecté.

Est-ce que d’autres facteurs jouent dans le choix entre renouvellement ou réparation des appareils ?

Nathan Hubert : Je pense aussi que le pouvoir d’achat entre compte. Il contraint à se tourner davantage vers la réparation quand celle-ci est économiquement avantageuse par rapport au remplacement. Au siècle dernier, il était plus courant de réparer. Beaucoup de personnes ont perdu ce réflexe. On constate que les 30-40 ans réparent beaucoup moins que les personnes de 60 ans et plus.

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Mano Silberzahn :  La sociologue Julie Madon a écrit une thèse sur le comportement des Français vis-à-vis de l’obsolescence. Nous l’avons interviewée pour notre livre « Vaincre l’obsolescence ». Elle explique que toute sorte de personnes se mettent à prolonger la durée de vie des objets de différentes façons. Il y a la réparation en mettant les mains dans le cambouis ou bien l’achat en friperie. Les personnes le font pour des raisons diverses, cela ne dépend pas de leur orientation politique. Le désir de faire durer les objets peut être une question de principe, une question économique ou le reflet du souci de l’environnement. On assiste à l’émergence d’un vrai mouvement pour la prolongation des biens. Les médias en parlent plus, Internet et les réseaux sociaux regorgent de conseils pour faire perdurer les objets. Le cadre légal évolue avec des lois en faveur de la réparation, comme le bonus-réparation et l’instauration de l’indice de réparabilité.

Dans le livre, vous insistez sur la distinction entre plusieurs formes d’obsolescence, en quoi est-ce important de comprendre ce qui les distingue ?

Nathan Hubert : Savoir et comprendre pourquoi un produit va arrêter d’être utilisé permet d’essayer de trouver comment en prolonger l’existence et donc de minimiser l’impact écologique des objets. Un utilisateur peut ne plus utiliser un objet car il l’a remplacé par un nouveau alors que le premier fonctionnait toujours. Le sujet de l’obsolescence se révèle dès lors non seulement technique, mais il débouche aussi sur une approche politique et sociétale puisqu’il touche à la manière de consommer. Si l’objet est mis au rebut car il ne marche plus. Le problème peut être de nature technique, il faut commencer par chercher à comprendre l’origine de la panne. Ensuite, on peut se demander comment améliorer la conception du produit afin de prévenir les problèmes ou retravailler bien si des aspects de l’utilisation du produit sont à retravailler du côté de l’utilisateur.

« Savoir et comprendre pourquoi un produit va arrêter d’être utilisé permet d’essayer de trouver comment prolonger l’existence »

Opérer un distinguo entre les différents types d’obsolescence est donc important. Les gens ont désormais tendance à voir de l’obsolescence programmé dès que leur grille-pain tombe en panne, bien qu’elle ne soit pas forcément la cause du problème. En vrai, la plupart des grille-pains tombent en panne en raison des courts-circuits provoqués par l’accumulation des miettes à l’intérieur au niveau des résistances. Pour l’empêcher, il suffit de bien nettoyer l’appareil régulièrement. Dans ce cas-là, c’est au consommateur de faire attention. En revanche, dans l’hypothèse où, au bout de 1000 lavages, une machine à laver arrête de fonctionner car elle est mal-conçue, c’est au fabricant et aux autorités d’agir par des normes afin d’améliorer la fiabilité.

Qu’avez-vous appris qui vous a le plus étonné en travaillant sur l’obsolescence ?

Mano Silberzahn :  Je suis toujours étonné de la perception que les gens ont du plastique. Il y a une importante diabolisation des plastiques qui a abouti à ce que de nombreuses personnes soient persuadées que les métaux sont plus durables et meilleurs pour l’environnement. Or, les analyses de cycle de vie montrent que sur des objets qui ont vocation à durer, le plastique se révèle moins impactant pour l’environnement que le métal. Les plastiques sont moins consommateurs de ressources. Le souci avec les plastiques provient de leur utilisation excessive pour des produits jetables à usage unique que nous dénonçons.

« La fabrication des objets constitue une pollution cachée »

Nathan Hubert : Pour ma part, ce qui m’a surpris est la face cachée des objets. Je me suis rendu compte que la fabrication des objets constitue une pollution cachée. On est très loin de la réaliser. Acheter un vêtement équivaut à parcourir plusieurs centaines de kilomètres en voiture et un meuble des centaines voire des milliers en voiture ou en avion. Cela est dû au fait qu’il a fallu extraire les matériaux, les acheminer, les assembler et transporter le produit. Pour réduire notre empreinte écologique, il devient nécessaire de savoir où mettre nos efforts. Manger moins de viande ou acheter moins de produits est plus efficace que de juste trier ses cartons.

Une des meilleures manières de faire face à l’obsolescence et au gaspillage des ressources est d’allonger au maximum la durée de vie des objets. La réparation est donc un facteur important. Toutefois, au-delà des dimensions techniques (compétences, temps, disponibilité des pièces, réparabilité du produit), on sait que si réparer revient à plus de 30 % du prix du produit, peu de personnes entameront la démarche. Selon vous, faut-il parvenir à relever ce seuil ? Si oui, comment parvenir à convaincre le consommateur puisqu’on est dans la dimension psychologique ?

