En Irak, sauver les forêts de l’emblématique montagne kurde

arbres vue aérienne

Une vue aérienne montre des arbres plantés dans le parc Hawary Shar, à Souleimaniyeh, de la région autonome du Kurdistan, dans le nord de l'Irak, le 10 juillet 2024 © AFP Shwan NAWZAD

Souleimaniyeh (Irak) (AFP) – Dans une pépinière de Souleimaniyeh, des centaines de jeunes pins, eucalyptus, oliviers et grenadiers poussent doucement, protégés du soleil estival par des auvents. Au Kurdistan d’Irak, les efforts se multiplient pour contrer les ravages de la déforestation.

Depuis plus d’un demi-siècle, cette région autonome du nord de l’Irak, prisée pour ses montagnes et paysages bucoliques, a perdu la moitié de ses surfaces boisées. Une tragédie, quand on sait que le Kurdistan abrite plus de 90% des forêts du pays, frappé de plein fouet par le réchauffement climatique et la désertification.

En cause: l’abattage illégal des arbres, les feux de forêts qui s’intensifient avec la sécheresse estivale et les bombardements et opérations militaires à la frontière nord, essentiellement imputés à la Turquie voisine.

A la pépinière de Sarchanar, la plus ancienne d’Irak, des travailleuses s’affairent à décharger d’une remorque de jeunes pousses qu’elles alignent dans des bacs.

Ici, une quarantaine de variétés sont développées pour être plantées dans des forêts ou cédées à des agriculteurs: pins, cyprès, chênes – l’arbre emblématique de la forêt kurde – mais aussi eucalyptus, oliviers, genévriers.

« Le changement climatique a un impact sur le développement des plants », reconnaît l’ingénieur agricole Rawa Abdelqader. « Alors on privilégie les arbres qui peuvent supporter des températures élevées et consomment moins d’eau. »

Avec le soutien du Programme alimentaire mondial (PAM), des filets micro-mailles ont été installés pour protéger les arbres du soleil, accélérant la croissance des plantes et réduisant l’évaporation. D’autres serres ont été dotées d’arroseurs suspendus, plus économes en eau.

« Sécheresse » et « négligence humaine »

L’engagement onusien a permis de propulser la production annuelle de Sarchanar de 250.000 pousses à 1,5 million en 2024.

Durant cinq ans, le PAM compte soutenir autorités et acteurs locaux pour planter 38 millions d’arbres sur plus de 61.000 hectares au Kurdistan, et oeuvrer à la préservation de 65.000 hectares boisés supplémentaires.

Car entre 1950 et 2015, plus de 600.000 hectares de forêts ont été éradiqués, selon deux recensements officiels. « En 70 ans, pratiquement 50% des forêts au Kurdistan ont été perdues », résume Nyaz Ibrahim, chargée de programmes auprès du PAM.

En cause: « pénuries d’eau, températures en hausse, précipitations irrégulières et en recul » mais aussi « incendies d’origine humaine », énumère-t-elle.

Ces 14 dernières années, quelque 290.000 hectares ont été touchés par des incendies, confirme Halkawt Ismaïl, directeur de l’office des forêts au ministère de l’Agriculture du Kurdistan.

Ces feux « se déclarent principalement pendant la sécheresse estivale (…) et surtout à cause de la négligence des citoyens », dit-il.

Il rappelle aussi l’abattage intempestif des années 1990 par les habitants pour se chauffer, en pleine crise économique.

Combats et opérations militaires

Ailleurs au Kurdistan, les forêts sont les victimes collatérales des affrontements entre l’armée turque et les combattants kurdes turcs du PKK.

Cet été, médias kurdes et ONG ont accusé des bombardements d’Ankara d’avoir déclenché plusieurs feux de forêts. Fin juin, le ministère de la Défense turc accusait à son tour sur X le Parti des Travailleurs du Kurdistan de provoquer des incendies pour brouiller la visibilité et cacher ses positions.

En installant « plus de 40 avant-postes et bases » au Kurdistan irakien, les militaires turcs ont « défriché des dizaines de kilomètres de routes à travers des zones boisées, et abattu des forêts autour des bases pour dégager leur vue », confirme à l’AFP Wim Zwijnenburg, de l’ONG PAX.

« Cette pratique s’est intensifiée depuis 2020 », souligne-t-il.

Une baisse de la supervision des forêts –notamment en raison du conflit ayant déplacé des villages entiers– mais aussi « des températures en hausse et la sécheresse » constituent « un terreau fertile pour les feux, provoqués par des causes naturelles, ou des bombardements et combats Turquie-PKK », explique-t-il.

« Avec une gestion forestière limitée ou inexistante, ces incendies peuvent toucher des zones plus vastes. »

« Quand les frappes ont lieu, de nombreuses zones prennent feu », assure à l’AFP Kamran Othman, membre de l’ONG Community Peacemakers Teams (CPT). « La population ne peut pas aller éteindre les incendies, par peur d’être bombardée », déplore-t-il.

« Arbres indigènes »

Pour reboiser, les autorités oeuvrent à créer des forêts artificielles et augmenter la production des pépinières, indique M. Ismaïl, regrettant toutefois des ressources humaines et financières insuffisantes.

La société civile est aussi mobilisée. Comme à Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan enserrée de collines, où des militants dénoncent bulldozers et pelleteuses qui rongent depuis plusieurs mois un versant du mont Goizha, pour un nouveau projet immobilier.

Dans la périphérie de la métropole, complexes immobiliers de luxe et rutilantes tours de verre ont déjà poussé à flanc de colline.

A Erbil, capitale régionale, une campagne lancée par des organisations locales compte planter un million de chênes. Depuis 2021, 300.000 arbres ont été plantés, indique un responsable du projet, Gashbin Idrees Ali.

« Le changement climatique a lieu, on ne peut pas l’arrêter, mais on doit s’adapter », résume-t-il, justifiant le choix du chêne.

« Cet arbre consomme moins d’eau, il peut séquestrer une quantité importante de carbone dans les sols », explique-t-il. « On surveille leur croissance pendant quatre ou cinq ans, ils survivront ensuite des centaines d’années ».

© AFP

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