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Le journaliste Hervé Kempf, auteur de Comment les riches ravagent la planète : « pour que le changement collectif se fasse, il est indispensable qu’il y ait plus d’égalité »


Hervé Kempf est un journaliste et auteur réputé pour son engagement en faveur de l’environnement et de la justice sociale. En 2007, il a fondé le média indépendant Reporterre dont il est aujourd’hui le directeur de la rédaction. Cette même année, il publiait son livre à succès « Comment les riches détruisent la planète », dénonçant l’impact des inégalités sur l’environnement. Le sujet étant toujours d’actualité selon lui, il a décidé de le traiter à nouveau 17 ans plus tard, sous forme de bande dessinée cette fois. Fruit d’un travail collaboratif avec l’illustrateur Juan Mendez, « Comment les riches ravagent la planète » retrace les liens entre inégalités, catastrophe écologique et crise sociale. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, Hervé Kempf aborde l’écriture de ce nouvel ouvrage, mais aussi l’impact environnemental des inégalités, le pouvoir d’influence des grandes fortunes, les innovations technologiques et le traitement des sujets environnementaux par les médias.

Comment les riches ravagent la planète, une BD pour toucher une nouvelle génération

Qu’est-ce qui vous a incité à traiter à nouveau le sujet des inégalités, 17 ans après la parution de votre ouvrage « Comment les riches détruisent la planète » ?

Je pense que c’est un livre qui reste, hélas, toujours pertinent aujourd’hui parce que les hypers riches ont continué à s’enrichir, à mépriser l’écologie et à avoir un comportement extrêmement néfaste. Je voulais vraiment que le sujet puisse toucher une nouvelle génération, une jeune génération qui s’est notamment impliquée dans l’écologie à partir du mouvement climat en 2018. Ce nouveau livre permet également de tenir compte d’évènements qui ont eu lieu plus récemment, tout en adoptant une forme nouvelle : la bande dessinée.

« Collaborer et coopérer permet d’aller plus loin, de faire mieux »

Qu’est-ce que le format de la BD apporte à « Comment les riches ravagent la planète » ?

Hervé Kempf et Juan Mendez, auteur et dessinateur de la BD © JPanconi_3016
Hervé Kempf et Juan Mendez, auteur et dessinateur de la BD « Comment les riches détruisent la planète » © JPanconi_3016

Travailler avec Juan Mendez, le dessinateur de la BD, a beaucoup apporté car ça a été une sorte de ping-pong créatif. Je faisais le scénario en proposant des idées d’images et Juan réinterprétait, trouvait des blagues, puis j’en apportais d’autres… Travailler avec quelqu’un avec qui on s’entend bien, c’est toujours formidable. De manière générale, collaborer et coopérer permet d’aller plus loin, de faire mieux.

Le visuel ajoute aussi une autre dimension. De plus, traduire une idée en images oblige à aller à l’essentiel, c’est une autre écriture. En tant qu’auteur, j’ai beaucoup aimé cet exercice parce que cela m’a obligé à travailler différemment, à sortir de mes habitudes.

Comment les riches ravagent la planète, une BD pour questionner les inégalités et de réfléchir à la justice sociale

Selon vous, quelles sont les conditions pour que la population accepte de modifier ses habitudes et adopte un comportement plus respectueux de l’environnement ?

La population le fait assez spontanément quand les possibilités publiques sont là. On a par exemple eu un grand développement de l’agriculture biologique en France et des circuits courts. Il y a un développement du vélo qui est très important et qui va se poursuivre si une politique publique le permet. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, du fait des inégalités, une partie de la population est pauvre et vit assez sobrement. Ce sont les habitudes des très riches, des riches et d’une large partie de la classe moyenne qu’il faut changer. Concernant les très riches, il faut les aider à changer de comportements en les rendant moins riches parce que la richesse pervertit complètement ces gens : vouloir être très riche n’a pas de sens. Il faut développer des politiques publiques leur permettant de se libérer de cette obsession. De même, il y a aussi un changement culturel qui doit et qui peut se faire.

[A lire aussi : Gilles Vernet, le financier devenu instituteur, questionne la prépondérance de l’argent dans nos vies dans son dernier livre Tout l’or du monde : « plus on consacrera de temps à l’argent, moins on disposera de temps pour ce qui est essentiel »]

Dans votre ouvrage « Comment les riches ravagent la planète », vous expliquez qu’une réduction des inégalités économiques est inévitable pour une transition écologique juste. Quels leviers devraient être activés pour y parvenir ?

