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À la rencontre des Parfums de la Nature avec Roland Salesse : « les odeurs sont avant tout une question de survie pour le vivant »

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Paysage de champs colorés près de Sarraud, Vaucluse, France (44°01’ N – 5°24’ E). © Yann Arthus-Bertrand

Impossible de penser à la nature sans y associer des odeurs. D’une infinie variété, les odeurs reflètent la diversité du vivant. Senteurs des fleurs, odeurs des végétaux et des animaux, sensations olfactives associées à des paysages et des milieux façonnent notre rapport à l’environnement. Sans parler de toutes les odeurs, plus ou moins réjouissantes, du quotidien. Avec son dernier ouvrage Les parfums de la Nature publié en juin 2024 aux éditions Quæ, Roland Salesse invite à mieux découvrir ce sens si particulier qu’est l’odorat. Ce spécialiste de neurologie et de biologie moléculaire a été directeur du laboratoire de Neurobiologie de l’olfaction au centre INRAE de Jouy-en-Josas. Il propose à tout le monde de se lancer dans une promenade olfactive par ses livres, ses conférences et les ateliers qu’il propose avec l’association Nez en Herbe, qui œuvre à l’éveil olfactif des enfants. GoodPlanet Mag’ a interviewé Roland Salesse pour sa rubrique À la rencontre du Vivant .

Ce que dit la science de la place des odeurs dans le Vivant

Pourquoi consacrez-vous un livre aux parfums de la Nature ? Quel message voulez-vous faire passer ?

Roland Salesse , auteur des Parfums de la Nature
Roland Salesse , auteur des Parfums de la Nature Photo DR

Le monde olfactif mérite d’être mieux connu et compris. Les produits odorants sont issus essentiellement du monde du vivant et un petit peu du monde minéral. Les odeurs sont produites par les bactéries, le plancton ou encore les champignons, les plantes, les animaux….

Les odeurs répondent à des besoins du vivant, que l’humain soit là ou pas pour sentir les parfums. Mais l’humain peut non seulement les apprécier, ou non, mais aussi en comprendre la fonction et l’utilité. Car le monde olfactif a à nous apprendre sur l’évolution et le vivant. En se promenant dans la nature, nous ne faisons qu’explorer les différentes dimensions du monde olfactif.

Quelles sont les dimensions du monde olfactif ?

Elles sont au nombre de 3 : une horizontale, une verticale et une temporelle. Le monde olfactif actuel est le résultat de 3,5 milliards d’années d’évolution.

La première longitudinale va du bord de mer jusqu’au sommet des montagnes. Elle nous amène à changer de cadre olfactif car les biotopes, et donc les émetteurs de molécules olfactives, changent. Ainsi, en mer, le plancton est le principal émetteur avec des odeurs à base de sulfures de méthyle. Au niveau de l’estran, les odeurs de plage et les odeurs dites « iodées » dominent. Bien que l’iode n’ait rien à voir avec les fragrances associées au bord de mer. Au fur et à mesure de la progression dans les terres, les odeurs de terre puis celles des plantes dominent notamment avec la présence des terpènes et de leurs dérivés. Ce sont des molécules produites principalement par les végétaux. Ces dernières sont d’ailleurs très prisées dans la parfumerie.

« Le monde olfactif actuel est le résultat de 3,5 milliards d’années d’évolution »

Il y a aussi une dimension verticale qu’on tend à oublier car notre nez se situé à 1,5 mètres du sol. Or, sous terre, se trouvent beaucoup de produits odorants. Ils permettent la communication chimique entre les micro-organismes, les champignons, les plantes et les animaux. Les produits odorants peuvent monter jusqu’à la stratosphère puisque la couche d’ozone est en partie composée de ce gaz dont l’odeur est très caractéristique.

La troisième dimension est temporelle, car, le monde des odeurs évolue en effet avec le temps, à des échelles très courtes comme très longues. Le cycle jour/nuit et celui des saisons influencent les odeurs émises par le vivant. Les plantes émettent par exemple plus d’odeurs à certaines heures de la journée. Le temps très long est celui de l’évolution qui a façonné notre monde actuel.

Le sujet des odeurs s’avère complexe tant d’un point de vue chimique que biologique, quelles sont leurs grandes fonctions pour le vivant ?

