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« Si tu protestes, tu meurs »: en Equateur, les pêcheurs sous la coupe des narcos

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Un pêcheur est assis dans un bateau sur la plage du port de pêche de Santa Rosa à Salinas, en Équateur, le 26 juin 2024 © AFP Enrique ORTIZ

Salinas (Equateur) (AFP) – Face à un paysage côtier idyllique entouré d’immeubles luxueux, la station balnéaire de Salinas, au sud-ouest de l’Équateur, cache une guerre qui échappe aux touristes. Les gangs ont enrôlé les pêcheurs dans le trafic de drogue, leur imposant la loi du silence et des balles.

« Si tu protestes, tu meurs », confie à l’AFP un pêcheur de 35 ans qui ne veut pas donner son nom pour raisons de sécurité.

Il travaille au quai de Santa Rosa, situé dans cette ville de 35.000 habitants de la province de Santa Elena. L’atmosphère dans le port est celle d’un silence quasi-total. Les regards méfiants ajoutent à la tension.

« Nous ne pouvons pas rester longtemps ici », prévient l’homme inquiet. Comme d’autres pêcheurs de la côte pacifique équatorienne, il a été pris dans un dilemme pervers : transporter de la cocaïne en échange de fortes sommes d’argent, ou tout simplement mourir pour avoir refusé de le faire.

Sa grosse barque à moteur serpente entre des dizaines de bateaux colorés qui flottent le long du quai, avant de se perdre en mer.

« Trafic plus artisanal »

Salinas est situé à 150 kilomètres à l’ouest de Guayaquil, principal port commercial du pays et épicentre des violences entre les gangs qui se disputent les routes du trafic de drogue vers les États-Unis et l’Europe.

Autrefois un havre de paix, l’Équateur est aujourd’hui en proie à la violence et les homicides sont passés de 6 pour 100.000 habitants en 2018 à un record de 47 en 2023.

Santa Elena est un fief politique et lieu de résidence personnelle du président Daniel Noboa. Depuis son arrivée au pouvoir en 2023, il mène une guerre sans merci contre le trafic de drogue, qui ne cesse de se renforcer dans un pays situé entre Colombie et Pérou, les plus grands producteurs de cocaïne au monde.

Contrairement à Guayaquil, d’où la drogue est expédiée par tonnes dissimulées dans les grands conteneurs de bananes ou autres produits, à Santa Elena, le trafic vers l’océan Pacifique se fait « de manière plus artisanale », explique Glaeldys Gonzalez, chercheuse du think-tank Crisis Group pour l’Équateur.

Les pêcheurs transportent les ballots de cocaïne vers le nord, le long des côtes vers des pays d’Amérique centrale où ils sont récupérés par des cartels mexicains et envoyés aux États-Unis.

« Ils utilisent des bateaux de pêche », mais aussi des navires plus grands, des semi-submersibles, confirme Boris Rodas, capitaine de la marine équatorienne qui commande la zone.

A Santa Elena, opèrent principalement Los Choneros, l’un des plus puissants groupes criminels du pays, et d’autres gangs moins influents dans la région, tels que Los Lagartos, Los Tiguerones, Los Chone Killers et même Los Lobos.

« De l’argent ou du plomb »

« Nous ne savons jamais qui nous embauche. Il y a des intermédiaires et nous ne connaissons jamais le +capo+ », assure le pêcheur déjà cité.

Le transport de la cocaïne représente pour eux un revenu d’environ 10.000 dollars par cargaison, une manne qu’il est bien difficile de refuser

Le poisson n’est plus aussi abondant qu’avant, et les quelques bénéfices qu’ils réalisent s’évaporent « dans les frais de réparation des bateaux », déplore un autre pêcheur, lui aussi sous couvert d’anonymat.

Mais ce pacte est loin d’être gratuit et anodin.

« Ces personnes et leurs familles sont menacées par des acteurs armés » qui ont adopté la maxime du célèbre baron colombien de la drogue Pablo Escobar: « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb), selon Mme Gonzalez.

« La moitié de l’argent est remise avant notre départ et l’autre moitié lorsque nous revenons au port une fois le travail effectué », explique encore le pêcheur du quai de Santa Rosa.

Ils ne reçoivent parfois qu’une fraction de ce qui a été convenu. Réclamer peut signifier la mort.

Tirs croisés et extorsion

« Il y a quelques jours, ils ont tué un homme qui était pêcheur », dit le marin à voix basse.

Tout le monde sait, mais personne ne veut parler. Au large, les gangs se disputent les routes comme sur le continent.

Il y a quelques jours, un groupe de pêcheurs a retrouvé un corps décapité dans l’eau. « Quand (les gangs rivaux) se croisent en mer, ils se tirent dessus dans tous les sens ».

Les pêcheurs sont également pris entre deux feux, accusés par l’un ou l’autre gang de collaborer avec leurs rivaux. Ils sont souvent obligés payer les groupes criminels en échange d’une prétendue sécurité.

En avril 2023, à Esmeraldas (nord-ouest), une trentaine d’hommes armés ont ouvert le feu dans un port de pêche artisanale, tuant neuf personnes. Le carnage a été filmé par des caméras de sécurité.

Malgré l’état d’urgence imposé depuis janvier et la « guerre » déclarée par le président Noboa aux gangs, avec le déploiement des militaires dans la rue, la violence se poursuit sans relâche. Rien qu’au cours des quatre premiers mois de l’année, quelque 1.900 meurtres ont été enregistrés.

© AFP

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