Kathy Willis, professeure à Oxford: «pourquoi n’aurions-nous pas tous des plantes sur notre bureau?»

Kathy Willis

Kathy Willis est auteure et professeure de biodiversité à l'Université d'Oxford. ©John-Cairns

GoodPlanet Mag’ a rencontré Kathy Willis, professeure spécialiste de biodiversité à l’université d’Oxford, pour la parution de son nouveau livre, Naturel– Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien, en septembre 2024 en France. Elle nous explique pourquoi nous devrions faire entrer la nature dans notre quotidien.

Les bienfaits divers et démontrés des plantes pour notre santé

Quels bienfaits concrets les plantes peuvent-elles apporter à nos vies quotidiennes ?

Au début, j’essayais seulement de savoir s’il y avait des preuves scientifiques démontrant que les personnes qui vivent plus près des espaces verts sont en meilleure santé, physiquement et mentalement. En commençant à chercher, j’ai constaté que les bienfaits de l’interaction avec des plantes dans les espaces urbains sont énormes. 

« Les bienfaits de l’interaction avec des plantes dans les espaces urbains sont énormes »

Plus exactement, j’étudie le mécanisme d’action qui découle de ce contact. Il peut nous calmer, modifier nos niveaux d’hormones, de stress, notre rythme cardiaque, notre pression artérielle, mais aussi nous rendre plus résistants. Il augmente le nombre de cellules tueuses, qui s’attaquent aux cancers et aux virus, présentes naturellement dans notre sang.

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Les bienfaits des interactions avec la nature pour notre santé sont abordés dans la littérature scientifique mais demeurent encore très peu connus du public.

Pourtant, dans Naturel – Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien, vous expliquez que malgré ces preuves concluantes ces vertus ont été et sont encore souvent dédaignées par le monde scientifique…

Je pense que l’une des raisons est que nous avons une perception très différente de la biodiversité par rapport à d’autres ressources dont nous dépendons. Ainsi, lorsque l’on évoque la nature, on a tendance à penser à de jolies fleurs, à des poneys, à des papillons. Nous n’envisageons pas la nature comme nous fournissant des services. 

« Nous n’envisageons pas la nature comme nous fournissant des services »

C’est pourquoi dans cette approche, si la biodiversité nous est agréable, on peut toujours vivre en ville et aller la visiter ailleurs. Nous ne sommes pas vraiment sensibilisés sur ce qui se passe lorsque nous sentons ou touchons les plantes. C’est en fait une question conceptuelle sur notre place en tant qu’humains. Nous voulons préserver la nature car nous la trouvons agréable, mais nous ne considérons pas en faire partie.

Comment la nature met nos sens en éveil

Pourquoi est-il important de diversifier les espèces de plantes autour de nous ?

Nous avons besoin de plus de couleurs, plus de formes, plus de tailles, car plus un environnement sera riche en biodiversité, plus nos sens seront sollicités. De plus, les bactéries que l’on obtient avec cette diversité sont également très bénéfiques pour notre peau et nos intestins. C’est exactement la même chose que prendre des probiotiques. On nous dit toujours qu’on doit améliorer notre flore intestinale. C’est possible rien qu’en interagissant avec un environnement biodiversifié, qui renforcera notre système immunitaire.

« Plus un environnement sera riche en biodiversité, plus nos sens seront sollicités »

Enfin, je veux rassurer tout le monde. Je suis botaniste, donc j’adore identifier les plantes par leurs noms latins… mais il n’est pas nécessaire de s’intéresser aux plantes à ce point !

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Vous expliquez que l’interaction avec les plantes se fait au travers nos cinq sens. Si observer la nature a un effet positif relativement connu, vous définissez l’odorat et l’ouïe comme les deux sens les plus bénéfiques à notre santé. Pourquoi ?

L’explication remonte aux premiers philosophes, comme Platon, qui ont établi une hiérarchie de nos sens. La vue a toujours été placée en première position. L’odorat et l’ouïe étaient considérés comme beaucoup moins importants pour les êtres humains.

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Cela explique que nous pensions toujours à la vue. Pourtant, j’ai analysé les réactions de notre corps lorsque nous entendons et sentons, en termes d’apaisement physiologique et psychologique, de changements dans nos hormones, dans notre activité cérébrale, dans notre sang et notre plasma sanguin. Je dirais que les bienfaits des composés qui passent de l’odeur de la plante dans le sang surpassent ceux que nous retirons de la vue de la nature.