Les odeurs sont avant tout une question de survie pour le vivant, tant pour les individus que pour les espèces. Les odorants servent aux individus à trouver à manger, à se protéger, à alerter d’un danger, à marquer un territoire, à choisir des partenaires sociaux ou sexuels. Depuis l’apparition de la reproduction sexuée, les odorants jouent souvent un rôle clef dans la rencontre entre les partenaires. Ainsi, le rôle des odeurs dans la sélection du partenaire sexuel pour la reproduction rejoint l’impératif de survie de l’espèce. C’est évident pour les animaux, tandis que pour les plantes, le phénomène s’avère moins direct puisqu’il s’opère par l’intermédiaire des insectes. Il y a eu une coévolution fantastique entre les plantes à fleur et les insectes, les premières attirent les seconds afin qu’ils transportent et répartissent le pollen vers le pistil des fleurs voisines.

Vous écrivez que nous, les êtres humains, pouvons sentir plus de mille milliards de nuances d’odeurs. Pourtant, par rapport à d’autres espèces, diriez-vous que l’odorat tient une place limitée dans les perceptions humaines ?

De nos jours, on tend à considérer que l’odorat est un sens négligé. Ce n’est pas tout à fait vrai si on regarde à une échelle de temps plus longue. Depuis la découverte des récepteurs olfactifs dans les années 1990, il y a en parallèle un mouvement de fond qui tend à tout odoriser dans la société.

« Il reste un formidable répertoire olfactif à découvrir »

Il est effectivement vraisemblable qu’on puisse sentir mille milliards d’odeurs grâce aux combinatoires permises par nos récepteurs olfactifs. On peut donc potentiellement tout sentir. Qu’on le veuille ou non, nous nous retrouvons toujours confrontés à des odeurs environnementales, qu’elles soient émises par nos congénères, par les voitures qui passent, par les arbres, les fleurs ou bien les égouts… les exemples peuvent se décliner à l’infini. Or, nous sommes loin d’avoir tout senti. Par exemple, la molécule de synthèse calone a été mise au point dans les années 1990, elle a donné ensuite tous ces parfums dits « marins ». La calone est pourtant une molécule de synthèse récente qui n’existe pas dans la nature. Nous parvenons quand même à la sentir et même à l’associer à un milieu naturel. C’est pourquoi elle a rencontré un certain succès. Je pense qu’il reste un formidable répertoire olfactif à découvrir.

Vous insistez dans le livre sur les liens entre la préservation du climat ainsi que de la biodiversité et le patrimoine olfactif (au sens très large du terme), pouvez-vous expliquer en quoi le monde des odeurs est-il lié à l’environnement ?

Tous les êtres vivants émettent des COV (composés organiques volatiles). Ces COV sont à l’origine des odeurs qui ont des fonctions précises dans la nature.

En quoi comprendre ce que sont les composés organiques volatiles (COV) est important pour bien comprendre la chimie du vivant ?

Il faut savoir que chaque année les plantes envoient dans l’atmosphère plus d’un milliard de tonnes de terpènes et les algues autant. Ces composés, l’origine d’une grande partie des produits odorants, sont issus principalement de la photosynthèse. Les terpènes et l’isoprène sont des sous-produits de la photosynthèse dont l’évolution va s’emparer. Cela aboutit alors aux produits sémio chimiques, c’est-à-dire des produits chimiques ayant un sens pour une espèce donnée.

« Chaque environnement possède sa propre signature olfactive »

En fonction du biotope, chaque espèce va développer à sa façon. Par exemple, au niveau de la rhizosphère, qui correspond au niveau des racines, on trouve les bactéries plutôt au niveau des racines que plus loin dans le sol. Les COV émises par les végétaux attirent les bactéries au niveau des racines ainsi que les champignons. Le résultat est un bénéfice commun pour les 3 ordres du vivant que sont les bactéries, les champignons et les végétaux.

Comment l’évolution a-t-elle influé sur l’odorat ? ou l’inverse ?

L’équipement sensoriel de tout le vivant a connu une évolution époustouflante. On peut l’observer rien qu’en regardant les vertébrés. Les poissons ont une centaine de gènes pour l’odorat. Apparus après eux dans l’évolution, les amphibiens en ont environ 500 pour répondre à la grande variété des COV présents dans l’air, adaptation toujours. Et on arrive à environ 1000 chez les mammifères. Il y a eu sélection, adaptation et puis multiplication du génome olfactif. Ce dernier semble particulièrement doué pour s’adapter et évoluer.

« L’équipement sensoriel de tout le vivant a connu une évolution époustouflante »

Et pour en revenir au patrimoine olfactif ?

