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Marx décroissant : la thèse inattendue du Japonais Kohei Saito

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Kohei Saito, professeur de philosophie à l'Université de Tokyo, dans une à ouest de la métropole de Tokyo, le 9 juillet 2024 © AFP/Archives Philip FONG

Paris (AFP) – Et si Karl Marx, au bout de sa réflexion, avait conclu que la seule issue était de sortir du capitalisme et décroître? C’est la thèse surprenante du philosophe japonais Kohei Saito, dans un livre à succès enfin traduit en français.

« Moins! La décroissance est une philosophie » est le titre choisi par les éditions du Seuil pour cet essai paru en japonais en septembre 2020, traduit en anglais en janvier 2024.

Un succès inattendu dans l’archipel: 500.000 exemplaires, avec sur la couverture le titre en allemand, « Das Kapital im Anthropozän » (« Le Capital dans l’anthropocène »).

Lors de ses séances de dédicace, le chercheur de 37 ans utilise un tampon qui le fait apparaître aux côtés du célèbre philosophe allemand à barbe blanche. Pour détendre l’atmosphère, explique Kohei Saito, venu promouvoir l’ouvrage à Paris, car « la philosophie, le marxisme, ce sont des sujets un peu lourds ».

L’essai est très accessible. Il explique pas à pas les concepts complexes, les événements historiques oubliés ou les auteurs méconnus, et il puise ses exemples dans notre vie quotidienne.

Tout est parti de sa participation aux travaux de l’édition complète des écrits de Marx et Engels (MEGA, Marx-Engels-Gesamtausgabe). Kohei Saito est chargé de centaines de pages de notes de Marx sur les sciences naturelles. Il y découvre un penseur de plus en plus préoccupé, dans les années 1860-1870, par la surexploitation des ressources de la planète.

« Exiger un changement »

L’intuition du Japonais est que « Le Capital », dont le premier tome est publié en 1867, n’a jamais pu être achevé avant la mort de Marx en 1883, parce qu’il nécessitait une réorientation drastique. Friedrich Engels publia les tomes II et III sans prendre ce tournant.

[À lire aussi David Sepkoski : « l’anthropocène nous permet de transformer une histoire humaine, basée sur le capitalisme et l’impérialisme, en récit moralisateur sur les erreurs humaines »]

« Moins! » offre un plaidoyer pour le « communisme décroissant ». Ce système redonnerait à la collectivité la propriété des biens communs, comme l’eau, l’électricité, les transports, etc. Et il supprimerait des activités économiques superflues comme le marketing ou l’échange de produits financiers dérivés, pour empêcher la catastrophe climatique inéluctable avec nos émissions de CO2.

On pense à Marie Kondo, autre Japonaise de la même génération qui a gagné une audience mondiale. Sa philosophie du rangement incite à ne garder que ce qui « procure de la joie ».

Celle de Kohei Saito nous exhorte à travailler moins et à cesser de considérer le prix des choses, au profit de leur véritable valeur, la « valeur d’usage ».

« Je remets en cause le système de production », lance-t-il. « Si vous réduisez le plastique que vous consommez au quotidien, le problème global de cette production de plastique, ou l’utilisation d’énergies fossiles pour commencer, ne change en rien ».

« Il faut exiger un changement de système, si vous culpabilisez par rapport à ça », ajoute-t-il.

« Le capitalisme va stagner »

L’auteur donne comme exemples la militante suédoise Greta Thunberg, la Convention citoyenne pour le climat en France ou les initiatives écologiques de la municipalité de Barcelone.

Il évite un mot qu’on associe systématiquement au marxisme, révolution. « C’est un choix conscient », car au Japon, souligne-t-il, « nous ne jetons pas de pierres sur la police quand nous manifestons, nous ne brûlons pas de voitures ».

Mais c’est bien un tournant radical que prône Kohei Saito, pas celui d’une « croissance verte » ou d’un « écosocialisme » sous des gouvernements de gauche. Au contraire: réaliser un modèle de société que Marx n’a pas eu le temps de dessiner, lui qui à la fin de sa vie était fasciné par les communautés agraires médiévales de sa région natale en Allemagne, les « Markgenossenschaften ».

Le projet est pointu, et la résistance du capitalisme à son propre effacement risque d’être impitoyable. Kohei Saito y croit, « politiquement optimiste ».

« Dans les 20 prochaines années peut-être, je pense que la situation va empirer. Le capitalisme va stagner, il y aura plus d’inégalités », parie-t-il. « Je pense que nous sommes à un moment de bifurcation. Le fascisme, ou le communisme de décroissance ».

© AFP

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