La fiscalité est l’instrument politique collectif déterminant. Quand les États-Unis ont connu une révolution en 1776 ou quand la révolution a lieu en France en 1789, c’était parce que le peuple voulait décider des impôts. La fiscalité reste l’outil essentiel pour changer les rapports d’inégalités. On a besoin de forces politiques qui portent cette démarche.

« La nécessité de réduire les inégalités, à la fois pour réduire la pauvreté et développer une vraie politique écologique, devient cruciale »

Que répondriez-vous aux personnes qui craignent qu’une hausse des impôts mène à de l’expatriation fiscale ?

Si des personnes se comportent de manière antipatriotique et anti-collective, au sens de l’intérêt du bien commun, elles seront poursuivies et leurs biens en France devront être saisis. Le mieux serait alors qu’elles contribuent au bien public, en restant chez elles et en payant des impôts légitimes qui seraient raisonnables.

Ensuite, l’idéal serait évidemment d’être dans une démarche internationale. C’est d’ailleurs ce qui est en jeu. Un projet de taxe des hypers riches a été porté par le G20 et poussé par le Brésil notamment. On peut penser que les choses vont avancer dans ce sens-là parce que la nécessité de réduire les inégalités, à la fois pour réduire la pauvreté et développer une vraie politique écologique, devient cruciale.

« Changer les comportements de ceux qui sont au sommet de la société aura un effet culturel sur les comportements de l’ensemble de la population »

Un changement de comportements des personnes très riches est-il une condition sine qua non pour que les classes moyennes acceptent de modifier leurs habitudes ?

Oui, c’est lié au principe de la justice. Des individus vont se dire que faire l’effort de prendre le train plutôt que l’avion, de manger peu de viande, de limiter l’usage de la voiture et d’économiser l’énergie n’a pas de sens s’ils voient des imbéciles irresponsables (j’assume totalement ce terme) avec des yachts énormes qui prennent l’avion comme nous on marche dans la rue. Pour que le changement collectif se fasse, il est indispensable qu’il y ait plus d’égalité.

Par ailleurs, dans le livre on insiste beaucoup sur le modèle de la rivalité ostentatoire de l’économiste Thorstein Veblen qui explique que les classes dominantes produisent un effet d’envie. L’ensemble de la population cherche ainsi à imiter les comportements des personnes plus riches qu’elle. Changer les comportements de ceux qui sont au sommet de la société aura un effet culturel sur les comportements de l’ensemble de la population.

[A lire aussi : Quand les 1 % les plus riches émettent plus de gaz à effet de serre que les deux tiers de la population mondiale]

« Il y a déjà de plus en plus de révoltes à travers le monde car il existe un malaise trop fort par rapport à cette situation d’inégalités qui ne peut plus durer »

Pensez-vous qu’à terme la dégradation de l’environnement contraindra le changement de l’ensemble des comportements ?

Malheureusement, non, car un certain nombre d’individus s’estiment protégés par la climatisation et leur confort. En revanche, je pense que la dégradation écologique va contribuer à accroitre la conflictualité sociale, à la fois parce que la situation écologique va aggraver la situation économique et parce que le sentiment d’injustice grandissant finira par pousser à des révoltes. Il y a déjà de plus en plus de révoltes à travers le monde car il existe un malaise trop fort par rapport à cette situation d’inégalités qui ne peut plus durer. Cependant, je préférerais vraiment qu’on passe par la voie de la pacification et par des mesures politiques, comme la fiscalité, que par la conflictualité.

[A lire aussi : Les décès causés par les chaleurs extrêmes reflètent les inégalités sociales]

« Ce contrôle des médias implique un pouvoir très fort d’influence sur l’esprit de la population et sur les orientations politiques »

Quels sont les mécanismes qui expliquent que les grands fortunés et leurs entreprises exercent un fort pouvoir d’influence sur les décisions politiques et les médias ?

D’abord, ils ont un pouvoir fort sur la politique parce qu’ils financent très largement les candidats de leur parti. C’est très manifeste aux États-Unis mais ça se joue aussi en France. Emmanuel Macron avait par exemple réussi à rassembler énormément d’argent alors qu’il était très peu connu. Or, lorsqu’une ou un candidat est élu, il va devoir satisfaire les demandes des riches qui ont financé sa campagne.

Ensuite, le mécanisme des « revolving doors », c’est-à-dire des portes tournantes, est lui aussi extrêmement puissant. C’est le fait qu’il existe des va-et-vient entre des hauts fonctionnaires, des ministres, des personnes de l’administration, et des entreprises privées. Vous voyez ainsi très souvent des personnes ayant eu des postes très importants dans le secteur public se retrouver dans une entreprise privée, parfois même dans une entreprise privée dont ils ont eu à suivre les activités. Ce système contribue à ce que ces personnes répondent aux intérêts de ces entreprises, plutôt qu’aux intérêts de la population.