Chaque environnement possède sa propre signature olfactive.  Parce que le biotope et les espèces vivantes sont différentes, on ne sent pas la même chose dans un champs, dans une forêt ou au bord d’un fleuve. Il en va de même pour les milieux humains où se mêlent l’odeur des gens, des parfums, de l’essence…

Est-ce que cette notion de patrimoine olfactif est bien prise en compte ?

Clairement non sauf pour certains hits des odeurs comme la lavande ou la vanille. On ne pense pas encore le monde des odeurs comme on envisage de préserver des paysages emblématiques. La préoccupation dans ce domaine augmente, mais reste minoritaire.

[À lire aussi La culture de la lavande, une opportunité pour les agriculteurs indiens confrontés au réchauffement climatique]

En plusieurs milliers d’années d’histoire des civilisations humaines, nous allons vers un contrôle plus strict des odeurs émises et perçues. Or, depuis quelques siècles, l’espèce humain tend aussi à renforcer sa mainmise et son contrôle sur l’environnement planétaire, refusant la libre-évolution de nombreux milieux. Est-il possible de dresser un parallèle entre la manière dont l’humanité a traité la question des odeurs et celle dont elle traite l’environnement actuellement ? Qu’en déduire ?

L’humain se pense toujours en maître et seigneur de la nature malgré le développement d’un courant écologiste appelant à respecter l’environnement et la nature. On oublie encore trop souvent que l’Homme fait partie de la nature même s’il a artificialisé son cadre de vie.

On ne pense pas encore le monde des odeurs comme on envisage de préserver des paysages emblématiques.

On se retrouve aussi confrontés à des paradoxes qui mettent en place des cercles vicieux ou vertueux. On commence par essayer de maitriser notre environnement puis on ajoute des éléments d’agréments ou des caractéristiques qui nous ont échappé. Cette démarche humaine est incroyable. On la retrouve partout pour l’environnement de façon générale, développer l’agriculture intensive puis redécouvrir l’agroécologie par exemple, ou pour le monde des odeurs.

On désodorise puis on veut réodoriser en vendant des déodorants parfumés, des parfums et d’autres senteurs. D’une certaine manière on réartificialise. Par exemple, la sélection des graines potagères pour les choux a conduit à l’augmentation des rendements. Mais, dans le même temps, ils ont perdu en amertume. Par conséquent, ils sont plus attaqués par les parasites que les variétés anciennes. Cela entraîne l’usage de pesticides qui n’est pas bénéfique pour l’environnent tout en émettant une certaine odeur.

Utiliser son nez pour faire l’expérience de la nature

Que vous évoquent les odeurs de la nature ?

Elles sont souvent liées à des souvenirs d’enfance et de vacances. Je suis né et j’ai grandi en région parisienne, à une époque durant laquelle on se chauffait encore grâce au poêle à charbon. En hiver, ça sentait le soufre. Quand on était en vacances, le répertoire odorant changeait totalement. C’était l’odeur du bois en automne et du foin pendant les travaux agricoles de l’été. Il y a une infinité d’odeurs selon le lieu et le temps. Il y a une odeur caractéristique des moissons du blé, celle de la paille, de la tête de la céréale. De plus, une fois arrivés au dernier carré de blé à moissonner, tous les animaux qui y avaient trouvé refuge s’en échappaient en courant, du lapin au faisan.

Justement, pourquoi les sensations olfactives sont-elles autant associées à la mémoire et aux émotions ?

Cela s’explique directement par le fonctionnement de notre système olfactif. Les capteurs olfactifs situés dans notre nez et dans la bouche envoient directement des messages nerveux au système limbique du cerceau. L’odorat, à la différence des autres sens, est le seul à stimuler le système limbique siège des émotions et de la mémoire. La madeleine de Proust décrit assez justement ce qui se passe puisque l’odeur ou le goût active cette partie du cerveau ; quelques millisecondes avant la conscience, le souvenir suscite en nous un trouble.

L’odorat, à la différence des autres sens, est le seul à stimuler le système limbique siège des émotions et de la mémoire.

En l’absence d’éducation dans ce domaine dans notre culture, cela nous prend un peu par surprise. Pourtant, une émotion visuelle ou auditive similaire nous étonne moins car nous y sommes habitués.