Réinviter la nature dans nos villes

Dans votre chapitre dédié aux « sens cachés » vous expliquez les bienfaits du microbiote environnemental sur notre santé. Pourtant, au début vous n’y croyiez pas : qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

En effet, à l’origine j’étais très cynique sur ce sujet. Puis j’ai entendu parler d’une étude démontrant que des enfants qui jouent dans la terre augmentent considérablement leur microbiote intestinal.

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Ces enfants étaient divisés en trois groupes. L’un jouait dans un bac à sable dont le sol provenait de la forêt, le deuxième, sur un tapis et le troisième sur du béton. Les scientifiques ont étudié le sang et les bactéries de la peau et de l’intestin des enfants avant et après une période de 28 jours. Ils ont constaté que ceux qui jouaient sur le sol issu de la forêt avaient développé une flore très diversifiée, tant au niveau de l’intestin que de la peau. De plus, leur sang contenait un taux élevé de « cellules tueuses », qui réduisent l’inflammation.

« Pourquoi n’aurions-nous pas tous des plantes sur notre bureau? »

Ils ont obtenu le même résultat pour des adultes, en comparant deux groupes : l’un travaillant avec un mur végétal dans leur bureau, l’autre sans. Le mur végétal était équipé d’une pompe qui aspire l’air de la pièce, puis le renvoie à l’extérieur, ce qui a deux effets. Premièrement, il purifie l’air : en l’espace de cinq ou dix minutes, il réduit de 80 % le nombre de produits chimiques et de particules dans l’air du bureau. Deuxièmement, il ensemence l’air avec ses propres bactéries, son microbiote environnemental. Ainsi, après 28 jours, les adultes travaillant avec un mur végétal avaient absorbé ces bactéries par la bouche, par la peau, enrichissant considérablement leur microbiote intestinal. Alors pourquoi n’aurions-nous pas tous des plantes sur notre bureau?

Comment rendre la nature accessible à tous en ville ?

Lorsqu’on s’intéresse à l’accès à la nature en ville, on s’aperçoit que ce sont les personnes les moins aisées qui tirent le plus de bienfaits de disposer davantage d’un accès à la nature. Cela s’explique, je pense, parce que les régions les plus défavorisées sur le plan socio-économique sont également celles qui présentent le plus grand nombre de maladies non transmissibles et les problèmes de santé les plus graves, physiques ou mentaux. De fait, lorsque ces personnes ont accès à la nature, on constate qu’elles en tirent de plus grands avantages. Je pense que l’accès à la nature est une politique sociale autant qu’une politique de santé. Mais maintenant, la vraie question est de savoir comment l’implémenter.

« Je pense que l’accès à la nature est une politique sociale autant qu’une politique de santé »

Il n’est pas nécessaire d’avoir de grands espaces verts : on peut installer des murs végétaux et des arbres dans les rues. Je connais un quartier qui a investi dans des jardinières pour tous les appartements et maisons. Ainsi, chacun peut voir la nature mais aussi sentir l’odeur des plantes choisies, qui dégagent un parfum à l’effet apaisant. Cela cumule les avantages puisque ce dernier augmente nos cellules tueuses naturelles.

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Selon vous, comment les politiques d’urbanisation devraient-elles s’adapter à ces enjeux naturels ?

Nous devons considérer la nature comme une infrastructure. Lorsque nous construisons une ville, nous pensons aux routes, à l’électricité, à l’eau, aux hôpitaux, aux écoles. Nous devons également penser à la nature. Où placer les arbres dans les aires de jeux ? Des plantes dans les bureaux ? Où mettre des jardinières et des jardins pour nos maisons ?

« Lorsque nous construisons une ville […] nous devons également penser à la nature »

Tant que nous ne considérerons pas la nature comme un élément absolument essentiel de nos infrastructures, nous serons toujours confrontés au même problème : l’urbanisation réduit les espaces naturels, ce qui ne cesse d’aggraver les problèmes de santé liés à la vie urbaine. Il existe une corrélation très étroite entre l’urbanisation, la diminution de la place dédiée à la nature et l’augmentation de maladies non transmissibles telles que les allergies, les accidents vasculaires cérébraux, l’obésité et les cancers.

Pour se sentir mieux, être au contact de la nature au quotidien

Quelles preuves avons-nous de l’effet préventif de la nature pour notre santé mentale ?