Enfin, dans tous les pays mais particulièrement en France, des grandes puissances financières possèdent les médias. Ce contrôle des médias implique un pouvoir très fort d’influence sur l’esprit de la population et sur les orientations politiques. L’exemple le plus connu en France est celui de Vincent Bolloré, mais ce n’est pas le seul, qui développe sur ces médias comme CNews, le Journal du dimanche, Europe 1 et d’autres, une vision politique d’extrême droite. Ces chaînes ne parlent quasiment pas d’écologie, voire développent des sentiments climato-sceptiques.

« Il y a rarement eu une situation historique dans laquelle une mince couche de personnes poursuivait à ce point ses intérêts au détriment de l’ensemble de la population »

Comment ce cycle d’influence pourrait-il être interrompu, de sorte que les mesures de protection de l’environnement ne soient pas bloquées par des intérêts privés ?

Je n’ai pas de réponse simple parce qu’on a un vrai blocage des classes dirigeantes actuelles qui agissent contre le bien commun. Il y a rarement eu une situation historique dans laquelle une mince couche de personnes poursuivait à ce point ses intérêts au détriment de l’ensemble de la population. La bataille politique se joue actuellement de manière très déséquilibrée parce que l’état du débat public ne permet pas de présenter les arguments de façon équitable. Les forces en faveur de l’écologie et de la justice sociale sont désavantagées donc elles doivent sans arrêt faire plus que les autres. Je pense qu’une première solution est de développer une information indépendante qui insisterait sur la gravité de la situation écologique, comme c’est le cas de Reporterre et d’autres médias indépendants.

« Si on parlait vraiment de la situation écologique, tout le monde se rendrait compte qu’il y a quelque chose de très grave qui se passe »

En tant que journaliste, quel œil portez-vous sur l’évolution du traitement des sujets environnementaux par les médias ?

La majorité des médias sont possédés par les puissances financières, ce qui freine vraiment la parole sur la situation écologique. Si on parlait vraiment de la situation écologique, tout le monde se rendrait compte qu’il y a quelque chose de très grave qui se passe.

Au début de l’année 2024, au moment de la révolte paysanne, c’était fascinant de voir des médias faire croire à la population, y compris aux paysans, que la source de leurs difficultés résidait dans les normes environnementales. Ce n’est pas le cas, au contraire : si on défend l’environnement, c’est en faveur d’une autre agriculture qui préserve les sols, la biodiversité, l’emploi et le revenu paysans. Le discours des médias a beaucoup été appuyé par des organisations agricoles comme la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) qui est par ailleurs dirigée par Arnaud Rousseau, un très grand propriétaire qui gagne énormément d’argent. Ceci dit, je remarque qu’à Reporterre on n’a pas subi ce contre-coup anti-écologique donc, malgré tout, il y a une large part de la population qui continue de s’informer sur l’écologie.

Dans le chapitre « le projet technocapitaliste » de « Comment les riches ravagent la planète », vous évoquez les dires des milliardaires qui assurent que l’innovation technologique résoudra les crises environnementales, pourquoi ne faudrait-il pas se fier à ce discours ?

Parce que ce discours est faux. L’énergie nucléaire ne réduit pas les émissions de gaz à effet de serre car faire des réacteurs nucléaires demande énormément d’argent et de temps alors que l’urgence est là. Les OGM (organismes génétiquement modifiés) ne répondent pas à la question de la fertilité des sols agricoles. Le captage de CO2 fonctionne avec certaines difficultés mais clairement pas à l’échelle qu’il faudrait pour capter les 40 milliards de tonnes de CO2 émises par an. De même pour l’avion à hydrogène et bien d’autres technologies. En étant journaliste scientifique, la technique me passionne et je ne dis pas qu’elle ne peut pas fonctionner. Cependant, elle est présentée comme la solution alors qu’il s’agit de pistes, souvent travaillées depuis plusieurs décennies, qui ne sont au minimum pas à l’échelle de l’urgence actuelle.