 Il existe des liens entre la neurobiologie et la psychologie des sens. Les circuits neuronaux de l’esthétisme sont partagés avec ceux des sens. Pour un neurobiologiste, le Beau n’a pas de définition, cependant il correspond à un réseau neuronal activé quand la personne est en face de ce qu’elle juge beau. Ensuite, cette émotion peut devenir un moteur d’action. On peut avoir envie de préserver une œuvre d’art, un paysage naturel ou même un paysage olfactif.

Si les odeurs jouent sur nos émotions, comment s’assurer qu’on ne puisse pas être manipulé par le biais de ces dernières ?

Les odeurs ont un effet marginal mais bien réel sur nos comportements. Il n’y a aucun encadrement sur l’usage des odeurs. De plus, on assiste à une homogénéisation des odeurs pour créer des atmosphères bien identifiées dans les chaines de magasins, d’hôtels ou de banques.

Chaque environnement possède sa propre signature olfactive. 

Des études ont été menées sur le sujet. Les odeurs n’ont pas des conséquences directes linéaires sur le comportement, mais plutôt des effets qu’on peut mesurer par la statistique. Au Canada, dans un magasin on a mis une odeur vanillée sur un rayon vêtements, leurs ventes ont augmenté de 15 %. Toutefois, des contre-exemples existent, diffuser une odeur de café dans le rayon café d’un supermarché n’augmente pas les ventes de paquets de café, les gens ont tendance à se rendre au café d’à côté pour en commander un.

Avez-vous un souvenir marquant d’un moment où une odeur de la nature vous a ému ?

Tous les ans, j’adore la floraison des tilleuls qui offre une odeur suave et enveloppante sans être forte. Cette odeur se révèle pour moi apaisante.

Sinon, je me souviens de mon premier jus d’oranges pressées après un rhume qui m’avait bouché le nez. En pressant l’orange, c’était le monde qui s’ouvrait de nouveau à moi avec l’odeur du fruit, de sa pulpe et de son écorce. C’est incomparable.

Quel conseil donneriez-vous à celles et ceux qui désirent partir à la découverte des senteurs de la nature ?

Je leur suggère de partir le nez au vent et d’apprendre à s’arrêter. Il le faut pour percevoir et identifier les messages olfactifs, car ils sont souvent très discrets. Ils peuvent provenir d’un petit bouquet de fleurs en ville par exemple, ou de jasmin ou de chèvrefeuille, c’est pourquoi il convient de prendre le temps de chercher l’origine de ce qu’on sent. S’ouvrir aux odeurs nécessite un petit apprentissage et ne pas voir la promenade seulement comme une activité dynamique.

Comment éduquer le nez ?

Avec l’association Nez en herbe que j’ai co-créée il y a 7 ans, nous travaillons à l’éveil du nez chez les tout-petits. Certes, l’école maternelle éveille désormais aux 5 sens pour rappeler qu’on a un nez et qu’on peut s’en servir. L’éducation olfactive demeure néanmoins limitée, à l’exception de quelques milieux. Cependant, initier les enfants, dès leur plus âge peut se faire durant les 1000 premiers jours durant lesquels ont dit que l’enfant se développe particulièrement. Les enfants sont prêts à toutes les expériences, il suffit d’un essai pour qu’ils comprennent. En outre, l’odorat complète notre paysage sensoriel.

« L’odorat complète notre paysage sensoriel. « 

Avec Nez en Herbe, on privilégie l’éveil à l’éducation. Car on cherche simplement à ce qu’ils utilisent cet organe un peu oublié qu’est le nez, plutôt que d’en faire des parfumeurs ou des experts de la reconnaissance d’odeurs ; on veut leur donner l’habitude de sentir. Au début, ils veulent explorer avec la bouche, goûter, puis une fois qu’on a pris le temps, ils apprennent et veulent sentir. Ils cherchent alors à savoir d’où vient l’odeur. On voit très vite que les facultés sensorielles permises par l’odorat les intéressent. Quand ils rentrent à la maison, ils montrent aux parents et veulent tout sentir.

Avez-vous un dernier mot ?

En écrivant ce livre, j’ai appris et réalisé plein de choses. Je suis à la base spécialiste du goût et de l’odorat plus que de l’émission des odeurs. Mais, je crois que le vivant a une unité qu’on devrait réaliser. Elle passe par toutes les interactions que les êtres vivants ont entre eux et avec leurs milieux, elles passent par des signaux chimiques, dont les odeurs.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Les Parfums de la Nature par Roland Salesse, aux éditions Quæ 

Site Internet de l’association Nez en herbe

Le site Odorat-info

LES PARFUMS DE LA NATURE Roland Salesse

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