Nathan Hubert : En effet, l’ADEME a mis en avant qu’un coût de réparation supérieur à 30 % de la valeur de l’objet est un frein à la réparation. Nous sommes convaincus de la nécessité de relever ce seuil. Selon nous, il existe des barrières psychologiques à lever pour favoriser la réparation.

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 Il y a deux grandes manières de réparer. Soit appeler un réparateur, cela coûte souvent cher, parfois autant que de racheter du neuf. Aujourd’hui, convaincre le consommateur de débourser de l’argent pour une réparation dont la fiabilité n’est pas garantie devient difficile.  

« Pour donner envie aux gens de réparer, il faut d’abord modifier la manière dont on conçoit les produits. »

 Soit, on essaye de réparer soi-même mais ce n’est pas forcément donné à tout le monde. Nous pensons cependant que cette voie mérite d’être explorée par les fabricants. Ils pourraient proposer des articles plus facilement réparables par n’importe qui. Cela diminuerait d’une part le coût de la réparation, tout en rendant les objets beaucoup plus intéressants. La réparation serait moins vue comme une corvée, elle peut être ludique et satisfaisante.  Il est pourtant tout à fait envisageable d’imaginer des appareils plus simples dans lesquels changer une pièce se rapprocherait du Lego, avec des manuels plus explicites. Aujourd’hui, réparer le moindre appareil électroménager s’apparente à une galère rien qu’en termes de vis qui sont souvent innombrables et de tailles et de formes multiples. Pour donner envie aux gens de réparer, il faut d’abord modifier la manière dont on conçoit les produits.

« Tous les objets nécessitent un entretien régulier »

 Mano Silberzahn :  C’estaux 3 parties prenantes que sont les entreprises, les consommateurs et les autorités d’agir. Les fabricants jouent un rôle dans la conception.

Les pouvoirs publics ont un rôle pour encadrer et stimuler économiquement la réparation. On le voit grâce au bonus-réparation. Actuellement, il est impossible pour la réparation d’être compétitive en France pour un objet fabriqué à l’autre bout du monde à un prix dérisoire en raison de salaires plus bas et sans charges sociales. Pour remédier à ce déséquilibre, il faut subventionner la réparation.

planning entretien electromenager
Le planning d’entretien des produits électroménagers – extrait du livre Vaincre l’obsolescence – Mode d’emploi de Mano Silberzahn, et Nathan Hubert, (éditions Tana) © éditions Tana

 Au niveau du consommateur, il faut changer de paradigme en apprenant à apprécier davantage les objets, à les aimer plus. Et donc les entretenir plus. Nous avons développé un calendrier de la durabilité pour aider tout le monde à mieux planifier les opérations d’entretien.

Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui veulent faire durer leurs appareils ?

Nathan Hubert : Nous pensons qu’il faut choisir avec soin les produits que nous achetons. Il arrive d’acquérir des produits en ayant des doutes sur leurs qualités. Que ce soit économiquement ou pour l’environnement, on a souvent intérêt à ne pas acheter le premier prix. Il est souvent produit à l’autre bout du monde en réduisant au maximum les coûts, au détriment de l’environnement et des travailleurs. Il faut aussi se renseigner sur la réparabilité et la réputation de la marque.

 « Entretenir empêche beaucoup de pannes et permet d’éviter d’arriver à se poser la question de la réparation. »

 Mano Silberzahn :  Comme en santé humaine, il vaut mieux prévenir que guérir et donc agir en amont plutôt qu’en aval. Tous les objets nécessitent un entretien régulier, du vélo à la voiture, du PC au smartphone, de l’électroménager aux meubles. Entretenir empêche beaucoup de pannes et permet d’éviter d’arriver à se poser la question de la réparation.

 Nathan Hubert : Les études sur l’affection qu’on porte à ses objets montrent qu’en prendre soin fait qu’on les aime un peu plus à chaque fois. On peut penser au vélo dont on graisse la chaîne, sur lequel on change la chambre à air ou le pneu. On s’y attache d’autant plus. Cela vaut pour tous les objets.

Avez-vous un dernier mot ?

 Mano Silberzahn :   Nous sommes bénévoles en repair café où nous observons de nombreuses pannes qui ne devraient pas exister. Les objets actuels ne sont faits ni pour durer, ni pour être réparés. C’est pourquoi nous sommes convaincus que les fabricants doivent agir en inventant des nouveaux modèles économiques et des nouveaux produits mieux conçus.

Nathan Hubert : Au-delà du livre, nous avons donc la volonté avec Nobsolete d’aller plus loin en passant à l’étape fabrication. Nous allons proposer un produit dans le domaine de l’électroménager. Son ambition est d’être plus durable et surtout plus réparable, suivant tous les concepts et principes dont nous avons parlé. Rendez-vous en septembre !

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Vaincre l’obsolescence – Mode d’emploi, par Mano Silberzahn, et Nathan Hubert,  éditions Tana (lisez.com)

Le site de Nobsolete et son espace blog avec des guides pratiques

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