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Le fleuve colombien Atrato avait gagné au tribunal, il a perdu sur le terrain

fleuve atrato

Des dragues artisanales de type brésilien utilisées pour extraire l'or sont visibles sur le fleuve Quito, un affluent du fleuve Atrato, dans le département de Choco, en Colombie, le 27 août 2024 © AFP Raul ARBOLEDA

Choco (Colombie) (AFP) – Ce devait être un symbole planétaire de la protection des droits de la nature. Huit ans après une décision sans précédent de la justice colombienne lui octroyant une personnalité juridique, le fleuve Atrato, dans l’ouest de la Colombie, reste la victime de l’exploitation minière illégale et des groupes armés.

En l’absence de routes, ses 750 kilomètres au coeur de la jungle constituent l’artère principale, la ligne de vie d’une région historiquement marginalisée, le Choco, à la population majoritairement afro-colombienne (87%) et la plus pauvre du pays.

Il y a quelques décennies, le fleuve était encore un refuge paradisiaque contre la chaleur implacable de la jungle. Mais aujourd’hui, il déborde de mercure, utilisé par les chercheurs d’or pour séparer les sédiments des particules du précieux métal.

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Le manque de volonté de l’Etat, le « manque d’intérêt pour (la création de) politiques publiques » et la corruption sont quelques-uns des obstacles qui ont empêché de passer de la théorie à la pratique, veut croire Jorge Palacio, le magistrat qui a rédigé l’arrêt rendu en 2016 par la Cour constitutionnelle.

L’un des « gardiens » du fleuve (désignés comme tel par la décision du juge Palacio) ne cache pas sa tristesse lorsqu’il se souvient des eaux cristallines dans lesquelles il se baignait enfant.

« Nos parents nous ont laissé (…) une rivière transparente, diaphane. Aujourd’hui nous avons l’obligation de faire de même et je pense que nous échouons », déplore à l’AFP Ramón Cartagena, 59 ans.

« Entité vivante »

En 2016, l’arrêt historique de la Cour constitutionnelle a déclaré que le fleuve, son bassin et ses affluents étaient une « entité vivante » et un « sujet de droits » à la protection et à la conservation.

Mais l’Atrato est un cas d’école: il montre que les avancées juridiques n’ont que peu d’effets s’ils ne s’accompagnent pas de politiques publiques efficaces sur le terrain. Une histoire édifiante pour les pays du monde qui négocieront à la COP16, en octobre en Colombie, pour concrétiser leur engagement de placer 30% de la planète sous protection environnementale d’ici 2030.

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L’immense serpent d’eaux vives s’avance du sud au nord jusqu’à la mer des Caraïbes. Pour les populations isolées de tout, l’Atrato est nourriture, transport, commerce, tradition et vie.

La Cour a nommé 14 gardiens chargés d’en être les représentants légaux. Mais M. Cartagena estime que l’arrêt n’a pas changé grand-chose, voire rien du tout.

« Huit ans après, nous ressentons un goût amer (…) l’exploitation minière illégale continue de s’étendre chaque jour ».

Les gardiens dénoncent les menaces de mort répétées, dans le pays le plus dangereux pour les défenseurs de l’environnement. « C’est un fleuve dont les droits ont été lésés et violés », résume Ligia Ortega, une écologiste de 67 ans.

La source de l’Atrato jaillit d’une une montagne à 3.900 mètres d’altitude, sur les hauteurs de la coquette localité de Carmen de Atrato.

Son eau y est cristalline et potable, mais à peine quelques kilomètres en aval, elle révèle déjà sa pollution, et s’avère être un condensé des problèmes gravissimes que connait la Colombie: le pillage des ressources, la pauvreté, l’absence de l’État et la guerre des groupes armés, ici les guérilleros de l’ELN guévariste et le Clan del Golfo, le plus grand cartel de drogue du pays.

« Rythme d’escargot »

La mise en oeuvre de l’arrêt de 2016 se fait à un « rythme d’escargot », dénonce M. Cartagena.

Des dragues artisanales, d’imposantes embarcations bricolées, aspirent et retournent le lit du fleuve à la recherche d’or. La soif du métal jaune mutile ainsi le lit du Rio Quito, l’un des principaux affluents de l’Atrato.

« Les gens ont peur de dénoncer, tout le monde se tait », déplore Bernardino Mosquera, 62 ans, gardien de ce bras brisé par d’immenses dolines d’eau saumâtre et contaminée.

Des études montrent que le mercure ronge la santé des habitants de ces rivières. Les dragues, en retournant les fonds terreux, libèrent « d’autres éléments métalliques toxiques, tels que l’arsenic, le plomb et le cadmium », explique José Marrugo, de l’université de Cordoue.

Arnold Rincon, directeur de l’autorité environnementale locale, assure que le niveau de mercure est « inférieur » aux normes tolérées, mais reconnaît l’absence étude sur les poissons. Près de 34% des parties de la rivière « dégradées par l’activité minière » ont pu être récupérées, affirme M. Rincon.

[Lire aussi: Exploitation minière en eaux profondes: attention aux conséquences « irréversibles » pour les cétacés]

Sur le marché de Quibdó, capitale du Chocó, les vendeurs se plaignent. « Les gens ont peur d’acheter du poisson, parce qu’il y a beaucoup de mercure et que certaines personnes ont été gravement touchées », explique Narlin Córdoba, 46 ans.

« Pas de progrès »

Selon le Bureau du médiateur colombien (ombudsman), « il n’y a aucune preuve d’un quelconque progrès qui contribuerait à la conservation effective » de la zone fluviale.

Les groupes armés vivent de l’or. Chaque drague produit « plus de 150 grammes d’or par jour », détaille le général Wilson Martínez.

[Lire aussi: Les mines d’or illégales de la jungle colombienne dans le viseur des forces armées]

Rien qu’en 2024, l’armée a détruit 334 de ces engins illégaux dans l’Atrato.

L’Atrato « est comme une artère du corps humain (…). Sans lui, nous n’existerions pas », observe Embera Claudia Rondán, 41 ans.

À quelques kilomètres de la source, la compagnie minière canadienne El Roble, qui n’a pas répondu à l’AFP, exploite légalement le cuivre, l’or et l’argent avec un contrat qui est en passe d’être prolongé.

Les activistes remettent en cause ses activités, tout en reconnaissant qu’elle a été le moteur économique de la région depuis son arrivée il y a plus de 30 ans.

© AFP

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