« La technologie est mise en avant pour faire croire que l’on peut sortir de la situation sans changer de comportements alors que la vraie solution est la réduction de la consommation matérielle et de la consommation énergétique »

Ce n’est pas une solution technique qui va empêcher la déforestation de l’Amazonie ou de la grande forêt du Congo. C’est un changement de pratiques agricoles, un changement dans les activités et un changement dans la répartition des revenus. La technologie est mise en avant pour faire croire que l’on peut sortir de la situation sans changer de comportements alors que la vraie solution est la réduction de la consommation matérielle et de la consommation énergétique. Pour cela, il faut qu’on change la culture collective et la répartition des revenus afin que ça se passe dans la justice.

« Il existe une frustration généralisée qui n’est jamais assouvie »

Pensez-vous que la source du problème environnemental est intrinsèquement liée à notre rapport au temps, dans une société où le temps est constamment optimisé ?  

Le système nous pousse à la consommation frénétique : vite acheté, vite consommé, vite épuisé, on est vite frustré donc on va vite racheter. C’est une course sans arrêt qui est entre autres stimulée par la rivalité ostentatoire. On sent que quelque chose ne va pas, il existe une frustration généralisée qui n’est jamais assouvie. Cependant, cette course concerne les classes moyennes supérieures et les très riches, car une large partie de la population vit dans la précarité et cherche avant tout à survivre.

De manière générale, je reste persuadée que si l’on choisit de discuter longtemps avec ses amis et/ou qu’on s’intéresse à des livres plutôt que d’aller sur TikTok, faire les magasins ou regarder la télévision, on développe un autre rapport au temps et au monde. Pour prendre l’exemple des vacances, lors d’une randonnée de quelques jours, on va regarder les paysages, marcher, se reposer, pique-niquer et trouver notre bonheur en ayant peu consommé. On fait un arrêt dans le temps et on se détache du rapport aux objets.

[A lire aussi : Vincent Liegey, auteur de Sobriété (la vraie) : « la croissance se révèle toxique pour des modes de vie sains et pour la joie de vivre »]

Si vous imaginiez un monde idéal en 2100, à quoi ressemblerait-il ?

Je le résumerai par les mots d’harmonie et de coopération. Je pense à l’harmonie parce qu’on prendrait le temps de regarder mais aussi de se sentir partie prenante de l’humanité, de la biosphère et du cosmos. En reprenant l’exemple de la randonnée, ça ne serait pas seulement regarder les arbres, ça serait, comme l’ont dit d’autres écologistes, se sentir un arbre, ou en tout cas se sentir en communauté avec cette merveille de la vie. Par le terme d’harmonie j’entends également le fait d’avoir de jolis rapports entre les personnes, mais aussi avec l’environnement qu’on créerait. À l’heure actuelle, les villes sont très disharmonieuses, avec d’immenses autoroutes, des blocs de supermarchés, des parkings, etc. J’imagine un monde dans lequel on aurait le goût de recréer la beauté, dans un esprit de coopération avec le vivant et entre les humains, sans rivalités. On chercherait non seulement à préserver les conditions de la vie humaine mais aussi les conditions de l’ensemble de la vie sur Terre, ce qui permettrait d’avoir une meilleure vie humaine.

[A lire aussi : Margot Jacq, autrice du Petit manuel de répartie écologique : « il faut montrer que cette transition va être joyeuse »]

« Je pense qu’on est dans un moment historique de folie extrêmement inquiétant mais la raison et la bienveillance vont l’emporter »

Pensez-vous que c’est réalisable ?

Oui absolument sinon je n’écrirai pas de livres, je ne serai pas dans un collectif engagé comme Reporterre, je ne prendrai pas part avec des milliers de gens à des luttes ici et là. C’est réalisable et je suis même sûr que ça va se réaliser parce que je crois fondamentalement à la raison humaine. Je pense qu’on est dans un moment historique de folie extrêmement inquiétant mais la raison et la bienveillance vont l’emporter.

Propos recueillis par Marion Lamure

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Pour aller plus loin :

La BD « Comment les riches ravagent la planète » d’Hervé Kempf et Juan Mendez, aux éditions du Seuil, sortie le 27 septembre 204

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Un commentaire

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    • Balendard

    Dans les plus grandes
    agglomérations françaises telles que Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse… les
    villageois ont opté pour le raisonnable et voté pour un impact plus faible de la voiture

    – 77 % sont favorables à la création de zones piétonnes,
    – 65 % soutiennent la limitation de vitesse à 30 km/h,
    – et 85 % approuvent le développement des pistes cyclables,
    L’arrivée de la voiture électrique heureusement moins bruyante et moins polluante va toutefois freiner cette tendance mais nous être obligés de freiner les inégalités en condamnant la grosse bagnole en ville de telle sorte que la voiture reste accessible à ceux qui manque de moyen