Des études se sont penchées sur ce sujet en observant de larges parts de la population, comme au Pays de Galles où 2 millions de personnes ont été suivies sur une période de 10 ans. Les chercheurs avaient renseigné les antécédents de chaque personne en matière de santé mentale ainsi que la distance la séparant d’un espace vert. Pour chaque tranche de 350 mètres de rapprochement avec la nature, il y a eu une amélioration directe des résultats en matière de santé mentale sur la période.

Pour moi, il ne s’agit pas de guérir ces maladies, mais d’éviter qu’elles ne se déclarent. Cela concerne donc les personnes déjà malades, mais aussi chacun d’entre nous. C’est pourquoi nous devrions tous passer du temps à interagir avec la nature.

La nature pourrait-elle même améliorer le traitement des maladies mentales ?

Une étude intéressante a été menée à Copenhague, à l’université, auprès d’un groupe de personnes en arrêt de travail pendant un an pour cause de maladie mentale. La moitié de ce groupe est allée travailler dans le jardin de l’université deux fois par semaine. L’autre a suivi deux séances hebdomadaires de thérapie cognitivo-comportementale, reconnue très efficace.

Au bout de 10 semaines, les deux groupes ont retrouvé leur travail. Mais 18 mois plus tard, les personnes qui avaient fréquenté le jardin deux fois par semaine étaient toujours employées dans 75 % des cas, contre environ 50 % pour la thérapie.

« Nous ne devrions plus douter de l’existence de preuves que la nature peut nous garder en bonne santé. Nous savons que ces données existent »

Ces données disent que la prescription de deux heures par semaine dans la nature est plus efficace qu’une onéreuse thérapie cognitivo-comportementale. Nous avons besoin de beaucoup plus d’études de ce type pour pouvoir demander aux médecins de « prescrire la nature » et savoir exactement ce qu’elle va guérir. Il reste aussi à évaluer quelle est son efficacité par rapport à un médicament sur ordonnance. Mais aujourd’hui, nous ne devrions plus douter de l’existence de preuves que la nature peut nous garder en bonne santé. Nous savons que ces données existent.  Par exemple, nous savons déjà que 20 minutes font la différence. Donc, si vous n’avez que 20 minutes, allez vous promener dans le parc plutôt que dans la rue.

Malheureusement, nous n’avons pas tous l’opportunité d’accéder à des espaces naturels régulièrement. Quels petits gestes individuels peuvent introduire les plantes et leurs bienfaits dans nos quotidiens ? Quel devrait être le premier ?

Acheter des plantes d’intérieur ! Nous pouvons faire entrer la nature chez nous, et c’est tout aussi efficace. Le simple fait de regarder la nature sur un écran d’ordinateur par rapport à une image urbaine entraîne un apaisement psychologique au bout de 90 secondes environ.

« Nous pouvons faire entrer la nature chez nous »

Vous pouvez aussi, comme moi, utiliser des diffuseurs d’ambiance. Par exemple, j’ai du romarin dans mon bureau car son odeur nous garde plus éveillés. Au contraire, lorsque je veux dormir, je vaporise de la lavande sur mon oreiller.

Effectivement, vous expliquez dans votre livre qu’il existe une attirance humaine universelle pour la nature. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Oui, c’est en quelque sorte notre ADN, mais nous l’avons oublié. Par exemple, j’ai mis des photos dans mon livre d’une maison victorienne, où l’on voit des plantes et impressions florales. A côté, il y a une maison des années 1960, où il n’y avait plus rien de tout cela.

Nous avons complètement perdu le contact avec la nature. À présent, nous devons la réintroduire dans nos villes. Je suis allée à Singapour le mois dernier et c’était extraordinaire : partout où l’on regarde, l’on voit de la végétation. Ce genre de villes sont les villes du futur.

Avez-vous un dernier mot ?

J’ai passé 35 ans en tant que chercheuse et directrice de la recherche et de l’enseignement à l’université. Avec «Naturel – Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien», c’est le premier livre, je suppose, où j’ai moi-même appris au cours du processus. Il s’agit donc autant d’un voyage personnel que d’un voyage scientifique pour essayer de rassembler cette science de manière à ce que les gens commencent à vraiment la comprendre.

«  Je pense que si nous voulons conserver la nature, nous devons absolument expliquer aux gens pourquoi »

Il m’a fallu cinq ans pour écrire ce livre, c’est la première fois que je prends autant de temps, mais cela m’a permis de me passionner pour ce sujet. Je pense que si nous voulons conserver la nature, nous devons absolument expliquer aux gens pourquoi il faut la préserver.

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Audrey Bonn

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Pour aller plus loin:

Naturel – Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien, Kathy Willis (Editions du Seuil)

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