Jaisalmer (Inde) (AFP) – L’implantation dans le désert de Thar, dans le nord-ouest de l’Inde, d’éoliennes destinées à fournir une énergie verte essentielle au pays le plus peuplé du monde, a bouleversé le mode de vie ancestral des éleveurs.
L’Inde, troisième pays émetteur de gaz à effet de serre au monde, s’efforce d’augmenter sa production d’énergie d’origine non fossile, alors que le pays est ravagé par des vagues de chaleur, des inondations et des sécheresses, qui, selon les climatologues, sont exacerbées par le réchauffement climatique.
Mais les habitants des zones utilisées pour la production d’énergie renouvelable estiment que leurs besoins ont été sacrifiés au nom de l’intérêt général.
Les éoliennes « ne nous servent à rien », affirme Nena Ram, éleveur de bétail de 65 ans, décrivant comment ces immenses turbines affectent un système agricole séculaire. Des agriculteurs comme lui produisent infiniment moins de gaz à effet de serre que les géants de l’industrie indienne, gros consommateurs de charbon.
Dans l’ouest de l’Etat du Rajasthan, la majeure partie du désert de Thar, l’implantation d’éoliennes a de fait réduit la superficie des pâturages consacrés à l’élevage des chameaux, des bovins et des chèvres qui sont à la base de l’économie, entraînant une chute de la production de lait.
« Les éleveurs paient un lourd tribut », pointe Jitendra Kumar, employé dans une clinique locale. « Leurs terres ont été confisquées. Les éoliennes occupent les terres destinées au pâturage ».
En outre, des sources ont été endommagées par les engins de chantier, ce qui a eu pour conséquence de diminuer la surface des prairies et d’assécher la terre, selon les éleveurs.
« Lourd tribut »
Le Rajasthan est capable de fournir cinq gigawatts d’énergie éolienne au réseau, selon les chiffres du gouvernement. Les déserts autour du district de Jaisalmer, au Rajasthan, comptent des centaines de turbines, soit l’un des plus grands parcs éoliens sur terre du pays.
Nombre d’entre eux appartiennent à des conglomérats indiens, parmi lesquels Suzlon Energy et Adani, qui affirment soutenir la production d’énergie renouvelable tout en aidant les communautés affectées par ces infrastructures.
Suzlon déclare oeuvrer au « développement durable des villages situés autour des parcs éoliens », notamment via des projets dans le secteur médical, l’éducation et l’élevage. De son côté, Adani se dit « profondément engagé » auprès de la communauté, en apportant son soutien à des écoles et des projets d’assainissement de l’eau.
Des lignes électriques sillonnent le désert autour de Jaisalmer, un district qui compte environ 670.000 habitants, selon le dernier recensement.
Mais les coupures de courant sont fréquentes, parfois sur plusieurs jours d’affilée, donnant aux habitants le sentiment que l’électricité est produite pour répondre aux centres industriels et aux mégapoles.
« Nous vivons dans l’obscurité », accuse Sumer Singh Bhati, militant écologiste local. « Nous avons de l’électricité à peine deux heures par jour… Nous avons désespérément besoin de lumière ».
« Besoin de lumière »
Les coupures de courant sont particulièrement éprouvantes l’été, quand les températures dépassent les 50°C. Selon les services météorologiques indiens, le pays a enregistré cette année la plus longue vague de chaleur de son histoire.
Et les températures vont être de plus en plus étouffantes, estiment des experts.
L’Inde a pour objectif de porter sa capacité de production d’électricité à partir de combustibles non fossiles à 500 GW d’ici à 2030.
Le pays s’est engagé à remplir l’objectif d’une économie à zéro émission nette d’ici 2070. Pour cela, des centrales d’énergie renouvelable sont construites à un rythme effréné, ce qui a permis de passer de 76 GW à 203 GW au cours de la dernière décennie, selon les chiffres du gouvernement. Environ un quart de cette production est d’origine éolienne.
Mais pour atteindre l’objectif de 500 GW d’énergies renouvelables, il faut passer à la vitesse supérieure.
Un objectif éloigné des préoccupations des riverains, qui ne voient dans ces imposantes turbines qu’une « invasion d’engins blancs ».
Pour les défenseurs de l’environnement, le désert n’est pas une zone morte mais, au contraire, très riche sur le plan de la biodiversité: des espèces animales telles que la grande outarde indienne, un oiseau de grande taille, y sont en voie d’extinction.
Pour Parth Jagani, militant écologiste à Jaisalmer, leur nombre a chuté depuis 25 ans et il n’en reste plus que 150 au niveau national.
« Une fois les éoliennes et les câbles à haute tension installés, leur mortalité a augmenté », dit-il, les oiseaux se retrouvant pris au piège dans les lignes électriques.
En 2021, la Cour suprême a ordonné que les lignes à haute tension soient enfouies dans les principales zones de reproduction des oiseaux. Mais le gouvernement a fait annuler cette décision, arguant que cela entraverait les objectifs en matière d’énergies renouvelables.
« Si nos oiseaux et nos animaux nous sont enlevés, que ferons-nous? se demande M. Ram, « comment allons-nous survivre ? »
© AFP
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